Migration

De Londres à Kigali : déportations, politique d'asile et brutalité d'État

La politique du gouvernement britannique visant à expulser les demandeur.euse.s. d'asile vers le Rwanda a été jugée illégale par la Cour d'appel.
La Cour d'appel a fait valoir que les demandeur.euse.s d'asile étaient à risque en étant renvoyé.e.s dans leur pays d'origine, où iels pourraient subir des traitements inhumains et des persécutions. Le Rwanda de Paul Kagame, avec la complicité des médias occidentaux et des institutions financières internationales, a été présenté comme un État développementiste prospère, alors qu'il s'agit en réalité d'un lieu de brutalité étatique systématique.
La Cour d'appel a fait valoir que les demandeur.euse.s d'asile étaient à risque en étant renvoyé.e.s dans leur pays d'origine, où iels pourraient subir des traitements inhumains et des persécutions. Le Rwanda de Paul Kagame, avec la complicité des médias occidentaux et des institutions financières internationales, a été présenté comme un État développementiste prospère, alors qu'il s'agit en réalité d'un lieu de brutalité étatique systématique.

L'une des principales contradictions du capitalisme de marché est que, malgré toutes ses "imperfections", il est censé mettre fin au féodalisme, créer une libre circulation sur le marché du travail et apporter l'égalité politique aux peuples gouvernés par un marché impartial. Pourtant, à mesure qu'il s'accélère, ces relations de marché ne peuvent se maintenir qu'avec l'intervention autoritaire de l'État, la répression et l'imposition accrue de relations féodales. Ainsi, un gouvernement qui n'a aucun intérêt à contrôler les profits destructeurs du secteur privé, alors qu'un nombre croissant de personnes perdent l'accès aux nécessités de la vie courante, fait tout ce qu'il peut pour promouvoir le pouvoir aristocratique, stimuler le nationalisme qui divise et intervenir lourdement dans la circulation des personnes.

La force des efforts d'inspiration fasciste déployés par le gouvernement britannique pour supprimer les libertés politiques a progressé avec le chaos économique auquel est confrontée la majorité. Les développements récents suggèrent que si certains de ses efforts sont en train d'échouer, le gouvernement continuera néanmoins à se battre. La semaine dernière, la Chambre des Lords, incluant des conservateurs (du parti au pouvoir), a apporté des amendements destructeurs au projet de loi sur l'immigration illégale. Ces amendements obligeraient le gouvernement à respecter les conventions internationales sur les droits humains, à permettre aux mineur.e.s non accompagné.e.s de demander l'asile et à empêcher les victimes potentielles de la traite des êtres humains d'être détenues ou expulsées avant que leur cas ne soit examiné. D'autres amendements ont été adoptés concernant l'expulsion, la détention et les limites de traitement pour les migrant.e.s LGBTQ+, les femmes enceintes et les enfants, ainsi que les demandeur.euse.s d'asile en général.

Illégal

La politique du gouvernement consistant à expulser les demandeur.euse.s d'asile vers le Rwanda a été jugée illégale par la Cour d'appel. Alors que la Haute Cour avait jugé que le Rwanda était un "pays tiers sûr", cette affaire portée par des demandeur.euse.s d'asile et Action Aid a renversé la décision, estimant que les demandeur.euse.s d'asile risquaient d'être renvoyé.e.s dans leur pays d'origine et d'y être soumis.e.s à des traitements inhumains et à des persécutions. Le ministère de l'Intérieur lui-même, chargé de faire appliquer cette politique, l'a jugée inapplicable. Il a indiqué que le plan coûterait 169 000 livres sterling par personne, ce qui est nettement plus élevé que le coût du logement des demandeur.euse.s d'asile au Royaume-Uni.

Les avocat.e.s de la Cour d'appel ont fait valoir que la Haute Cour avait fait preuve d'une "déférence excessive" à l'égard des assurances données par les responsables du ministère de l'Intérieur quant à la protection des personnes expulsées. Les documents fournis par les autorités rwandaises manquaient de crédibilité, avec des "dénégations générales et des contradictions évidentes". Il est à peine croyable que les ministres de l'Intérieur successifs qui dirigent la politique vis-à-vis du Rwanda soient assurés de la sécurité de cette politique.

L'année dernière, le Public and Commercial Services Union, qui représente les membres du ministère de l’Intérieur, s'est joint aux demandeur.euse.s d'asile, à Care4Calais et à Detention Action dans une affaire qui a empêché l'expulsion de huit demandeur.euse.s d'asile et a montré que le Rwanda était un pays peu sûr, avec la possibilité d'une conscription forcée pour les personnes qui y sont envoyées après avoir fui des pays déchirés par la guerre. Il a été établi que la ministre de l'Intérieur, Priti Patel, avait ignoré l'avertissement du ministère des Affaires étrangères concernant les violations des droits humains.

Le Rwanda de Paul Kagame, avec la complicité des médias occidentaux et des institutions financières internationales, a été présenté comme un État développementiste prospère, travaillant avec les bailleurs de fonds pour atteindre des indicateurs de développement élevés. À partir de 2015, les chercheur.euse.s du ROAPE ont remis en question ce récit et les affirmations d'une "révolution verte" dans laquelle la modernisation agraire néolibérale avait apporté des avantages considérables aux populations rurales du pays. Certain.e.s chercheur.euse.s ont dû publier sous couvert d'anonymat par crainte de représailles de la part de l'État à Kigali, tandis que la véracité de leurs données a fait l'objet d'une enquête du Financial Times sur les statistiques du pays en matière de pauvreté. Le terrible constat d'une véritable augmentation de la pauvreté a non seulement porté atteinte à la crédibilité du développement de l'État par le haut, mais aussi à celle de la Banque mondiale, qui a avalisé ses données, du FMI et des bailleurs de fonds bilatéraux.

Quant à la politique du régime, son appareil d'État bureaucratique et son aménagement du territoire se prêtent à l'externalisation des centres de détention, tandis que la violence de l'État s'est traduite par l'assassinat de réfugié.e.s. L'année dernière, une enquête a révélé qu'un treizième réfugié congolais avait été abattu par les autorités de l'État, quelques mois après que 12 manifestants du camp de Kibiza ont été tués en 2018.

Coût humain et économique

Suella Braverman, qui fait l'éloge des opportunités offertes aux demandeur.euse.s d'asile entrant au Rwanda, est soutenue par le Premier ministre Rishi Sunak alors qu'elle se bat pour défendre sa politique phare. Cette riposte s'appuie sur d'autres affirmations infondées et sur des tromperies. L'idée que le coût humain et économique du plan rwandais est justifié parce qu'il découragerait les traversées de la Manche pourrait avoir une logique tordue si la France était un pays sûr pour les réfugiés et si l'immigration était un choix.

Mais ce n'est pas le cas : si les demandeur.euse.s d'asile viennent de pays non européens et sont identifié.e.s comme racisé.e.s, iels se retrouvent démunis et subissent des violences physiques, des humiliations et la destruction de leurs abris, de leur nourriture et de leurs réserves d'eau par les autorités françaises.

Le Brexit a ouvert la possibilité d'un asile au Royaume-Uni car la convention de Dublin, qui permet aux gouvernements de renvoyer les personnes dans les pays européens qu'elles ont traversés, ne pouvait plus être appliquée ; ainsi, les réfugié.e.s anglophones et celleux qui ont des liens potentiels avec le pays pourraient avoir une chance ici de trouver une sécurité, de construire une vie tolérable et de subvenir aux besoins de leur famille, quel que soit le risque et l'hostilité de l'accueil.

Cette condition forcée de l'immigration met en évidence la vacuité des suggestions répétées de Braverman selon lesquelles le monde entier viendrait au Royaume-Uni s'il le pouvait, de sorte que des sanctions sévères sont nécessaires. Son argumentation témoigne d'une arrogance qui ne tient pas compte de la façon dont les gens sont déracinés dans des circonstances spécifiques, sont arrachés à leur famille et luttent pour trouver la sécurité où que ce soit. La Grande-Bretagne joue un rôle dans nombre de ces bouleversements, y compris dans la contre-révolution au Soudan. En outre, elle a contribué de manière significative à la forteresse Europe et à ses frontières militarisées, ainsi qu'à son incapacité à trouver une politique d'asile viable, ce qui a créé les conditions propices à l'immigration irrégulière.

Des mensonges et encore des mensonges

La plupart des migrations n'étant pas le fruit d'un choix, la fermeture d'itinéraires légaux et sûrs n'a pas d'effet dissuasif et ne réduit pas fondamentalement le nombre de migrant.e.s. Elle rend le voyage dangereux et tue des gens. En témoigne la terreur que l'annonce de la politique rwandaise a fait régner sur les réfugié.e.s à Calais au début du mois de juin 2022, alors que les traversées de la Manche ont augmenté au cours de l'été et se sont poursuivies par milliers cette année, les Afghans devenant la nationalité la plus nombreuse.

Les affirmations répétées selon lesquelles la politique vis-à-vis du Rwanda serait "la volonté du peuple" n'ont pas non plus de fondement : ce gouvernement et son nouveau programme n'ont même pas été élus par le peuple. Un autre mensonge, dont le parti travailliste - le principal parti d'opposition du pays - a été particulièrement complice, est que la lutte contre "l'immigration illégale" est une lutte contre les trafiquants et les passeurs, alors qu'en réalité, ce sont les migrant.e.s et les personnes à leur charge qui en souffrent le plus, et que les passeurs sont souvent dans une situation similaire. Compte tenu des couches de tromperie sur lesquelles repose la politique, il est remarquable qu'un parti d'opposition dirigé par un avocat n'ait fait que se moquer de l'incapacité de la politique à rejeter les personnes arrivant par bateau.

Si l'appel du gouvernement en faveur de la politique rwandaise aboutit, la principale victoire des conservateurs sera qu'ils ne seront plus limités par le droit international ou par un État démocratique fonctionnel dans son sens le plus étroit, ce qui les encouragera à supprimer toute menace à leur survie, nationale et internationale. Les décisions de la Cour d'appel et de la Chambre des Lords, ainsi que le contrôle du ministère de l'Intérieur, pourraient donner le sentiment de bénéficier de la "bonne gouvernance" et de la démocratie que les responsables politiques britanniques prétendent offrir aux pays du Sud.

Cet article a été publié pour la première fois par ROAPE.

Hannah Cross est l'autrice de Migrants, Borders and Global Capitalism : West African Labour Mobility and EU Borders, Routledge, 2013 et du nouvel ouvrage Migration Beyond Capitalism. Elle est maîtresse de conférences en relations internationales à l'université de Westminster et présidente du groupe de travail éditorial du ROAPE.

Photo: Wikimedia Commons / Care4Calais

Available in
EnglishSpanishFrench
Author
Hannnah Cross
Translators
Lea Ciccarone Fontaine and Valérie L'Heureux
Date
18.08.2023
Source
Original article🔗
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