Article initialement publié par Labor Notes.
Ces mesures interviennent au moment où le gouvernement conservateur, dirigé par le président Yoon Suk-yeol, cherche à lever les restrictions sur les longues heures de travail et à réduire les versements des retraites tout en augmentant les contributions des travailleur·euse·s. Yoon a été élu en mars dernier sur un programme ouvertement anti-ouvrier.
Pendant le raid, 30 agents de l’Agence nationale du renseignement (NIS) ont procédé à une perquisition dans les locaux de la Confédération coréenne des syndicats (KCTU pour Korean Confederation of Trade Unions). Le personnel de la KCTU a tenté de les freiner pendant des heures jusqu’à l’arrivée de leur avocat.
La KCTU est un réseau de syndicats qui atteint désormais plus d’un million de membres, et ce au sein de la dixième économie mondiale. Les membres de la confédération travaillent dans diverses industries allant de l’automobile et la construction navale à des secteurs émergents comme les soins de santé et l’ingénierie logicielle.
Depuis sa fondation en 1995 (sept ans après la fin de la dictature militaire dans le pays), elle a fait l’objet de répression régulière par les gouvernements, aussi bien conservateurs que libéraux, avec pour chacun des dix présidents successifs à ce jour, au moins une incarcération par mandat. Mais c’est la première fois que la KCTU est directement perquisitionnée par la NIS, l’équivalent de la CIA et du FBI combinés.
Bien que le mandat visait un seul responsable de la KCTU sur des allégations de liens avec les services de renseignement nord-coréens, un millier de policier·ère·s anti-émeute et de pompiers ont encerclé le bâtiment dans ce qui semblait être une opération de relations publiques. C'est deux fois plus que le nombre de policier·ère·s initialement déployé·e·s lors d'une fête de quartier pour Halloween à Séoul, où 158 jeunes ont été écrasé·e·s à mort en raison de l'absence de contrôle de la foule.
Par un retournement de situation, la NIS n'a pas arrêté le responsable censé représenter une menace pour la sécurité nationale. Cependant, les agents ont saisi des données sur son téléphone et son ordinateur et sont parti·e·s.
Des situations similaires sont apparues simultanément au bureau de la Korean Health and Medical Workers Union, affiliée à la KCTU, et à deux autres endroits, où la NIS a exécuté des mandats de perquisition impliquant trois autres anciens et actuels responsables de la KCTU. La NIS et la police ont fait desesclandres spectaculaires et sont parties après avoir téléchargé les données des appareils électroniques des personnes saisies.
« L'agence mène des enquêtes privées [sur les quatre personnes] pour des violations de la loi sur la sécurité nationale depuis de nombreuses années », a déclaré la NIS dans un communiqué. « Elle a déjà obtenu des preuves liant [ces personnes] à la Corée du Nord, ce qui a permis [à la NIS] d'obtenir les mandats. »
La loi sur la sécurité nationale interdit tout voyage non-autorisé en Corée du Nord ainsi que la prise de contact avec sa population. Après le raid, des journaux conservateurs ont déclaré, de sources anonymes au sein de la NIS, que les responsables de la KCTU recevaient des ordres et financements de la Corée du Nord.
La loi sur la sécurité nationale est entrée en vigueur au début de l’année 1948, quelques mois avant la constitution fondatrice du pays, lorsque la Corée du Sud s'est déclarée République de Corée sous tutelle américaine, dans un contexte de forte opposition de gauche et de la montée d'une république communiste rivale dans la moitié nord de la péninsule coréenne. Cette législation a été utilisée depuis lors pour supprimer l'opposition intérieure et les organisations syndicales sous prétexte de menaces militaires du Nord.
La loi n’a pas bougé même lorsque le pays s’est engagé dans la voie de la démocratisation à la fin des années 1980, lorsque des manifestations de masse ont mis fin à trois décennies de régime militaire. Les présidents libéraux ont régulièrement eu recours à cette loi et à son principal agent d'exécution, la NIS, pour faire obstacle aux organisations syndicales.
En 1998, le groupe international de défense des droits, Amnesty International, a protesté contre le président de l'époque, Kim Dae-jung, lauréat du prix Nobel de la paix en 2000, pour avoir arrêté 25 étudiant·e·s et militant·e·s syndicaux·ales alors accusé·e·s d'avoir violé la loi sur la sécurité nationale pour former un « groupe pro-Corée du Nord ».
« La tentative d’apparenter l'agitation syndicale à de prétendues activités “pro-Corée du Nord” est alarmante et indique un retour aux méthodes autoritaires de répression», avait déclaré Amnesty International à l'époque. « Ces arrestations ont lieu lors de grèves générales et sont accompagnées de menaces de ministres du gouvernement sur la répression des grévistes et des manifestant·e·s », notait Amnesty.
Le récent raid s'est déroulé dans la foulée de la défaite d'une grève nationale des conducteur·trice·s de poids-lourds indépendant·e·s.
En novembre, lorsque 25 000 conducteur·trice·s ont débrayé, certain·e·s y ont vu le début d'un « hiver de mécontentement » longtemps attendu contre les politiques anti-ouvrières de Yoon. Les propriétaires de poids-lourds, membres d'un syndicat affilié à la KCTU, exigeaient notamment que les taux de salaire minimum soient étendus à toustes et qu'ils deviennent permanents. Les conducteur·trice·s en grève affirmaient que les taux minimum, déterminés par une commission mixte composée de conducteur·trice·s, d'entrepreneur·euse·s et du gouvernement, avaient contribué à réduire le nombre de décès et de blessures sur les routes en décourageant la conduite à vitesse dangereuse et le surmenage.
La grève s'est soldée par un échec après 16 jours. Les grands syndicats ne se sont pas joints à l'action et le gouvernement Yoon a exercé une forte pression sur les conducteur·trice·s avec une série d'ordres de retour au travail. Après six années de croissance, la KCTU se retrouve sur la défensive. En revanche, le taux d'approbation de Yoon a augmenté de 9 pourcent, la répression des conducteur·trice·s ayant étendu sa base conservatrice.
La position anti-grève a été bipartisane. Le 8 décembre, un jour avant le vote des conducteur·trice·s sur la fin de la grève, le parti libéral démocratique de Corée, qui contrôle une faible majorité à l'Assemblée nationale, a exhorté les grévistes à accepter la proposition du gouvernement pour une extension limitée à trois ans du régime de taux minimum. Le gouvernement n'a pas encore procédé à cette extension.
Les libéraux sont également restés silencieux sur les raids de la NIS. Au cours d'une interview télévisée de 15 minutes, le soir suivant les descentes dans les syndicats, Lee Jae-myung, leader du parti d'opposition et adversaire de Yoon lors de la dernière course à la présidence, n'a pas dit un mot sur la NIS ou la KCTU.
Pendant ce temps, la NIS tente à nouveau d'étendre ses tentacules, autrefois omniprésentes, aux quatre coins du pays. En décembre, l'agence a été habilitée à « enquêter et recueillir des informations » sur les hauts fonctionnaires du gouvernement à des fins de ressources humaines. La surveillance des civil·e·s par la NIS avait cependant été interdite en 2020, à la suite d'une enquête qui avait révélé une utilisation abusive généralisée.
Les nouvelles lignes directrices n'ont pas précisé la portée de la collecte d'informations, permettant ainsi à l'agence de potentiellement étendre une surveillance arbitraire et sans mandat. La NIS a également fait pression pour l'abrogation d'une nouvelle loi qui supprimerait son pouvoir d'enquête national d'ici la fin de l'année. Cette loi a été adoptée à la suite d'un scandale survenu en 2013, lorsqu'il a été révélé que l'agence avait manipulé des preuves et torturé la sœur d'un transfuge chinois du Nord pour le faire passer pour un agent nord-coréen.
Un jour après le raid de l’Agence nationale du renseignement sur la KCTU, la police a perquisitionné deux bureaux nationaux de syndicats de la construction, connus pour leur militantisme mais également entachés par des rumeurs de corruption.
Dans son discours télévisé du nouvel an, le 3 janvier, Yoon a dépeint l'ensemble du mouvement syndical comme une élite affairiste privilégiée par rapport aux travailleur·euse·s non organisé·e·s. Son gouvernement semble ainsi intensifier son attaque contre les travailleur·euse·s en tentant de les monter les un·e·s contre les autres et en qualifiant certain·e·s de leurs dirigeant·e·s de corrompu·e·s et de privilégié·e·s ou de traîtres pro-Corée du Nord.
Pour se faire, Yoon n'aura d'autre choix que de recourir à la force et à un appareil autoritaire comme la NIS, car il lui sera de plus en plus difficile de faire passer des lois anti-travaillistes. Et même si le parti démocratique, majoritaire dans l'opposition, souhaite bloquer son programme anti-travailliste au sein de la législature, c’est uniquement parce qu'il ne veut pas que Yoon atteigne les objectifs de son mandat, et non parce que le parti est un allié fiable des travailleur·euse·s.
Le raid contre la KCTU illustre les défis auxquels sont confrontés les travailleur·euse·s dans de nombreux pays à travers le monde, alors que les syndicats sont confrontés à la réapparition de mesures autoritaires et répressives dans le cadre d’une crise du niveau de vie, les salaires et les pensions. Ces problèmes mondiaux nécessitent une solidarité mondiale.
Kap Seol est un écrivain et chercheur basé à New York. Ses écrits sont parus chez Labor Notes, Progressive Magazine, In these Times entre autres.
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