Labor

Bulletin IP | N° 20 | Le pouvoir des travailleur·euses des applications mobiles

De nouvelles lois dans les États indiens du Rajasthan, du Karnataka et du Telangana font progresser les droits des travailleur·euses des applications mobiles.
Dans le vingtième Bulletin de l'Internationale Progressiste de 2025, nous vous présentons les dernières nouvelles concernant la lutte des travailleurs et travailleuses des applications mobiles en Inde pour leurs droits.

Par une matinée de fin novembre étouffante sous le smog de Delhi, une foule de travailleurs, travailleuses, de responsables syndicaux·ales et d'allié·es politiques s'est rassemblée sous un brouillard de pollution hivernale pour envoyer un message à l'une des entreprises les plus puissantes du monde : « Make Amazon Pay » (Faire payer Amazon). Cette manifestation s'inscrivait dans le cadre d'une journée mondiale de grèves et de manifestations. Parmi les orateur·ices figurait Gorakh Mengde, secrétaire général du syndicat des travailleurs et travailleuses d'Amazon Inde, qui a déclaré que « la direction d'Amazon a tenté de nous empêcher [de manifester ce jour-là] de multiples façons. Nous voulons dire à Amazon : vous n'avez pas pu nous arrêter aujourd'hui, vous ne pourrez pas nous arrêter à l'avenir ».

Si Amazon a eu recours à l'intimidation, une autre entreprise a opté pour des représailles directes. Un livreur de Zomato qui a pris la parole lors du même rassemblement a été licencié sur-le-champ, via WhatsApp. Son responsable lui a envoyé une vidéo de son discours quelques instants plus tôt, suivie d'une notification froide : il était désactivé de l'application.

De telles histoires d'hyper-précarité deviennent alarmantes. L'Inde compte déjà plus de 8 millions de travailleurs et travailleuses indépendantes ; d'ici 2030, ce nombre pourrait exploser pour atteindre 23 millions. Pourtant, des entreprises comme Zomato, Swiggy et Urban Company insistent sur le fait qu'elles ne sont que des « intermédiaires numériques », et non des employeuses, un tour de passe-passe juridique qui leur permet d'échapper à leurs responsabilités en matière de salaires équitables, de conditions de travail sûres ou de sécurité sociale.

Les enjeux ont été soulignés cette semaine par Rahul Gandhi, leader de l'opposition indienne, qui a écrit : « Ces travailleurs nous apportent de la nourriture, nous livrent des produits de première nécessité et nous conduisent en toute sécurité, par temps chaud, froid ou pluvieux. Pourtant, trop souvent, ils sont bloqués sur leurs applications sans explication, se voient refuser des congés maladie et sont payés selon des algorithmes opaques. »

La lutte des travailleurs et travailleuses des applications mobiles représente le point culminant de la contradiction entre le capital et le travail. Mais les travailleurs et travailleuses n'attendent pas le changement : ils et elles s'organisent pour créer des syndicats et gagner, relevant les nouveaux défis auxquels iels sont confronté·es grâce à des avancées historiques dans le droit du travail.

Deux membres de l'Internationale Progressiste mènent la charge en Inde : Mazdoor Kisan Shakti Sangathan (MKSS) et le Telangana Gig and Platform Workers Union (TGPWU).

Leurs efforts sont déjà en train de réécrire les lois. En 2023, le Rajasthan est devenu le premier État indien à adopter des mesures de protection sociale pour les travailleurs et travailleuses précaires, grâce à une campagne acharnée menée par le MKSS. Le syndicat a non seulement contraint le gouvernement à agir, mais a également obtenu une place à la table des négociations pour Nikhil Dey, un militant chevronné du MKSS.

Cette semaine, le Karnataka a emboîté le pas, après une longue lutte et une longue campagne. Dans cet État, la campagne en faveur d'une législation sur les travailleurs et travailleuses précaires s'était heurtée à une forte opposition et à un blocage de la part du puissant secteur indien des agrégateurs et des logiciels, qui avait présenté des arguments alarmistes et bloqué la loi pendant plus d'un an et demi. Cependant, les groupes et syndicats de travailleurs et travailleuses précaires, dont le MKSS, ont poursuivi leur campagne et, finalement, les responsables politiques ont veillé à ce qu'une législation comportant de nombreuses dispositions progressistes soit promulguée dans l'État. La loi du Karnataka va plus loin que la garantie de sécurité sociale du Rajasthan en ajoutant la transparence dans la rémunération algorithmique, la fin du blocage arbitraire des travailleurs et travailleuses sur les applications, du licenciement sans procédure régulière et des dispositions pour des conditions contractuelles équitables.

Dans le Telangana, le pouvoir d'organisation du TGPWU a donné des résultats encore plus importants. Le syndicat a organisé des vagues de grèves contre les plateformes, notamment contre Zepto la semaine dernière. Les fruits de ce travail d'organisation acharné seront visibles le lundi 2 juin, lorsque l'État du Telangana adoptera son projet de loi sur les travailleurs et travailleuses indépendant·es. Ce projet va encore plus loin en prévoyant des dispositions clés pour garantir des salaires équitables, la sécurité sociale et le règlement des griefs. La loi placera les syndicats à la table des négociations avec le gouvernement et les entreprises au sein d'un conseil tripartite chargé du bien-être social. Tous les travailleurs et toutes les travailleuses des applications seront enregistré·es auprès du conseil afin de pouvoir bénéficier de la sécurité sociale.

Surtout, le projet de loi leur donne le droit d'accéder aux informations sur les algorithmes qui ont un impact sur leurs conditions de travail, notamment les tarifs, les revenus, les commentaires des client·es et les informations connexes. Il empêche également leur blocage arbitraire sur les applications et rend les entreprises responsables de la mise en place d'un environnement de travail sûr. Malgré ces avancées, le TGPWU milite pour obtenir davantage pour ses membres, notamment un salaire minimum spécifique au secteur.

La lutte au Telangana a bénéficié d'un soutien international. En avril, une délégation de l'Internationale Progressiste, composée notamment de Clara López (Colombie), Andres Arauz (Équateur) et Giorgio Jackson (Chili), a rencontré des représentant·es du gouvernement de l'État, du MKSS et du TGPWU afin de renforcer le projet de loi. Leur participation met en lumière une vérité que les géants du travail à la demande veulent ignorer : la solidarité des travailleurs et des travailleuses ne s'arrête pas aux frontières.

Après avoir été traité·es pendant des années comme des objets jetables, les travailleur·euses des applications indiennes prouvent que l'action collective fonctionne. Le succès est contagieux. Le pouvoir des travailleurs et travailleuses des applications grandit.

Les lois indiennes récemment promulguées doivent être étudiées afin de déterminer si certaines de leurs formulations progressistes peuvent être intégrées dans d'autres parties du monde. L'IP s'efforcera de transmettre ces enseignements par-delà les frontières et les continents, dans le cadre de la solidarité, des victoires et de l'inspiration des travailleur·euses, partout où de nouveaux défis surgissent.

Dernières nouvelles du Mouvement

BRICS Ascendent

L'Internationale Progressiste était à Brasilia cette semaine pour « BRICS Ascendent », un symposium international de deux jours organisé en collaboration avec des organisations telles que la Plateforme CIPÓ, le Centre de politique des BRICS, la Fondation Rosa Luxemburgo, l'Université de Brasilia et le ministère brésilien des Finances.

Le symposium a réuni plus de 50 délégué·es venu·es de plus de 20 pays des BRICS+ et du monde entier, dont des visionnaires comme Naledi Pandor (ancienne ministre des Relations internationales d'Afrique du Sud), Wang Wen (doyen de l'Institut d'études financières de Chongyang), Richard Kozul-Wright (ancien directeur de la Division de la mondialisation de la CNUCED), Dialo Diop (vice-président du PASTEF du Sénégal), Souad Aden-Osman (directrice exécutive de la Coalition pour le dialogue sur l'Afrique) et Andrés Arauz (ancien gouverneur de la Banque centrale d'Équateur). Durant deux jours passés dans la capitale brésilienne, les délégué·es ont élaboré des propositions prometteuses dans les six domaines thématiques définis par le président Lula, du commerce et de l'investissement au multilatéralisme et à l'intelligence artificielle. Ils et elles ont ainsi forgé un réseau mondial de responsables gouvernementales·aux, de représentant·es de la société civile et d'universitaires internationales·aux, appelé·es à jouer un rôle actif dans le cadre des BRICS.

Art de la semaine

The longest Revolution [La plus longue révolution] est une broderie sur coton de grande envergure réalisée par Varunika Saraf (1981, Inde). Artiste et historienne de l'art basée à Hyderabad, Saraf est une artiste et historienne de l'art. Ses œuvres de grande envergure, principalement composées de peintures sur wasli, un matériau pictural indien du Xe siècle, s'appuient sur diverses sources d'archives, telles que l'histoire de l'art, la presse écrite et la culture populaire, pour engager un dialogue conceptuel avec le passé. Elle analyse ainsi de manière critique les précurseurs de nos enjeux politiques et sociaux contemporains, avec un intérêt particulier pour « la montée exponentielle de la violence ». À propos de ce travail, Saraf a déclaré : « Je m'intéresse à l'action des femmes, à leur rôle de créatrices de leur propre avenir et d'actrices du changement sociopolitique.» Ses œuvres complexes cherchent à exposer la réalité inconfortable de la violence en l'adoucissant grâce à de magnifiques peintures. Fin 2024, Varunika Saraf a contribué à la série d'affiches de collecte de fonds en édition limitée de l'Internationale Progressiste, intitulée « Thieves in the Forest [Voleurs dans la forêt] », qui évoque la cupidité humaine et les profondes crises humanitaires et écologiques.

Pour en savoir plus et soutenir l'Internationale Progressiste, achetez un exemplaire dès aujourd'hui.

Available in
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Date
31.05.2025
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