Colonialism

La sale alliance de la droite panaméenne

Les manifestations de masse au Panama contre les politiques néolibérales du président José Raúl Mulino, l’expansion militaire américaine et la réouverture d’une mine canadienne controversée se heurtent à une répression violente et à la suspension des droits constitutionnels.
Depuis le début de l’année 2025, les Panaméens se mobilisent contre le gouvernement de droite du président José Raúl Mulino, résistant aux réformes néolibérales, à la militarisation américaine et à la relance d’un projet minier canadien entaché de corruption. Les manifestations, menées par des syndicats, des groupes autochtones et des groupes de jeunes, ont été brutalement réprimées : arrestations de masse, meurtres et suspension des droits constitutionnels dans certaines régions. Mulino, un allié de longue date de l’impérialisme américain, est revenu sur ses promesses électorales, invitant les troupes américaines à revenir au Panama et s’inclinant devant les intérêts miniers canadiens.

« Nous vivons dans une dictature de droite. » C’est ainsi que Joyner Myron Sánchez, secrétaire général adjoint de l’organisation politique anti-impérialiste Juventudes Revolucionarias (Jeunes révolutionnaires, JR), décrit la situation au Panama aujourd’hui. « Si vous n’êtes pas d’accord [avec le gouvernement], vous pouvez soit aller en prison, soit être assassiné. »

Depuis le début de l’année 2025, les mouvements sociaux au Panama se mobilisent pour protester contre l’agenda économique néolibéral et la politique étrangère pro-américaine de leur président, José Raúl Mulino. Plus précisément, les Panaméens résistent à une réforme néolibérale de la sécurité sociale connue sous le nom de Loi 462, aux projets de réouverture d’une mine de cuivre canadienne largement décriée et à un accord de sécurité signé par les États-Unis et le Panama qui augmentera la présence militaire américaine dans le pays. Les autorités panaméennes ont réagi en arrêtant des milliers de personnes, en tuant plusieurs manifestants, et dans la province de Bocas del Toro, en suspendant des droits constitutionnels comme la liberté de réunion et les mandats d’arrêt.

Les gouvernements américain et canadien n’ont pas condamné cette répression. Cela est probablement dû au fait que les deux pays ont des intérêts matériels importants au Panama : pour les États-Unis, des intérêts militaires et stratégiques ; et pour le Canada, des investissements miniers. Les exigences anti-impérialistes des mouvements sociaux panaméens, à savoir le retrait militaire américain et l’annulation définitive d’un important contrat minier canadien, constituent un défi direct aux intérêts des deux gouvernements nord-américains.

Le soulèvement précédent

À la fin de l’année 2023, un soulèvement contre la société minière First Quantum Minerals, basée à Vancouver, a balayé le pays, paralysant l’économie panaméenne jusqu’à ce que le gouvernement accepte de fermer la mine. Dans un premier temps, le gouvernement a réagi par une répression intense pour protéger ce précieux projet, notamment en réprimant les syndicats et en détenant arbitrairement plus de 1 500 personnes. Quatre manifestants ont été tués pendant le soulèvement. À son apogée, la mine de Cobre Panama représentait environ 5 % du PIB du Panama et 40 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise. Cependant, des accords tâchés de corruption entre First Quantum et le gouvernement panaméen, l’impact environnemental inquiétant de la mine et la résilience des manifestants ont finalement entraîné l’annulation du contrat avec First Quantum et la fermeture de la mine.

L'élection générale de mai 2024 au Panama s'est tenue dans le contexte de ces événements. À l’approche des élections, tous les candidats se sont engagés à maintenir l’annulation du contrat largement impopulaire de First Quantum, y compris des candidats favorables aux entreprises comme Raúl Mulino. Mulino, qui n’est devenu candidat à la présidence qu’après que l’homme d’affaires de droite et ex-président Ricardo Martinelli a été rendu inéligible par une condamnation pour blanchiment d’argent, a fini par gagner avec 34 % des voix. La colère populaire contre le Parti révolutionnaire démocratique (PRD) au pouvoir était si intense qu’il n’a obtenu que 6 % des voix le soir des élections.

Mulino avait promis d’apporter la prospérité économique et l’harmonie sociale au Panama après des mois de protestation. Mais dès son entrée en fonction, il a immédiatement irrité les Panaméens en réclamant la réouverture de la mine canadienne.

Au cours de sa campagne, Mulino avait promis d’apporter la prospérité économique et l’harmonie sociale au Panama après des mois de manifestation. Mais dès son entrée en fonction, il a immédiatement irrité les Panaméens en réclamant la réouverture de la mine canadienne. « La mine a payé le prix du mécontentement national accumulé », a déclaré le président en novembre 2024. « Pour moi, l’exploitation minière est un enjeu d’une importance cruciale dans le contexte économique actuel du pays. »

La volte-face de Mulino sur la mine n’était pas seulement une question de considérations économiques. Il a aussi probablement cédé aux pressions pour plaire aux exploitants canadiens de la mine, une décision qui serait parfaitement plausible pour un homme qui a passé sa carrière politique à refuser de s'opposer à l’impérialisme occidental. Parfois, il l’a même courtisé directement.

Une histoire de soumission aux États-Unis

L’échec de José Raul Mulino à défendre la souveraineté panaméenne n’est guère surprenant compte tenu de ses liens avec les États-Unis. Il y a étudié et a activement courtisé leur intervention.

À la fin des années 1980, Mulino a fait pression pour une intervention américaine contre le chef militaire de l’époque, Manuel Noriega. Mulino était l’un des fondateurs de la Croisade Civique, un mouvement d’opposition qui comprenait des activistes et des syndicalistes mais qui a été fondé et dirigé par des hommes d’affaires qui estimaient que Noriega leur avait retiré leur pouvoir et leur influence. Cette faction espérait regagner son influence par une intervention étrangère, un souhait que les États-Unis étaient ravis de satisfaire. Ils ont envoyé 10 millions de dollars à l’opposition de Noriega pour se présenter aux élections de mai 1989. La victoire de l’opposition et son annulation par l’armée ont donné aux États-Unis un prétexte supplémentaire pour attaquer.

L’invasion états-unienne du Panama, pour laquelle Mulino et d’autres hommes d’affaires ont fait pression, a finalement tué des milliers de personnes et transformé le quartier pauvre d’El Chorrillo, dans la ville de Panama, en un « Petit Hiroshima ». L’influence de Mulino a été rapidement restaurée : il a été nommé ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement qui a succédé à Noriega. Ces histoires n’échappent pas aux manifestants d’aujourd’hui. Comme l’a déclaré Sánchez de JR : « [Mulino] faisait partie du groupe qui a demandé l’invasion militaire américaine. Il y a même des photos de lui en train de faire la fête à l’ambassade des États-Unis. Pendant ce temps, des Panaméens étaient assassinés par l’armée américaine.

Mulino a maintenu des liens étroits avec les États-Unis. De 2009 à 2014, il a été un proche conseiller du président Martinelli, dont l’administration a supervisé la signature de l’accord de libre-échange entre le Panama et les États-Unis. En tant que ministre de la Sécurité publique de Martinelli, Mulino a annoncé que l’armée américaine avait obtenu l’accès à deux bases navales panaméennes en raison de la lutte contre le trafic de drogue. Aujourd’hui président, Mulino a de nouveau approuvé la présence de troupes américaines au Panama, cette fois-ci avec la justification supplémentaire de « protéger » le canal de Panama.

La soumission de Mulino aux États-Unis – sur les questions militaires, la politique économique et le canal de Panama – est l’un des nombreux facteurs qui ont poussé les mouvements sociaux à l’action. Comme l'a dit un manifestant au média allemand DW : « Cet homme du gouvernement américain [Donald Trump] a décidé que le canal leur appartenait et au Panama, il a un président qui leur est obéissant. »

Protestation et répression

Le mécontentement de la population a commencé à prendre de l'ampleur en janvier 2025 au milieu des menaces de Donald Trump de « reprendre » le canal, que les États-Unis ont cédé au Panama en 1999. Les manifestants sont descendus dans la rue pour dénoncer les menaces de Trump et brûler des effigies du président américain.

Le mois suivant, le secrétaire d’État Marco Rubio s’est rendu dans la ville de Panama et a déclaré à Mulino que la présence économique de la Chine dans le canal était « inacceptable ». Mulino a compris le message : il a rapidement annoncé que le Panama reviendrait sur sa décision de 2017 de rejoindre la nouvelle route de la soie chinoise (Belt and Road Initiative). Pour de nombreux Panaméens, c’était un autre signe de l’empressement de Mulino à sacrifier la souveraineté du pays pour plaire aux États-Unis.

Cela ne s’arrête pas là. Mulino a accepté de fermer le passage par la région du Darién afin de limiter la migration irrégulière vers les États-Unis, et a proposé le Panama comme destination pour les « ressortissants de pays tiers », c’est-à-dire des personnes expulsées des États-Unis vers un pays qui n’est pas le leur. Pendant ce temps, en avril, Mulino a signé un accord de sécurité avec l’administration Trump qui donne la priorité aux navires américains dans le canal de Panama. L’accord verra également le personnel militaire états-unien effectuer des « séjours en rotation » sur des bases panaméennes.

La colère contre l’austérité néolibérale, la corruption minière canadienne et l’impérialisme américain ont convergé en un puissant mouvement de protestation dans lequel des personnes issues de tous les horizons de la société panaméenne ont joué un rôle crucial. Le plus grand syndicat des métiers du bâtiment du pays, SUNTRACS, a joué un rôle moteur dans les manifestations. En réponse, le gouvernement a fait une descente dans leurs bureaux, a annoncé de faux mandats d'arrêt contre ses membres, et a même forcé son chef, Saúl Méndez, à demander l’asile politique à l’ambassade de Bolivie.

Alors que SUNTRACS, aux côtés de dizaines de syndicats d’étudiants et d’enseignants, a organisé des manifestations massives dans la capitale, les travailleurs de la banane de Bocas del Toro se sont également mis en grève. Francisco Smith, le dirigeant de l’un de leurs principaux syndicats, SITRAIBANA, a été arrêté le mois dernier, accusé d’avoir orchestré des barrages routiers à Bocas del Toro. Avant son arrestation, des milliers de travailleurs de la banane avaient été licenciés par Chiquita — anciennement connue sous le nom de United Fruit Company — pour leur participation aux grèves.

Des groupes anti-mines opposés à la réouverture de Cobre Panama et des groupes de jeunes comme JR ont également rejoint les manifestations et ont été confrontés à la répression. Il en va de même pour les communautés autochtones Ngäbe-Buglé. On rapporte qu'ils auraient été surveillés par des drones et des hélicoptères, soumis à des coupures de courant délibérées et menacés par armes à feu.

Mulino, quant à lui, a insulté presque toutes les factions du mouvement de protestation. Il a qualifié les opposants à Cobre Panama de « parasites ». Il a déclaré que les manifestants étudiants se comportaient comme des « terroristes ». Ses forces de sécurité ont qualifié les grévistes de « radicaux » et de « vandales ». Aujourd’hui, le taux de désapprobation de Mulino est proche de 70 pour cent. Sous son régime d’austérité, seulement 9 pour cent des Panaméens pensent que leur pays va dans la bonne direction.

« Nous rêvons d’un Panama libre »

Les manifestations au Panama sont une lutte pour la souveraineté, le développement égalitaire et le droit même de manifester. La violence de la réponse de l’État doit être imputée d’abord et avant tout au président Mulino, qui a réprimé avec zèle, refusé de négocier et est revenu sur ses principales promesses de campagne. Cependant, en poussant à une plus grande domination militaire dans la région, les États-Unis sont également profondément impliqués dans les troubles.

Le gouvernement canadien l’est aussi. En 2023, lors du soulèvement national contre First Quantum, on rapporte que le silence des politiciens et des médias canadiens aurait été profondément déroutant pour les Panaméens qui s’attendaient à une certaine forme de condamnation de la corruption de l’entreprise. Cette fois-ci, l’histoire est à peu près la même. Mark Carney, élu premier ministre en tant qu’opposant à l’expansionnisme américain et défenseur stoïque de la souveraineté canadienne, n’a néanmoins rien dit sur les manifestations. Au lieu de cela, Carney a poursuivi la tradition des gouvernements canadiens soutenant les sociétés minières canadiennes dans les différends avec les gouvernements des pays du Sud.

Le Panama, longtemps soumis à la domination de puissances étrangères, a maintenant un président qui ne fait pas grand-chose pour riposter. Il n’est alors pas surprenant que la liberté soit le grand rêve des manifestants.

Comme l’a dit Sánchez : « Nous rêvons d’un Panama totalement libre, sans la moindre présence de l’impérialisme américain où que ce soit dans le pays. Notre hymne commence en proclamant que nous avons « finalement atteint la victoire ». C’est ce que nous voulons. Pour finalement obtenir notre véritable et unique victoire, qui est de se débarrasser des bottes de l’impérialisme qui nous écrasent et d’élever notre peuple afin de bâtir notre souveraineté, notre souveraineté réelle.

Owen Schalk est chroniqueur à Canadian Dimension. Il est l’auteur de Canada en Afghanistan : Histoire d’échecs militaires, diplomatiques, politiques et médiatiques, 2003-2023. (en anglais) Publié pour la première fois par NACLA.

Available in
EnglishSpanishPortuguese (Brazil)GermanItalian (Standard)FrenchArabic
Author
Owen Schalk
Translators
Dimitry Ricard, Promy De Valeur Idzala and Open Language Initiative
Date
16.09.2025
Source
JacobinOriginal article🔗
Privacy PolicyManage CookiesContribution SettingsJobs
Site and identity: Common Knowledge & Robbie Blundell