Les conférences des Nations unies sur le changement climatique en sont à leur vingt-sixième année. Cela fait plus de quarante ans que les compagnies pétrolières ont découvert puis dissimulé les connaissances sur le changement climatique. Des générations d'écolier·ère·s ont appris que notre Terre se réchauffe. Et pourtant, la crise se poursuit sans relâche. Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a établi cinq scénarios d'émissions. Toutefois, même dans le cas le plus optimiste, les températures de surface de la planète vont continuer à augmenter durant des décennies.
Des promesses de financement climatique de l'administration de Joe Biden à l'engagement de la Chine de ne pas construire de nouvelles centrales électriques au charbon, nous notons enfin des engagements de la part des grandes puissances mondiales. Trois problèmes subsistent néanmoins: le niveau de changement est insuffisant, les grand·e·s pollueur·euse·s restent bien implanté·e·s et capables de freiner les progrès, et les personnes les plus touchées par les impacts climatiques sont laissées pour compte.
Les actions ne suivent pas les paroles. Au Royaume-Uni, Boris Johnson est passé de son scepticisme climatique antérieur, au vol du vocabulaire de la « révolution industrielle verte » lancée par Rebecca Long-Bailey sous ma direction du parti travailliste. Malheureusement, il n'a pas volé la substance attachée à ces mots. Les objectifs du gouvernement en matière de changement climatique sont lacunaires et risquent de ne pas être atteints. De plus, l'argent que celui-ci a engagé est de loin inférieur à l'augmentation de ses dépenses pour les armes et la guerre.
Nous vivons aujourd'hui une crise qui reflète les sombres perspectives proposées par les gouvernements actuels en matière de changement climatique. Lors de la crise du coronavirus, notre réponse a raté sa cible et des vies ont été perdues à cause du nationalisme, de la poursuite du profit, de l'accumulation de vaccins, de la réduction délibérée de services essentiels par des gouvernements enclins à l'austérité, et du déni de la gravité de la crise.
Nous ne pouvons pas compter sur des politicien·ne·s chancelant·e·s pour gérer un système qui récompense les profits au détriment du bien public. Lors des événements que nous coordonnons avec les syndicats et les organisations de la société civile en marge de la COP26, j'insisterai sur un point élémentaire: notre avenir dépend de notre capacité à prendre le pouvoir en main.
Pour illustrer où nous en sommes, les impacts du changement climatique sur terre et en mer augmentent déjà les risques pour les moyens de subsistance, la santé, la biodiversité, les infrastructures et l'alimentation. Ce n'est pas seulement vrai pour les communautés qui dépendent directement des océans et des forêts. Partout, environ 800 millions de personnes vivant dans l'extrême pauvreté seront les plus touchées par les flambées des prix des aliments, découlant des perturbations de l'approvisionnement alimentaire liées aux conditions météorologiques extrêmes.
Qu'il s'agisse des millions d'agriculteur·trice·s indien·ne·s qui font à nouveau grève pour leur avenir, des initiatives de réensauvagement, des mouvements de défense des droits fonciers ou de la campagne pour le droit à l'alimentation menée ici en Grande-Bretagne, nous devons engager des discussions à l'échelle mondiale sur la manière de garantir à toustes l'accès à la nourriture, sur une Terre qui se réchauffe.
Nos villes, même dans les économies avancées, sont déjà polluées à un point inacceptable, présentant des risques sérieux pour la santé et la vie. Sans mesures d'atténuation, la chaleur et les inondations aggraveront considérablement cette situation. Des vagues de chaleur se produiront dans les villes, tandis que l'élévation du niveau de la mer, les ondes de tempête et les crues des rivières se combineront pour rendre les inondations plus probables. Qu'il s'agisse des opposant·e·s aux décisions visant à placer les communautés les plus pauvres et les minorités ethniques en première ligne de la pollution aérienne, des réseaux d'entraide qui ont fleuri pendant la pandémie de coronavirus ou des communautés qui élaborent des plans locaux de New Deal vert sur le modèle de Preston, nous devons réimaginer nos villes.
De nombreuses solutions à l'urgence climatique viendront de cette action collaborative et issue de la base. Mais cela ne suffit pas. Nous avons besoin de gouvernements qui ont la vision et le courage de freiner l'industrie des combustibles fossiles une fois pour toutes, en œuvrant ensemble au-delà des frontières pour y parvenir. La transition vers les énergies renouvelables doit être accélérée, et on doit assurer à des millions de personnes les compétences et de bons emplois bien rémunérés afin d’y arriver. La proposition du programme états-unien Civilian Climate Corps est un pas dans la bonne direction. Mais ce n'est que le début d'un New Deal vert mondial qui élimine le carbone de l'atmosphère et met de l'argent dans les poches des travailleur·euse·s.
L'extraction des combustibles fossiles n'est pas l’unique moyen pour une minorité de profiter du changement climatique. Lorsque le Texas a gelé plus tôt cette année (ce qui pourrait bien être lié au changement climatique), les fournisseurs d'énergie en ont profité pour rançonner les gens avec des factures énergétiques astronomiques. Le même risque est inhérent à la crise énergétique que traverse actuellement le Royaume-Uni. Ces situations sont souvent utilisées comme arguments contre les énergies renouvelables, plutôt que comme les arguments contre le capitalisme de catastrophe qu'elles devraient constituer.
Les crises liées au climat, de la désertification africaine aux incendies de forêt en Amérique du Nord, ont ceci en commun : elles poussent les gens à se déplacer. Selon une nouvelle étude de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge, les déplacements internes dus aux catastrophes ont augmenté l'an dernier, tant dans les pays du Sud que dans les économies avancées, et les 192 sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont confrontées aux impacts climatiques sous une forme ou une autre. Un New Deal vert mondial doit accomplir deux choses : fournir un financement climatique immédiat pour aider à l'adaptation et prévenir les déplacements, et démanteler l'industrie qui profite de ces migrations.
Un autre document publié avant la COP26 montre un chiffre inquiétant : les plus grand·e·s émetteur·trice·s mondiaux·ales dépensent jusqu'à quinze fois plus pour armer les frontières contre les futur·e·s réfugié·e·s lié·e·s au climat, que pour le financement climatique dans les pays les plus pauvres. Ce « mur climatique mondial » est déjà à l'origine de la violence aux frontières, détournant les investissements des véritables actions climatiques et procurant un faux sentiment de sécurité aux nations les plus puissantes.
L'industrie des frontières, de la surveillance et de l'armée, qui génère 68 milliards de dollars américains et abreuve abondamment ses lobbies pour obtenir ce qu'elle veut, a une porte tournante avec ses collègues profiteur·euse·s du climat dans l'industrie des combustibles fossiles, comme le soulignent les chercheur·euse·s. Imaginez si un tel financement et une telle imagination étaient appliqués pour mettre fin aux déplacements liés au climat, et pour développer des pactes mondiaux sur la protection des réfugié·e·s, à l'échelle des passeports Nansen accordés aux réfugié·e·s apatrides après la Première Guerre mondiale !
J'ai déjà affirmé dans le magazine Jacobin que l'urgence climatique est une question de classe. Elle punit le plus grand nombre et est alimentée par des systèmes élaborés par une minorité. Seule une immense redistribution du pouvoir peut empêcher la crise climatique de s'aggraver et peut bâtir un monde meilleur pour la suite. La situation nous apparaît souvent sombre. Mais lorsque nous nous rassemblons, nous avons les idées et le pouvoir de changer le monde.
J’appartiens à la génération qui a grandi après la Seconde Guerre mondiale et dans une société qui s’est reconstruite après une catastrophe, dans l'intérêt du plus grand nombre. Nous avons créé de nouvelles maisons dans de nouvelles villes, avons investi dans l'avenir de nos enfants et construit notre service national de santé, lequel reste à ce jour un monument vivant de ce que la compassion et la croyance dans le bien commun peuvent accomplir.
Face au changement climatique, nous pouvons faire encore davantage, en utilisant le pouvoir et les ressources à notre disposition pour préserver la vie humaine sur une planète florissante. N'attendons pas la fin d'une crise pour reconstruire !
Jeremy Corbyn est l'ancien leader du parti travailliste britannique et est encore député d'Islington North.
Photo: Sophia Brown, Wikimedia