Housing and Land Rights

Engins explosifs inexpliqués : un missile dans le désert occidental australien à l'origine d'une affaire historique à l'OCDE

Les essais d'armes militaires détruisent les sites du patrimoine aborigène. Cette nouvelle affaire enjoint à lutter contre les fabricants d'armes eux-mêmes.
Les essais d'armes effectués par l'armée australienne menacent depuis longtemps les terres et le patrimoine aborigènes, mais les efforts visant à tenir le gouvernement australien pour responsable se sont avérés largement infructueux. Aujourd'hui, après avoir découvert un missile non explosé sur un site culturel aborigène censé être protégé, Kokatha Badu Andrew et Robert Starkey déposent une plainte historique auprès de l'OCDE concernant les pratiques commerciales du fabricant d'armes Saab.

Des sites culturels importants du patrimoine aborigène continuent d'être mis en danger en Australie, malgré le tollé international provoqué par la destruction des grottes de Juukan Gorge, vieilles de 46 000 ans par Rio Tinto.

Cette fois, le coupable est l'armée australienne, qui effectue des exercices d'entraînement à balles réelles et des essais d'armes dans la zone interdite de Woomera (WPA). Dans le rayon d'action des missiles et des mortiers qui tombent, on trouve des preuves d'un engagement spirituel séquentiel s'étalant sur des siècles avec des gravures rupestres, des artefacts du patrimoine, des sites de fabrication d'outils, ainsi que des sites d'importance mythologique pour les populations autochtones.

Originaires de la région du désert occidental en Australie-Méridionale, Andrew et Robert Starkey, Kokatha Badu (personnalités respectées ou hommes de tradition) ont passé des décennies à référencer et à protéger les sites patrimoniaux sur leurs terres. Leurs ancêtres occupent la région depuis plus de 11 500 ans.

Une partie de la WPA traverse les terres des Kokatha tandis que la mine Olympic Dam de BHP, qui renferme le plus grand gisement d'uranium connu au monde, se trouve au nord. « Les lacs salés spectaculaires de la région font partie intégrante du paysage culturel autochtone et jouent un rôle important dans les récits du Temps du Rêve qui façonnent le pays », explique Andrew.

En janvier 2021, un groupe de propriétaires traditionnel·le·s de Kokatha qui inspectait des sites patrimoniaux a découvert un missile high-tech non explosé à un endroit où le ministère australien de la Défense affirme ne pas tester d'armes. Cependant, ce ministère opaque a refusé d'expliquer comment le missile, fabriqué par la multinationale Saab, s'est retrouvé près du lac Hart West, un site patrimonial autochtone référencé.

« Dans un rayon d'un kilomètre autour du missile, il y a plus de 20 éléments patrimoniaux, et des gravures rupestres inestimables ne se trouvent qu'à deux kilomètres de là », explique Andrew.

Il a fallu 12 mois pour retirer le missile. Un porte-parole du ministère de la Défense a confirmé qu'il avait été récupéré le 18 janvier 2022, ajoutant que la Défense avait « travaillé en étroite collaboration avec les propriétaires traditionnel·le·s pour localiser et récupérer le matériel de guerre ».

Le magnifique lac salé a le malheur d'être situé à l'intérieur de la zone rouge (la plus souvent utilisée) de la WPA. Une vidéo de 2018 et un tweet de 2019 montrent que les forces de défense australiennes (ADF) entreprennent un entraînement au tir réel avec des missiles Saab au-dessus du lac Hart. Ces essais sont autorisés au-dessus du lac ; les sites du patrimoine, qui se trouvent à proximité, sont eux interdits.

En septembre 2021, les Starkeys ont déposé une plainte au sujet du missile auprès du Australian National Contact Point (AusNCP) de l'Organisation de coopération et de développement économiques, qui met en œuvre les orientations de l'OCDE sur la « conduite responsable » des entreprises multinationales. Ce faisant, les Starkeys ont directement adressé leur plainte à Saab, le fabricant du missile, une démarche inhabituelle et courageuse.

Andrew explique qu’ils ont opté pour cette démarche en raison « de l'échec des efforts précédents pour régler ce problème avec la Défense ».

La ténacité des Starkeys à vouloir protéger leur patrimoine est compréhensible. Les témoignages recueillis par une commission d'enquête parlementaire australienne, créée après la destruction des grottes de Juukan Gorge, ont révélé à quel point les lois australiennes en matière de protection sont superficielles. Le président de la commission d'enquête, Warren Entsch, a constaté de « graves lacunes » dans la protection du patrimoine culturel autochtone. « Nous avons eu du mal à trouver des sites culturels autochtones qui soient protégés de manière adéquate », a déclaré M. Entsch. « Il est clair que le système tel qu'il est ne fonctionne pas. »

Si l'on ajoute à cela un éventail important d'intérêts contradictoires, un écosystème douillet de « partenaires » qui privilégient les intérêts économiques et militaires au détriment de la protection du patrimoine autochtone, on comprend vite à quoi les Starkeys sont confrontés. Mais ils ont dans leur équipe des talents impressionnants en matière de droit international relatif aux droits de la personne.

Une culture de l'impunité

Les témoignages verbaux (29 juin 2021) et les observations écrites (n° 42) des Starkeys dans le cadre de l'enquête sur la gorge de Juukan ont mis en évidence la destruction et la profanation de nombreux sites importants du patrimoine Kokatha et exposé le danger que représentent les munitions non explosées sur leur territoire.

Pendant des décennies, l'ADF a mené ses activités guerrières à Woomera avec peu de considération pour ce patrimoine et, apparemment, peu de considération pour la santé et la sécurité des Kokatha, comme l'a montré le témoignage d'Andrew. Ce manque de respect et de soin institutionnels a rendu difficile le rôle de protection du patrimoine des Starkeys.

La Défense affirme qu'elle gère ses activités conformément à la législation sur le patrimoine national mais, comme l'a constaté l'enquête sur la gorge de Juukan, la législation australienne offre peu de protection.

La Défense est connue pour son refus de répondre aux questions sur ses activités à Woomera, mais ses activités pourraient bientôt être mises en cause par la plainte de l'OCDE.

Les Starkeys sont représentés par le Dr John Pace, expert mondialement reconnu en matière de droits humains avec plus de 50 ans d'expérience, notamment aux Nations Unies, et John Podgorelec, avocat ayant plus de 20 ans d'expérience en droit international relatif aux droits humains.

Dans son témoignage lors de l'enquête sur la gorge de Juukan, le Dr Pace a noté qu'« il existe un écart très important entre la législation [australienne] et les normes internationales... Cette situation a contribué à créer des cas graves de destruction du patrimoine autochtone et une culture de l'impunité ». L'Australie devait s'attaquer d'urgence à combler ces lacunes et mettre sa législation nationale en conformité avec ses obligations internationales.

Le monde a été choqué de voir la « culture de l'impunité » de l'Australie à l'égard du patrimoine autochtone révélée par la catastrophe de Juukan Gorge. La même culture existe au sein du ministère de la Défense et des activités de la WPA. Pourtant, à l'exception d'images glamour publiées à des fins promotionnelles, le ministère de la Défense parvient à dissimuler ces activités. Les photos que les Starkeys ont soumises à l'enquête ont offert un rare aperçu de la réalité du terrain, devenant le catalyseur de la plainte de l'OCDE.

Les Starkeys veulent que leurs terres soient sécurisées et leurs sites patrimoniaux préservés pour les générations futures. La procédure étant toujours en cours, l'équipe juridique des Starkeys ne peut fournir de détails spécifiques. Un résumé sur le site Internet de l'OCDE fait état d'une demande de médiation, comprenant une étude d'impact, une compensation financière et, chose intrigante, « une cessation temporaire des services d'approvisionnement de l'entreprise ». Cela signifie probablement qu'ils demandent à Saab de cesser de fournir des missiles à la Défense jusqu'à ce que les Starkeys puissent être sûrs que leurs sites patrimoniaux sont en sécurité.

L'Australie n'a jamais connu une telle affaire auparavant. C'est également une première en matière de plaintes à l'OCDE.

« Bien que les fabricants d'armes aient été poursuivis par le biais des orientations de l'OCDE, la plainte dans le contexte actuel est unique », déclare M. Podgorelec. « Si elle aboutit, elle pourrait se répercuter sur la communauté internationale des fabricants d'armes multinationaux ».

Il est peu probable que ces multinationales veuillent prendre le risque de voir leur réputation entachée par une plainte confirmée par l'OCDE.

Les orientations de l'OCDE stipulent que même si un pays n'agit pas conformément à ses obligations internationales en matière de droits humains, les entreprises multinationales sont toujours censées respecter les droits humains dans toute la mesure du possible.

L'entreprise suédoise Saab AB s'est engagée à appliquer les dix principes du Pacte mondial des Nations unies et à les intégrer dans son code de conduite. Son principal actionnaire, qui détient une participation de 30 pour cent dans Saab, est Investor AB (une holding d'investissement suédoise). Ce dernier a des directives d'investissement qui imposent aux entreprises de signer et d'adhérer au Pacte mondial des Nations unies, à la Déclaration universelle des droits humains et aux principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales.

Les intérêts conflictuels et la « chaise musicale »

La longue série d'intérêts conflictuels révélés par cette affaire des missiles est stupéfiante.

Les conflits commencent au sommet où le premier ministre de l'Australie-Méridionale, Steven Marshall, est responsable à la fois du portefeuille des affaires aborigènes et de celui de l'industrie de la défense.

L'industrie de la défense est importante pour l'économie de l'État et bénéficie d'un soutien politique généreux. L'Australie-Méridionale est le seul État australien à posséder une agence gouvernementale autonome pour les questions de défense, Defence SA. Centre important de l'industrie de la défense, l'Australie-Méridionale a bénéficié de l'augmentation des dépenses consacrées à l'achat d'armes ces dernières années par le gouvernement fédéral australien.

L'un des bénéficiaires a été Saab, dont les dossiers du ministère australien des Finances révèlent qu'il a obtenu 1,4 milliard de dollars de contrats de la part de la Défense depuis 2016.

La « chaise musicale » des cadres supérieur·e·s entre Defence SA et Saab est également digne d'intérêt.

Le directeur général de Saab Australia, Andy Keough, a été PDG de Defence SA de 2015 à 2017 avant d'être débauché par Saab. M. Keough a été remplacé en tant que PDG de Defence SA en 2017 par Richard Price, qui avait occupé un poste de direction chez Saab à Stockholm de 2013 jusqu'à ce qu'il rejoigne l'équipe de M. Keough à Defence SA en 2016. Avant que M. Price ne s'installe à Stockholm en 2013, il avait été directeur général de Saab Australie.

En outre, en tant que PDG actuel de Defence SA, M. Price est également membre du conseil consultatif de la WPA, le principal organe de gouvernance du « cadre de coexistence » de la WPA.

Alors que le gouvernement proclame son engagement en faveur de la coexistence avec les populations autochtones au sein de la WPA, cette aspiration n'est guère plus qu'un leurre. Le conseil d'administration n'a pas eu de président·e indépendant·e depuis sa création et continue de ne pas respecter cette exigence fondamentale. Sa présidente actuelle, Amanda Vanstone, ancienne ministre du gouvernement fédéral Howard, est membre du conseil d'administration de la filiale australienne de Lockheed Martin, le plus grand fabricant d'armes au monde. Lockheed Martin fabrique l'avion de combat F-35 de la RAAF, testé à Woomera, où sont également testées des armes hypersoniques et bien d'autres encore. Lockheed s'est associé à Saab pour fournir des systèmes de combat sophistiqués dans le cadre de plusieurs projets de construction navale en Australie méridionale.

« Ce phénomène de “chaise musicale”... est au final mauvais pour les affaires et encore plus pour la protection du patrimoine autochtone », déclare le Dr Pace, qui a une longue expérience des droits humains se heurtant aux intérêts des entreprises.

« De tels organismes donnent l’illusion du respect des normes internationales de responsabilité, mais servent à neutraliser l'objectif pour lequel ils ont été créés. Les investisseurs doivent être conscients de ces réalités contraires à l'éthique ».

Soit dit en passant : l'ancien ministre australien des finances Mathias Cormann dirige aujourd'hui l'OCDE, tandis que son « ami proche » Peter Dutton est le ministre australien de la défense.

M. Podgorelec affirme que les nations et les entreprises européennes font généralement preuve d'un plus grand respect du droit et des accords internationaux. Si les investisseurs de conglomérats européens tels que Saab se rendaient compte que les lois internationales étaient bafouées, ils pourraient faire pression, comme l'a fait l'Australie. La catastrophe de Juukan Gorge a eu de graves répercussions sur Rio Tinto.

L'évaluation initiale de la plainte Starkeys par l'AusNCP de l'OCDE pourrait être publiée au début du mois de mars, bien qu'un·e porte-parole du département du Trésor australien·ne (qui assure le secrétariat de l'AusNCP) ait déclaré que le rapport « sera publié en temps voulu après consultation du Conseil consultatif et de gouvernance de l'AusNCP et des parties à la plainte ».

 Note : Le département de la Défense (y compris le bureau de coordination de la WPA) et le premier ministre, Steven Marshall, ont été contactés pour des commentaires. Le premier ministre n'a pas répondu. Le ministère de la Défense n'a pas répondu aux questions posées, mais a fourni les informations mentionnées dans l'article.

Michelle Fahy est une chercheuse et écrivaine qui enquête sur les liens étroits entre l'industrie de l'armement et le gouvernement australien. Son travail a été publié dans diverses publications indépendantes, notamment Arena Magazine, Declassified Australia, Consortium News et Michael West Media. Elle est présente sur Twitter @FahyMichelle et ses archives se trouvent sur undueinfluence.substack.com

Available in
EnglishFrenchPortuguese (Brazil)Spanish
Author
Michelle Fahy
Translator
Roxane Valier-Brasier
Date
18.02.2022
Source
ArenaOriginal article🔗
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