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Plus d’un million de personnes dans la rue, mais Macron ne recule pas

Les mobilisations contre la réforme des retraites ont atteint un niveau historique, jeudi 19 janvier. Les syndicats, unanimes, ont appelé à une seconde journée de manifestations et de grève le 31 janvier. S’exprimant depuis l’Espagne, le président n’a rien cédé.
Les objectifs étaient ambitieux, et ils ont été largement remplis. La première journée de mobilisation contre la réforme des retraites, jeudi 19 janvier, a été un succès incontestable pour les syndicats, unis dans leur protestation. Dans toute la France, les défilés ont fait le plein, et les pourcentages de grévistes dans les secteurs les plus offensifs sont impressionnants.
Les objectifs étaient ambitieux, et ils ont été largement remplis. La première journée de mobilisation contre la réforme des retraites, jeudi 19 janvier, a été un succès incontestable pour les syndicats, unis dans leur protestation. Dans toute la France, les défilés ont fait le plein, et les pourcentages de grévistes dans les secteurs les plus offensifs sont impressionnants.

Tous les témoignages recueillis dans les cortèges (lire ici notre récit) convergent pour rejeter le projet d’Emmanuel Macron de faire reculer l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, et de porter plus vite que prévu à 43 annuités la durée de cotisation nécessaire pour obtenir le « taux plein ».

Selon les décomptes officiels du ministère de l’intérieur, 1,12 million de personnes ont défilé en France durant la journée, dont 80 000 à Paris. Les rassemblements ont donc tutoyé les plus hauts niveaux de fréquentation mesurés par les autorités, pour des rassemblements à l’initiative des organisations de salarié·es, de ces trente dernières années : les plus grosses manifestations contre les réformes des retraites de 1995, de 2003 et de 2010 avaient elles aussi dépassé le million de participants, avec comme point culminant 1,13 million de personnes le 13 mai 2003.

La barre symbolique du million de personnes dans la rue, fixée par avance par le dirigeant de la CGT Philippe Martinez, a été dépassée. Ce dernier peut donc s’estimer satisfait, et a d’ailleurs affirmé jeudi en début de soirée que deux millions de manifestants avaient défilé dans tout le pays.

À Paris, la préfecture de police a compté 80 000 manifestants, là où elle en avait dénombré au maximum 90 000, le 12 octobre 2010. La CGT, elle, revendique 400 000 personnes dans les rues de Paris. Un chiffre certainement surévalué, mais bien malin qui pourrait donner un décompte exact, tant le défilé dans la capitale a été éclaté : compte tenu du nombre impressionnant de participant·es, les forces de sécurité ont autorisé différents itinéraires au départ de la place de la République, d’autres ont rejoint directement le défilé place de la Bastille, et toutes et tous n’ont pas, de loin, continué le parcours jusqu’à son terme de la place de la Nation.

La mobilisation a été particulièrement marquée dans les métropoles régionales : 38 000 personnes à Lyon, selon les syndicats (23 000 selon la préfecture) ; 50 000 à Toulouse (36 000 selon le comptage de la police) ; 60 000 personnes à Bordeaux (16 000 selon la police) ; 40 000 à Nantes (26 000 selon la police) ; 25 000 à Rennes (17 000 selon la police) et à Montpellier…

Mais le signal le plus fort vient des villes moyennes, où la participation a été exceptionnellement élevée, au point qu’elle a largement surpris. Dans les cortèges, les enseignant·es, les fonctionnaires, les postiers et postières se sont retrouvé·es aux côtés des artisan·es, des commerçant·es et des personnels de santé.

À Alençon (Orne), plus de 5 000 personnes ont ainsi manifesté. À Périgueux (Dordogne), elles étaient plus de 8 500, selon le comptage de Sud Ouest. À Valenciennes (Nord), 8 000, et à Angoulême (Charente) et Alès (Gard), elles étaient 12 000. Quant à Mende, la température était de – 10 °C, la police y a compté 1 800 manifestant·es : historique pour cette ville de 11 000 âmes. Petit symbole : plusieurs milliers de personnes ont aussi défilé à Annonay (Ardèche), qui fut longtemps le fief du ministre du travail, Olivier Dussopt.

Place de la Bastille, à Paris, le 19 janvier. © Photo Marie Magnin pour Mediapart

Côté grévistes, le pari est lui aussi largement réussi. Dans l’éducation, le Snes-FSU, premier syndicat du secondaire, a fait état d’un taux de 65 % des professeurs de collèges et lycées grévistes, et le Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire, a recensé 70 % d’enseignants grévistes. Le ministère, qui ne comptabilise que les enseignants devant prendre leur classe à 8 heures, a annoncé un taux de grévistes de 42 % en primaire et de 35 % dans les collèges et lycées.

Dans les transports, quasiment aucun train régional et très peu de TGV ont circulé (46 % des salarié·es de la SNCF étaient en grève, dont 77 % des conducteurs de trains de voyageurs, selon les syndicats), quand le métro parisien tournait au ralenti et que la grande banlieue était très peu desservie.

Les 44,5 % d’agents EDF officiellement en arrêt de travail ont procédé à des baisses de production dans les barrages et les centrales nucléaires, rendant le parc nucléaire disponible à 63 % de sa capacité totale à midi, contre 72 % prévus. Et chez Engie, on a compté 40 % des effectifs en grève. Dans les raffineries, la CGT de TotalEnergies a indiqué qu’entre 70 % et 100 % de l’ensemble des salarié·es, selon les sites, étaient à l’arrêt.

Deuxième journée de manifestation syndicale le 31 janvier

Pour enfoncer le clou, les syndicats, après plus d’une heure et demie de discussion, ont donné rendez-vous mardi 31 janvier pour une deuxième journée de mobilisation, un jour après le début de la discussion du projet de loi en commission à l’Assemblée. Entre-temps, samedi 21, les organisations de jeunesse, rejointes par La France insoumise, auront à leur tour évalué leurs forces dans la rue.

La date retenue par les syndicats apparaîtra plutôt lointaine aux yeux des militant·es qui souhaitaient ne pas faire baisser la pression : certain·es étudiaient sérieusement la possibilité d’appeler à une grève reconductible dans les prochains jours, et presque tout le monde pensait que la prochaine manifestation aurait lieu moins de huit jours après cette première journée réussie.

Il faut sans doute voir dans ce choix prudent la volonté de ne pas faire éclater l’intersyndicale, qui compte aussi bien dans ses rangs la frange la plus dure de la CGT, de FO et de Sud Solidaires, et les syndicats dits réformistes, peu habitués à exercer un bras de fer vigoureux dans la rue.

Toutes les organisations sont conscientes du poids symbolique de leur unité, dont le symbole le plus éclatant est le partenariat noué entre Philippe Martinez et son homologue de la CFDT Laurent Berger. Dans le défilé parisien de ce jeudi, ils ont posé côte à côte tous les deux en tête du carré officiel, engrangeant les images historiques – sur les retraites, on ne trouvait plus ni accord syndical, ni harmonie entre CFDT et CGT, depuis 2010.

Interrogé par Mediapart dans la manifestation, Laurent Berger a revendiqué sa bonne entente – réelle, les deux hommes s’apprécient – avec « Philippe », et martelé la détermination de son organisation : « Nous sommes en accord [avec la CGT] pour dire qu’on est contre le report de l’âge légal de départ en retraite », a-t-il assuré, poursuivant : « Cette réforme est néfaste pour les travailleurs, notamment pour les travailleurs qui sont dans les situations les plus difficiles. »

Les partis de gauche ont également affiché leur union à Paris. Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts, Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste ou encore Mathilde Panot, présidente du groupe parlementaire de La France insoumise, étaient présents sur la photo de famille. Jean-Luc Mélenchon, lui, a défilé à Marseille (Bouches-du-Rhône). 

« Le moment est venu de relever la tête. Depuis 2010, il n’y avait pas eu une telle union, il faut la chérir », a déclaré Marine Tondelier, annonçant déjà « le début de la fin du macronisme ».

L’union dans la durée entre tous les syndicats et les partis de gauche sera sans doute nécessaire pour ébranler le pouvoir, si l’on en croit les premières réactions d’Emmanuel Macron. Parlant jeudi après-midi depuis Barcelone, où une grande partie de l’exécutif était réuni pour célébrer la bonne entente franco-espagnole, le président n’a pour l’heure pas dévié de sa ligne.

« Si nous voulons être justes entre les générations et sauver notre système par répartition, nous devons faire cette réforme », a-t-il assuré. Il a aussi affirmé que « les choses avaient été dites clairement » au moment des élections présidentielle et législatives, estimant que la réforme avait « donc été démocratiquement présentée, validée ».

La première ministre Élisabeth Borne a été plus prudente : « Je salue l’engagement des forces de l’ordre, comme des organisations syndicales, qui ont permis aux manifestations de se dérouler dans de bonnes conditions, a-t-elle déclaré sur Twitter. Permettre que les opinions s’expriment est essentiel pour la démocratie. Continuons à débattre et à convaincre. »

Pour convaincre, encore faut-il manier les bons arguments. Et donc ne pas brandir à tout propos la volonté de « sauver » le système de retraites français, alors que le but de l’exécutif est avant tout de réaliser des économies rapides. Le président du Conseil d’orientation des retraites était justement auditionné ce jeudi à l’Assemblée, par les commissions des finances et des affaires sociales.

Et Pierre-Louis Bras a rappelé quelques évidences, comme il le fait depuis le printemps dernier : « Les dépenses de retraite ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées », a-t-il redit aux député·es, soulignant même que « dans la plupart des hypothèses, elles diminuent plutôt à terme ».

Dans ses interventions, il a l’habitude de rappeler que le choix du gouvernement peut s’expliquer d’une manière fort simple : du point de vue des finances publiques, les dépenses de retraites ne sont pas compatibles avec le « programme de stabilité » tel qu’il a été communiqué par le gouvernement à la Commission européenne. Ce document, qui est censé engager la France, prévoit une croissance des dépenses publiques de seulement 0,7 % (hors inflation) par an. Or, sans réforme, les dépenses de retraites, qui représentent un quart des dépenses publiques, devraient augmenter de 1,5 % par an ces dix prochaines années en moyenne…

La bataille est donc loin d’être terminée, malgré cette première manche incontestablement remportée par les syndicats. « On ne peut pas avoir une poignée de personnes qui génèrent une pagaille pour des millions de Français », avait déclaré le 15 janvier Aurore Bergé, présidente du groupe macroniste à l’Assemblée. Les manifestant·es pourraient lui retourner le compliment, et refuser désormais qu’« une poignée » de responsables politiques s’arc-boutent dans un bras de fer contre « des millions de Français ».

Dan Israel a rejoint le service Economie de Mediapart en novembre 2012, pour s'intéresser aux entreprises au sens large. Après avoir développé une certaine obsession pour l'évasion fiscale, il se consacre désormais au monde du travail et à ses enjeux. Coordinateur du service économie-social.

Photo: Marie Magnin / Mediapart

Available in
EnglishFrench
Author
Dan Israel
Date
26.01.2023
Source
Original article🔗
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