Environment

Le déraillement catastrophe en Ohio est un cas d'étude du capitalisme du désastre

Les cheminot·e·s expliquent que l'industrie ignore depuis longtemps leurs revendications de meilleurs protocoles de sécurité.
Alors que l'indignation publique s'est accrue face aux retombées toxiques du violent déraillement le mois dernier d'un train de marchandises Norfolk Southern à East Palestine, dans l'Ohio, les questions urgentes derrière cette catastrophe font écho aux conflits de l'année dernière sur les conditions de travail dans une industrie ferroviaire peu réglementée.
Alors que l'indignation publique s'est accrue face aux retombées toxiques du violent déraillement le mois dernier d'un train de marchandises Norfolk Southern à East Palestine, dans l'Ohio, les questions urgentes derrière cette catastrophe font écho aux conflits de l'année dernière sur les conditions de travail dans une industrie ferroviaire peu réglementée.

En effet, la catastrophe dans l'Ohio, ainsi qu'un autre déraillement dangereux à Houston, au Texas, à peine une semaine plus tard, soulignent les coûts élevés en matière de santé et de bien-être que nous encourons tous lorsque nous ne répondons pas aux appels des cheminots pour plus de réglementation et de ressources humaines adéquates.

Alors que les cheminot·e·s cherchaient à obtenir des garanties de personnel et de congés maladie de la part de transporteurs ferroviaires habitués depuis longtemps à sous-doter en main-d'œuvre et à obtenir des concessions réglementaires majeures de la part des agences fédérales, iels ont souligné comment les exigences insoutenables imposées à leur vie professionnelle entraîneraient des catastrophes identiques à celle d'East Palestine. Le village du nord-est de l'Ohio d'environ 5 000 habitant·e·s se trouve à 40 milles au nord-ouest de Pittsburgh et à 20 milles au sud de Youngstown ; ces zones sont déjà sous alerte pour contamination de l'air et de l'eau provenant du déraillement d’East Palestine. Et à East Palestine même, de nombreux·ses habitant·e·s signalent déjà qu'iels ont des symptômes inquiétants et que la faune de la région est en train de mourir, alors qu'iels évaluent les risques de rester exposé·e·s aux fumées toxiques et aux fuites chimiques des wagons-citernes ayant déraillé en transportant des matières dangereuses.

Immédiatement après le déraillement, les responsables des chemins de fer ont ordonné que le chlorure de vinyle transporté par cinq des wagons de Norfolk Southern dans le train de 150 wagons soit brûlé pour éviter une explosion encore plus importante, mais cette action a envoyé du chlorure d'hydrogène et du phosgène, deux dangereux gaz, jaillir dans l'air. Les enquêteur·euse·s de l'EPA ont depuis identifié d'autres produits chimiques dangereux que le train transportait, notamment de l'éther monobutylique d'éthylène glycol, de l'acrylate d'éthylhexyle, de l'isobutylène et de l'acrylate de butyle. Et l'EPA a publié un rapport indiquant que les produits chimiques du déraillement se sont infiltrés dans le sol et l'eau à la suite de l'accident.

"Nous essayons de partager nos préoccupations à ce sujet depuis un certain temps maintenant", a déclaré Ross Grooters, actuel employé des chemins de fer et co-secrétaire de Railroad Workers United. "Ce n'était pas une question de savoir si cela allait arriver. C'était "quand et où", et malheureusement, il y a de fortes chances que cela se reproduise autre part si les causes profondes du problème ne sont pas résolues".

Les travailleur·euse·s de base qui s'organisent au sein de Railroad Workers United (RWU) ont mené des campagnes de pression très médiatisées pour améliorer la sécurité ferroviaire et conserver le personnel. Jason Doering, un organisateur de RWU et un représentant législatif de SMART Nevada, affirme que concentrer l'attention de l'industrie et de la réglementation sur la menace de déraillements est un défi constant. Les cheminot·e·s de Fight for Two Person Crews ont mené une campagne conjointe pour faire pression sur les législateurs des États et du gouvernement fédéral afin qu'ils créent et appliquent des normes pour une dotation en personnel ferroviaire plus sûre : un minimum obligatoire de deux personnes dans les trains de marchandises. L'année dernière, la Federal Railroad Administration a proposé de rétablir la règle d'équipage de deux personnes et a ouvert une consultation publique en décembre 2022. Au cours de cette période de consultation publique pour le changement de règle, plus de 13 000 commentaires ont été enregistrés en sa faveur.

Alors que l'attention du pays est désormais fixée sur la catastrophe survenue à East Palestine, les réformateur·trice·s disent que le moment est venu d'agir. "C'est une opportunité pour nous de vraiment identifier les risques de sécurité dans l'industrie", a déclaré Greg Regan, président du département des métiers du transport de l'AFL-CIO (TTD). Il a noté que le TTD travaillait à l'amélioration de la sécurité ferroviaire pour les travailleur·euse·s et les communautés locales sur le trajet du trafic de marchandises. "Je pense que c'est quelque chose que vous entendrez de la part de nombreux·ses cheminot·e·s et de personnes qui ont vu en quelque sorte les changements dans l'industrie, la détérioration des réductions drastiques de main-d'œuvre et l'accent mis sur la vitesse plutôt que sur la sécurité."

Les cheminot·e·s insistent depuis des années sur le fait que les réductions de personnel que les transporteurs ferroviaires ont effectuées pour gonfler leurs résultats créeraient une crise de sécurité dans l'industrie. "Grâce à PSR [Precision Scheduled Railroading], ils ont réduit les niveaux de personnel, non seulement pour le côté exploitation, mais aussi pour la maintenance… et en gros pour tous les métiers de la ligne", a déclaré Doering. Ces graves pénuries de personnel signifient également que les lignes de fret sont soumises à des inspections incomplètes ou peu fréquentes, ce qui aggrave les risques de catastrophe environnementale.

« Les pertes d'emplois dont nous avons été témoins et dont nous avons entendu parler au cours des quatre à cinq dernières années ont un prix. Souvent, ce prix est la sécurité publique », a déclaré un cheminot qui a requis l'anonymat face aux représailles potentielles de ses employeurs. "Les chemins de fer interrompent l'entretien des voies et les voies sont moins inspectées… Je pense que le chemin de fer considère ces déraillements comme le coût de faire des affaires tout en restant profitable".

Grooters souligne que les problèmes de normes réglementaires et de travail sont à l'échelle du système. "Il n'y a pas une seule cause à cela, et il n'y a pas une seule solution. C'est une série d'échecs », ont-ils déclaré. Avec "toutes ces couches de protection qui ont été supprimées, cela s'est en quelque sorte parfaitement aligné pour créer cela. C'est exaspérant et effrayant, et les gens devraient s'inquiéter".

Cet avertissement est devenu plus urgent avec le déraillement de l'Union Pacific à Houston, qui a tué un chauffeur de camion et envoyé plus de 20 wagons, dont certains transportaient des matières dangereuses, hors des voies. « Les données communiquées par la Federal Railroad Administration montrent que la fréquence des accidents augmente », a déclaré Regan. "L'industrie ferroviaire vous dira que le nombre de déraillements et le nombre d'accidents ont diminué, mais si vous le prenez sur la base des données qui mesurent les accidents par mille de train, cela a en fait augmenté sur trois des quatre grandes voies." Et cela se traduit par un risque accru pour les cheminot·e·s et les communautés environnantes, ajoute-t-il : "C'est pourquoi nous nous battons constamment pour... maintenir les normes de sécurité que nous avons et les améliorer."

En fin de compte, cependant, les cheminot·e·s – qui ont été bloqué·e·s par la Maison-Blanche et Biden dans leur quête de protections basiques de travail telles que les congés maladie – ne peuvent pas être la seule force tenant les transporteurs ferroviaires responsables des questions critiques de sécurité publique. Le ministère des Transports, qui a longtemps traité les transporteurs ferroviaires comme des clients plutôt que comme des sujets de réglementation, doit faire face à la crise actuelle de sécurité publique par des mesures réglementaires plus étendues et plus robustes. "Il est plus évident que jamais que le DOT doit agir pour augmenter les cycles de maintenance et d'inspection de toutes ces voitures sur nos pistes, et pas seulement des matières dangereuses, mais de toutes", a déclaré Doering.

Grooters est d'accord : « Il faudra plus qu'un contrat de travail pour résoudre certains de ces problèmes… Il faudra une réglementation gouvernementale… En fin de compte, les chemins de fer ne feront pas ce qu'ils doivent faire pour assurer la sécurité des travailleur·euse·s et des communautés que nous traversons, à moins qu'ils ne soient obligés de le faire". Pendant trop longtemps, l'industrie et le gouvernement ont été sourds à la recherche de garanties fondamentales de surveillance et de sécurité publique.

Mel Buer est rédactrice en chef adjointe et journaliste spécialisée sur le travail pour le Real News Network. Elle a précédemment rendu compte des manifestations et mouvements locaux lors du soulèvement de 2020 et écrit actuellement un livre sur les médias radicaux pour OR Books.

Photo : National Transportation Safety Board / Wikipedia

Available in
EnglishFrench
Author
Mel Buer
Translators
Antoine Gaboriau and Valérie L'Heureux
Date
08.03.2023
Source
Original article🔗
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