Statements

Thomas Sankara: Nous préférons un pas avec le peuple que dix pas sans le peuple !

Le discours prononcé par Thomas Sankara, du Burkina Faso, lors du sommet du Mouvement des non-alignés à New Delhi en mars 1983.
"Vive la coopération internationale, vive la solidarité des peuples des pays non alignés, vive la paix, la sécurité et l’indépendance et le progrès de tous les peuples."
"Vive la coopération internationale, vive la solidarité des peuples des pays non alignés, vive la paix, la sécurité et l’indépendance et le progrès de tous les peuples."

Madame le Président, Excellences, Messieurs les Chefs d’État et de gouvernement, honorables, délégués,

Au nom du peuple voltaïque, au nom du Conseil de Salut du Peuple, de son président le médecin Commandant Jean Baptiste Ouedraogo, et en mon nom personnel,  je voudrais tout d’abord remercier et féliciter le peuple et le gouvernement indien d’avoir accepté d’abriter le 7eme sommet du mouvement des non alignés ce qui nous donne l’agréable occasion de nous retrouver dans cette admirable et historique cité de New Delhi pour débattre dans une atmosphère d’amitié et de bonne volonté réciproque des problèmes de la paix et de l’avenir de l’humanité.

Ma délégation et moi-même avons été particulièrement sensibles à l’accueil chaleureux entièrement conforme à la longue tradition d’hospitalité de courtoisie et de solidarité qui constitue un des nombreux éléments de réputation du peuple indien et de sa brillante civilisation à travers le monde, accueil dont nous le remercions profondément.

Madame le Président permettez moi à suite des délégations qui m’ont précédé à cette tribune de  vous exprimer mes plus vives félicitations pour votre brillante élection à la présidence du Sommet et des travaux de notre mouvement. Je le fais avec d’autant plus de plaisir et de sincérité que vos incontestables qualités d’homme d’Etat et votre longue expérience personnelle des problèmes qui sont ceux de tous les pays ici représentés, ainsi que la place éminente occupée par l’Inde dans le mouvement des non alignés dès l’aube de sa naissance sont des gages certains de la réussite de nos travaux et du développement continu de notre cause commune.

Durant les 3 années où il a eu à diriger notre mouvement, le président Fidel Castro a fait preuve de qualités hors pair, ce qui a renforcé notre dignité et notre crédibilité.

Nous voudrions lui redire toute notre satisfaction et notre profonde considération

Au nom du peuple voltaïque, du Conseil du Salut du Peuple et du gouvernement voltaïque, je salue ici les représentants des peuples et les gouvernements frères et amis auxquels nous lient une histoire commune faite de souffrance coloniale ou néocoloniale, de lutte douloureuse et héroïque pour notre liberté et notre indépendance et maintenant un destin commun dans la recherche de la paix, la consolidation de notre indépendance, et le développement juste et équilibré de l’humanité.

Je salue également les nouveaux membres de notre mouvement à savoir, les Bahamas, la Colombie, La Barbade et Vanuatu. Leur admission au sein de son alignés sera sans aucun doute un apport fécondant pour la consolidation de nos luttes communes

Après les concertations préliminaires de la conférence de Bandung qui affirma avec éclat à la face du monde et par la voie des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, le droit à l’autodétermination et à l’indépendance des peuples coloniaux, donnant ainsi le signal décisif de l’ébranlement et de l’effondrement généralisé de l’odieux système colonial, le mouvement des non alignés est né voici maintenant 22 ans à Belgrade à l’initiative de ses pères fondateurs qui ont pour noms, Nehru, Sukarno, Nasser, Tito, des héros de l’humanité et dont l’histoire gardera éternellement la marque profonde.

D’autres après eux ont joué un rôle dynamique pour valoriser notre mouvement, lui éviter la sclérose que l’impérialisme et le néocolonialisme affolés tentaient de lui imposer par les chantages économiques et politiques. Permettez-moi de ne citer que Kwamé Nkrumah et de Boumediene dont nous nous souviendrons toujours avec un profond respect.

Du premier sommet de Belgrade en 1961 au second du Caire en 1964, de celui de Lusaka en 1970, à celui d’Alger en 1973, de celui de Colombo en 1976 à celui de la Havane en 1979 et maintenant à celui de New Delhi, notre mouvement n’a cessé de confirmer et d’étendre son audience, de se préciser et de s’affirmer dans le monde à travers ses objectifs et ses nobles idéaux comme une force de paix, comme une force de raison, comme enfin la conscience profonde et courageuse d’un monde que l’impérialisme voudrait voir éternellement soumis à sa domination, à son pillage et à ses massacres aveugles. Car né en pleine guerre froide le mouvement des non-alignés s’est voulu tout d’abord comme une force représentant l’aspiration profonde de nos pays à la liberté à l’indépendance et à la paix  face aux blocs hostiles en présence, comme une force affirmant notre droit de pays,  et de peuple souverain à choisir librement et sans inféodation nos propres voies pour le progrès de nos peuples à choisir librement nos amis dans le monde sur la base de leur attitude concrète devant l’aspiration de nos peuples à la libération du joug colonial, néocolonial ou raciste à l’indépendance, à la sécurité, à la paix et au progrès économique social.

Contrairement à l’interprétation restrictive et simpliste que l’impérialisme veut nous imposer comme définition du non-alignement, celui-ci n’a rien à voir avec une équidistance arithmétique des deux blocs qui dominent le monde ou un équilibrisme ridicule des traumatisés entre ces deux blocs, toute chose qui n’ont manifestement aucun sens et nient en fait notre liberté d’apprécier souverainement et en tout indépendance les attitudes et agissements des uns et des autres dans le monde. Nous ne pourrons jamais mettre sur le même pied d’égalité de celui opprime un peuple, le pille et le massacre quand il lutte pour sa libération et celui qui aide de façon désintéressées et constante ce peuple dans sa lutte de libération. Nous ne pouvons nous tenir à équidistance de celui qui arme, fortifie, soutient diplomatiquement et économiquement une clique raciste qui assassine froidement et depuis des décennies tout un peuple et celui qui aide ce peuple à mettre une fin par les armes au régime raciste qui le massacre.

Nous ne pouvons mettre sur le même pied d’égalité et nous tenir à égale distance d’une part, de ceux qui soutiennent par tous leurs puissants moyens militaires, politiques, diplomatiques économiques des régimes et des gouvernements qui n’ont d’autre obsession que de soumettre et de terroriser tous les pays autour d’eux, y compris par l’agression militaire directe, les assassinats organisés par leurs services secrets, et d’autre part ceux qui apportent un soutien concret à ces pays agressés pour assurer sur leur sol leur  défense leur sécurité.

Bien sur le mouvement des non lignés n’est pas une puissance militaire et c’est heureux ainsi, même si cela lui vaut la dérision de certaines puissances chez qui la force tout cour prime le droit des peuples à la dignité et à l’indépendance.

Notre mouvement est avant tout une force morale qui rassemble des pays divers par leur position géographique, leur étendue, leur population, leur économie et les systèmes sociaux dont il se sont dotés autour d’une politique positive et constructive pour promouvoir une paix collective entre eux, et entre tous les pays de notre planète, pour promouvoir la démocratisation des rapports internationaux fondés sur l’égalité des droits et des obligations en lieu et place des rapports internationaux actuels injustes et inégaux, pour promouvoir enfin le progrès des pays et des peuples en lieu et place de l’appauvrissement continue des pays pauvres et de l’enrichissement sur leur dos des plus riches.

Promouvoir une paix collective entre les pays membres des non alignés et entre tous les pays, pour ce premier grand objectif, notre mouvement ne doit jamais abandonner ses efforts persévérants pour amener ses membres à respecter l’un de nos grands principes qui est de rechercher dans la négociation et les moyens pacifiques la solution des divergences ou des conflits pouvant surgir entre eux et qui sont du reste sont souvent aiguisés ou suscités par les manoeuvres suscitées par l’impérialisme.

C’est pourquoi non seulement nous déplorons la guerre fratricide engagée depuis plus de deux ans entre l’Irak et le l’Iran,  deux pays membres de notre mouvement,  mais nous appelons ces deux pays à accepter la médiation du mouvement des non alignés pour une paix juste, honorable et rapide.

De même pensons-nous, notre mouvement ne peut accepter le rôle d’observateur muet et passif qu’on cherche à lui imposer, comme au reste du monde dans ce conflit du Proche Orient, vieux maintenant de près 40 ans, où les manoeuvres combinées de l’impérialisme et du sionisme, ont réussi non seulement à expulser de sa patrie le peuple palestinien mais aussi à la suite d’agressions barbares successives à réaliser et maintenir  l’occupation militaire et l’annexion de vastes territoires de plusieurs pays arabes membres de notre mouvement.

Récemment encore, il y a moins d’un an, le gouvernement d’Israël publiquement encouragé par les celui des Etats-Unis, et malgré la condamnation unanime des peuples du monde entier, a envahi avec son armée l’état du Liban, soumis la capitale Beyrouth à la destruction impitoyable de ses énormes moyens militaires, terrestres, maritimes et aériens, malgré l’héroïque résistance de la ville et des  palestiniens sous la direction de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine).

Malgré le cessez-le feu obtenu par la communauté internationale, le gouvernement israélien a permis les massacres inqualifiables de Sabra et Chatila dont les responsables méritent d’être poursuivis pour crime contre l’humanité et s’obstinent encore à refuser de retirer du Liban les troupes d’agression.

Partout où les peuples se lèvent pour réclamer leur libération et leur indépendance, l’impérialisme intervient grossièrement pour armer leurs ennemis, allumer la guerre et organiser leur massacre, se  dressant ainsi activement contre la paix et contre la liberté des peuples.

Il en est ainsi au Nicaragua où pour tenter d’effacer la victoire du peuple nicaraguayen, l’impérialisme dresse contre lui des bandes armées et des gouvernements de pays voisins qu’il manipule.

Au Salvador, le même scénario a pour objectif d’enrayer l’avance du mouvement de libération nationale.

Mais nous croyons que sur ce problème de la paix et de la sécurité et du droit des peuples à l’autodétermination et à l’indépendance, le mouvement des non alignés a entièrement raison de s’en tenir à sa position constante qui est de soutenir les peuples qui luttent pour leur liberté et leur indépendance ainsi que leur mouvement de libération nationale, quelque soit la fureur de l’impérialisme quelques soient les pressions que ce dernier exerce sur tel ou tel de nos membres pour tenter d’affaiblir la voix de notre mouvement.

Nous saluons ainsi l’appui constant apporté par le mouvement des non alignés, à la lutte du peuple de Namibie pour sa libération sous la conduite de son unique représentant légitime, la SWAPO, à la lutte du peuple noire d’Afrique du Sud contre l’odieux système raciste d’exploitation qu’est l’apartheid; au droit à l’autodétermination indépendante du peuple Sahraoui, à la réunification pacifique de la Corée débarrassée des troupes étrangères qui occupent son sol depuis 30 ans.

Promouvoir la démocratisation des rapports internationaux, c’est tout simplement accorder ces rapports institués à une époque de plus en plus révolue, avec la situation actuelle de notre monde. C’est prendre en compte le fait indéniable de l’émergence sur la scène internationale de peuples colonisés ou assujettis mais qui tout naturellement aspirent au progrès et au bien être, à être maîtres des ressources  de leur sol et de leur sous-sol fin qu’elles servent en premier à satisfaire leur propre besoin, à participer avec des droits et des obligations égaux au développement des échanges internationaux de toute nature, économiques, commerciaux mais aussi technologiques et culturels.

Nos pays ne veulent plus de l’ordre économique ancien bâti sur la suprématie incontestée et le diktat du plus fort organisé autour des échanges à sens unique de nos matières premières, produits de base ou à peine élaborés contre leurs produits manufacturés, leur technologie et leur mode de vie.

Les objectifs de notre mouvement pour la paix, l’indépendance des pays et des peuples et la démocratisation des rapports internationaux peuvent apparaître comme ambitieux mais l’audience de plus en plus grande du mouvement des non alignés, le fait que des pays de plus en nombreux nous rejoignent comme membres à part entière ou comme observateurs, la participation régulière à nos assises de hautes personnalités comme le secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine, le secrétaire général des Nations Unies, dont nous voulons saluer ici la présence, soulignent l’impact croissant de notre mouvement. Nous devons donc poursuivre avec persévérance notre action.

En dépit des obstacles et des échecs momentanés, en recherchant constamment à renforcer notre cohésion, car la paix, l’indépendance des peuples et la démocratisation des rapports internationaux pour le progrès global de l’humanité méritent plus que tout et particulièrement cette époque où le gigantisme des arsenaux nucléaires fait planer sur le genre humain la menace permanente de sa folle autodestruction, que nous leur consacrions tous nos efforts toute notre intelligence et tout notre courage.

Dans notre monde en proie à de multiples convulsions, la recherche constante de la paix doit être l’impératif majeur de notre mouvement car sans la paix, aucun des objectifs que nous poursuivons ne pourra être atteint.

Dans ces conditions par exemple comment ne pas encourager et soutenir les efforts inlassables déployés par la République Démocratique Madagascar et d’autres pour faire de l’Océan Indien une zone de paix, c’est-à-dire une zone plus humaine pour le bonheur des peuples riverains.

Mme le Président, messieurs les Chefs d’Etat et de gouvernement, honorables délégués, permettez moi avant de quitter cette historique tribune de réaffirmer plus haut pour nous peuple de Haute Volta sous la direction du Conseil du Salut du Peuple, le non alignement doit être compris d’abord comme notre autonomie permanente de décision et pour la non-ingérence dans les affaires intérieurs des Etats, mais que nous ne confondons pas le non alignement avec la complicité de la passivité devant les crimes de l’impérialisme contre l’indépendance et la liberté des peuples, ni la non ingérence avec l’aveuglement devant les crimes des forces réactionnaires contre la liberté de leur peuple et le respect de leurs droits.

Notre appartenance au mouvement des non a lignés nous ordonne parmi les nombreuses tâches de barrer la route à toutes les forces qui ambitionnent d’aligner d’autres peuples. L’Afrique du Sud est de celles-là. Le non alignement responsable nous interdit de nous taire lorsque l’on assassine des hommes, des femmes et des enfants qui n’ont commis d’autre crime que celui de penser à la notion si lointaine pour eux de liberté.

Depuis le 7 novembre 1982, au nom des justes et progressistes principes que le Conseil de Salut du Peuple a tracé en prenant le pouvoir, le peuple voltaïque se sent plus proche de tous ceux qui luttent pour la justice, la liberté et la démocratie. Il n’est plus ce peuple à qui l’on présentait les racistes par des euphémismes sans engagement. Le peuple de Haute Volta vit sans sa chair les cruautés que subissent des hommes géographiquement loin de lui mais désormais si près de lui de par la détermination commune à dénoncer le racisme, cette autre forme de fascisme.

Nous voulons dire à tous ceux qui sont victimes des harcèlements des bandits d’Afrique du Sud que nous épousons totalement leur lutte

Nous saluons les forces populaires du Mozambique et de l’Angola qui repoussent victorieusement les hordes que les sinistres impénitents de Pretoria continuent encore de leur envoyer.

Notre mouvement a déjà condamné l’Afrique du Sud et il doit continuer de le faire. C’est bien, c’est déjà beaucoup.

Je voudrais terminer mon propos par une question. A quand la condamnation réelle de tous ceux qui dans l’ombre comme au grand jour apportent à Pretoria, un soutien financier, économique, diplomatique et militaire?

Vive la coopération internationale, vive la solidarité des peuples des pays non alignés, vive la paix, la sécurité et l’indépendance et le progrès de tous les peuples.

Available in
EnglishFrench
Date
15.03.2023
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