Cela fait presque six ans que les meurtres de Mike Brown et d'Eric Garner ont été commis, et peu de choses ont changé dans la manière dont les communautés de couleur pauvres sont contrôlées par la police. Il est temps de repenser les réformes procédurales superficielles et inefficaces de la police et d'opter pour la suppression du financement de la police.
Au lendemain des meurtres de Brown et Garner à Ferguson, Mo. (Missouri City) et New York, l'administration Obama a réagi en appelant à davantage d'enquêtes fédérales et a commandé un rapport au groupe de travail du président sur la police du XXe siècle, qui a présenté une série de réformes, que moi-même et d'autres avons critiquées à l'époque. Ces réformes étaient inscrites dans le concept de justice procédurale, qui soutient que si la police applique la loi de manière plus professionnelle, impartiale et conforme à la procédure, le public lui fera davantage confiance et il y aura moins d'affrontements violents et de protestations. En fait, ce concept se résume à des interventions telles que des formations sur les préjugés implicites, des séances de rencontres entre la police et la communauté, des ajustements dans les politiques officielles d'utilisation de la force et des systèmes d'alerte précoce pour identifier les agents potentiellement problématiques.
Le ministère de la justice d'Obama a utilisé ce cadre pour engager des poursuites contre certains services de police, comme celui de Ferguson, afin de les obliger à adopter ces mesures. Des millions de dollars ont également été consacrés à des initiatives de formation et de relations communautaires, comme la National Initiative for Building Community Trust and Justice (« L’initiative nationale pour renforcer la confiance de la communauté et la justice »), qui comprenait des fonds pour Minneapolis.
Cependant, ce type d'interventions fédérales n'a provoqué aucun changement positif dans le domaine du maintien de l'ordre. Ces actions impliquent généralement la mise en place d'un contrôleur qui crée une série d’indicateurs ; la mesure de ces indicateurs est, en général, basée sur la mise en œuvre de recommandations et non sur les changements réels de l'impact du maintien de l'ordre sur les personnes les plus intensivement surveillées. Matt Nesvet, auditeur d'un décret de consentement fédéral à la Nouvelle-Orléans, a étudié ce processus et a montré à quel point l’initiative était inutile. Comme l'a décrit Nesvet dans The Appeal (« L’appel »), les contrôleurs exigeaient des éléments tels que des photos d'officiers parlant à des membres de la communauté comme preuve de la mise en place d'une police de proximité.
Rien ne prouve que la formation aux préjugés implicites ou les initiatives de relations avec la collectivité aident. Le Urban Institute (« Institut urbain »), qui faisait partie de laNational Initiative for Community Building Trust and Justice (« Initiative nationale pour l'instauration de la confiance et de la justice »), a évalué ce programme et ne l’a pas trouvé probant. Avec ce type de réformes, il est davantage question de protéger politiquement la police et les politiciens locaux que de réduire les abus de la police. Cela s'explique notamment par le fait qu'elles partent du principe que l'application professionnelle de la loi est automatiquement bénéfique pour tous. Elles ne remettent jamais en question la légitimité du recours à la police pour mener une guerre contre la drogue, arrêter de jeunes enfants à l'école, criminaliser les sans-abri ou considérer les jeunes comme des membres de gangs et des super-prédateurs à incarcérer à vie ou à tuer dans la rue. Une arrestation pour un petit délit, totalement légale, conforme à la procédure et parfaitement impartiale, va quand même ruiner la vie de certains jeunes sans aucune raison valable. Il n'y a pas de justice en cela et donner aux services de lutte contre les stupéfiants une formation contre les préjugés n’y changera rien.
Nombre de ces réformes ont été mises en œuvre à Minneapolis. En 2018, la ville a publié un rapport décrivant toutes les réformes de la justice procédurale qu'elle a adoptées, telles que la formation à la pleine conscience, la formation des équipes d'intervention de crise, la formation aux préjugés implicites, les caméras corporelles, les systèmes d'alerte précoce pour identifier les agent·e·s qui posent problème, etc. Elles n'ont fait aucune différence. En fait, des groupes d'activistes locaux comme Reclaim the Block (« Réhabiliter le quartier »), Black Visions Collective (Collectif Visions Noires) et MPD 150 ont rejeté l'idée d'une formation et d'une surveillance accrues comme solution et demandent maintenant au maire Jacob Frey de réduire le budget de la police de 45 millions de dollars et de transférer ces ressources dans des stratégies de santé et de sécurité menées par la communauté.
Malheureusement, au niveau national, les membres démocrates du Congrès semblent avoir tiré peu de leçons des échecs de six années de « réforme » de la police. Un à un, ils ont condamné les pratiques policières racistes et ont demandé des enquêtes et des comptes. Le président du Comité national démocrate, Tom Perez, a cité les noms des personnes tuées ces dernières années, mais n'a pas fait de propositions substantielles autres qu'un vague appel à la justice. La sénatrice du Minnesota, Amy Klobuchar, qui a toujours refusé de poursuivre la police lorsqu'elle dirigeait le bureau du procureur du comté de Hennepin, a demandé que le ministère de la justice mène davantage d'enquêtes sur les modes et les pratiques d’investigation. Et dans une résolution du 29 mai condamnant les brutalités policières, même les représentant·e·s Ilhan Omar, dont le district comprend Minneapolis, et Ayanna Pressley, n'ont pas proposé une seule baisse significative des pouvoirs spécifiques de la police, préférant demander davantage d'enquêtes et la création de plus de commissions d'examen civiles, qui n'ont jamais montré aucune efficacité dans la réduction des abus de la police. (La législation People’s Justice Guarantee (« Garantie de justice populaire »), introduite par Pressley en novembre 2019, est un modèle plus pertinent. Il avance un certain nombre de propositions intéressantes, notamment la dépénalisation des délits de faible gravité et la réorientation des ressources vers des solutions autres que le maintien de l'ordre ; Omar en est un des coauteurs).
Ces stratégies ne changeraient rien à la mission fondamentale du maintien de l'ordre, qui s'est considérablement développée au cours des 40 dernières années. Une autre enquête du ministère de la justice ou un autre officier licencié ou mis en accusation ne mettront pas fin à la guerre contre la drogue, à la criminalisation des pauvres ou à la diabolisation des jeunes de couleur.
Si les législateurs fédéraux veulent sérieusement limiter les abus policiers, ils peuvent faire quelque chose. Ils peuvent commencer par supprimer le Community Oriented Policing Services Office (COPS, « Bureau des services de police de proximité »). Créé par la loi sur la criminalité de 1994, il a été le principal canal de financement qui a permis d’engager des dizaines de milliers de nouveaux policiers et les équiper de toute une gamme de technologies de surveillance et d'équipements militarisés.
L'un des projets qu'il administre est l'opération « Poursuite incessante », l’initiative principale de l’administration Trump de lutte contre la criminalité, qui doit inonder sept grandes villes de dizaines d'agents fédéraux, en partenariat avec la police locale pour s'attaquer aux terreurs préférés du président, à savoir les gangs et les cartels de la drogue. Le Congrès a approuvé 61 millions de dollars pour financer cette initiative, et cet argent devrait être prélevé sur tous les prochains crédits. Les législateurs peuvent également prendre davantage de mesures pour réparer les dommages causés par le projet de loi de 1994 sur la criminalité, comme, par exemple, supprimer le financement de la police scolaire et instaurer un plus grand nombre de conseillers et de programmes de justice réparatrice ; investir dans des stratégies de réduction des risques, comme des locaux d'injection supervisées et d’échanges de seringues, ainsi que dans des soins médicaux de haute qualité à la demande ; et repenser l'utilisation du système de justice pénale pour gérer l'épidémie de violence domestique.
Il est temps que le gouvernement fédéral, les grandes fondations et les gouvernements locaux cessent d'essayer de gérer les problèmes de pauvreté et de discrimination raciale en gaspillant des millions de dollars pour des réformes procédurales inutiles et inefficaces qui contribuent uniquement à un recours accru à la police. Il est temps que tout le monde arrête de penser que l'emprisonnement supplémentaire d'un·e policier·èretueur·euse permettra de changer la nature du maintien de l'ordre américain. Nous devons, au contraire, procéder à un désengagement significatif de la police et réorienter les ressources vers des initiatives communautaires qui peuvent améliorer réellement la sécurité sans la violence et le racisme inhérents au système de justice pénale.
Alex S. Vitale est professeur de sociologie et coordinateur du projet Maintien de l’ordre et justice sociale au Brooklyn College. Il est l'auteur de The End of Policing («La fin du maintien de l’ordre»).
Photo: Jenny Salita/Flickr