Social Justice

Nourrir la ville chinoise

Entretiens avec des livreur·euse·s de la vente à emporter en Chine, traduites pour la première fois depuis que l'histoire de leur lutte est devenue virale sur WeChat.
Les livreur·euse·s de la vente à emporter sont la pierre angulaire d'un marché qui rapporte près de 300 milliards de yuans chaque année en Chine. La pandémie de COVID-19 a aggravé leurs conditions de travail déjà difficiles, mais a également donné lieu à une mobilisation spontanée par le biais des plateformes internet et des réseaux d'entraide.

La pandémie de COVID-19 qui a éclaté en Chine au début de l'année a été une épreuve sans précédent pour notre pays. Les mesures de confinement « musclées » prises dans tout le pays ont permis de réduire au minimum le risque d'infection croisée du fait des personnes qui se déplacent et qui se rassemblent en nombre.

Cependant, pour que les résident·e·s puissent se conformer aux ordres [de confinement] du gouvernement et rester confortablement chez elleux afin de lutter contre le virus, les travailleur·euses·s communautaires, les livreur·euse·s de la vente à emporter et les coursier·ère·s ont dû supporter un risque et une charge de travail plus importante afin de garantir les besoins matériels de base de tous les résident·e·s.

Selon les rapports, alors que les usines et les écoles du pays ont fermé et que les restaurants ont commencé à n'accepter que les livraisons, il restait encore 700 000 livreur·euse·s de nourriture à leur poste dans tout le pays, ce qui a facilité la vie des gens.

Que signifie devenir un·e soldat·e de cette armée d'un million de personnes ? Qui connaît les joies et les peines de la vie parmi elleux ? Après avoir été présenté·e·s par « l'Alliance des livreur·euse·s de la vente à emporter », nous avons pris contact avec Guo Yongqiang de Shanghai. Yongqiang a à son tour invité « Frère Long » de Lujiazui [Lokatse, à Pudong]. Fin avril, notre équipe d'enquêteur·rice·s s'est entretenue avec les livreur·euse·s de la vente à emporter.

« Parmi les livreur·euse·s de la vente à emporter présent·e·s à cette séance d'entretiens, on compte une personne d'une trentaine d'années (Frère Long), au corps robuste et au visage dur, qui a fait preuve d'énergie et de zèle pendant notre conversation. En tant que père, il semble nourrir de nombreux souhaits sur ce qu'il veut accomplir dans sa vie. L'autre personne était un jeune homme d'une vingtaine d'années (Yongqiang), grand et maigre, originaire du Gansu. Lorsqu'il est entré dans la pièce, ses vêtements propres et soignés - de son coupe-vent à sa chemise en passant par ses chaussures en cuir - m'ont impressionné. Il n'avait pas l'air d'un livreur de la vente à emporter typique. Par la suite, j'ai découvert qu'il avait aussi, en ce moment, un emploi d'agent de sécurité tout en gérant activement son propre groupe de discussion WeChat de livreur·euse·s de la vente à emporter. Il s'agit d'un jeune homme qui a quitté sa maison pour tracer son propre chemin à 15 ans, qui a été trompé et escroqué auparavant, qui parle de manière timide mais qui peut néanmoins se débrouiller seul. « Ces deux personnes ont été interrogées par quatre enquêteur·rice·s et, à la fin de l'entretien, elles avaient encore beaucoup à dire », se souvient Ya Tong, l'une des enquêteur·rice·s.

Au cours de ce printemps inhabituel, ces personnes et les livreur·euse·s de la vente à emporter qu'iels représentent ont subi un coup dur : le nombre de commandes de plats à emporter a considérablement diminué, mais le départ des travailleur·euse·s causé par la pandémie a intensifié la concurrence au sein de cette industrie. Dans un contexte d'incertitude croissante, quelle voie emprunteront ces livreur·euse·s ?

« Nous n'avons pas vraiment d'autre choix que de brûler les feux rouges » : le contrôle des livreur·euse·s à l'ère du big data

Dans les médias, on entend souvent parler de « livreur·euse·s de la vente à emporter qui se voient infliger une amende pour avoir grillé un feu rouge », ou de celleux qui entrent en collision avec des piéton·ne·s ou provoquent des conflits en raison d'une conduite trop rapide. Mais est-ce vraiment le résultat du fait que ces « livreur·euse·s » accordent plus d'importance à l'argent qu'iels gagnent grâce aux livraisons qu'à leur propre sécurité ou même à celle des autres ? Frère Long a expliqué son point de vue sur cette question.

« En fait, les livreur·euse·s brûlent les feux rouges car nous n'avons pas le choix, nous y sommes obligé·e·s. Pourquoi ? Si un·e client·e passe, par exemple, une commande et que le délai est de 30 minutes, au moment où le système nous envoie la commande, il ne nous reste plus que 28 ou 29 minutes pour livrer. Lorsque nous nous rendons à l'entreprise pour récupérer la nourriture, il nous faut parfois attendre 2 ou 3 minutes. Si l'entreprise peut nous faire parvenir la nourriture à temps, c'est très bien, mais si elle ne le peut pas et a besoin de 10 minutes supplémentaires, il ne nous restera que 10 minutes une fois que la nourriture sera entre nos mains. Si vous avez cinq commandes en même temps, vous devez courir à trois ou cinq endroits différents, prendre cinq repas différents, puis les livrer à cinq client·e·s différent·e·s. Ce délai est vraiment trop court. La plateforme s'en moque. Iels me disent seulement qu'un·e client·e a passé une commande, que je dois la livrer dans la demi-heure qui suit et que je serai pénalisé si je dépasse ce délai ».

Même si Meituan accorde une certaine marge de manœuvre aux livreur·euse·s en cas de retard ou de plaintes des client·e·s, cette marge est en fait extrêmement faible, et iels ne tiennent pas suffisamment compte des nombreux problèmes divers auxquels les livreur·euse·s de la vente à emporter seront probablement confronté·e·s dans des conditions de travail réelles. Frère Long nous donne un exemple. Au début, Meituan disposait d'un délai de grâce de sept minutes, donc si la nourriture était livrée dans les 37 minutes, cela n'était pas considéré comme un dépassement du temps imparti. Cependant, si l'on considère que la·le livreur·euse doit aller chercher la nourriture, l’attendre et ensuite la livrer dans ce délai, et si l'on tient compte de tous les imprévus qui peuvent survenir, cette infime considération manque d'humanité. En outre, dans le système d'évaluation de Meituan, le pourcentage d'erreurs acceptables pour 100 commandes est de cinq pour cent. En d'autres termes, les livreur·euse·s commenceront à être pénalisé·e·s après plus de cinq livraisons en retard. En outre, les pénalités sont calculées en fonction du pourcentage de commandes que la·le livreur·euse délivre à temps. Cela signifie que si le taux de livraison à temps d'un·e livreur·euse est faible, ses revenus diminueront en conséquence. Même si les 90 commandes restantes sur 100 sont livrées à temps, le paiement de chaque commande sera bloqué car le pourcentage d'erreurs de commande est supérieur à cinq pour cent.

Alors, qui contrôle et façonne les conditions de travail des livreur·euse·s ? Ce ne sont ni les directeur·rice·s ni les régulateur·rice·s, mais plutôt un système basé sur des algorithmes qui attribuent automatiquement des commandes aux livreur·euse·s. Les plateformes de systèmes de livraison telles que Meituan et Ele.me envoient automatiquement la commande optimale aux livreur·euse·s en fonction des capacités des travailleur·euse·s et de l'itinéraire de livraison, entre autres facteurs. Mais cette « plateformisation » de la livraison à emporter apporte également une solution « clé en main » pour l'équipe dirigeante. Même le taux d'erreur est une estimation brute et approximative, qui ne tient guère compte des situations extrêmement compliquées et très diverses auxquelles sont confronté·e·s les différent·e·s livreur·euse·s de la vente à emporter en raison des conditions météorologiques, de l'état des routes, de la vitesse à laquelle les différentes entreprises produisent des commandes, et d'autres facteurs.

Plus dangereux encore est le fait qu’au cœurde ce type de système d'évaluation, un faible taux de livraison dans les délais signifie un faible revenu par commande. Au bout du compte, vous pouvez finir par ne plus recevoir de commandes, ce qui signifie que vous êtes complètement exclu du processus d'« évaluation » et perdez même le droit d'être exploité·e. Dans ce processus, les algorithmes d'IA [intelligence artificielle] contrôlent chaque action ainsi que la vitesse et la qualité du travailleur·euse, tandis que ce·tte dernier·ère est contraint·e à un haut degré d'autodiscipline. Par conséquent, ce type de travail est très éloigné de la liberté, de la flexibilité et du salaire élevé qui sont annoncés par ces plateformes de livraison de vente à emporter lors de la promotion d’embauches. Il s'agit plutôt d'un « modèle de contrôle du travail précis et ajusté dynamiquement ». Lorsque les livreur·euse·s de la vente à emporter sont censé·e·s choisir librement leurs heures de travail (lors de l'embauche, la plateforme annonce souvent « allez-y doucement, prenez les choses au sérieux ou allez-y à fond », donnant l'impression que les livreur·euse·s ont le choix), iels se déchargent en fait d'un outil de contrôle précis entre leurs mains et sont obligé·e·s de s'adapter pour répondre aux caprices de l'IA. Ainsi, et ce n'est pas difficile à comprendre, la raison pour laquelle les livreur·euse·s traitent le temps comme de l'argent est qu'iels ne peuvent vraiment pas supporter les conséquences de ne pas atteindre la norme de « taux de livraison à temps ».

En outre, comme la plateforme a transféré une partie du rôle de supervision du travail à la·au consommateur·rice sous la forme d'évaluations des client·e·s, une mauvaise évaluation peut entraîner une pénalité de 20 yuans pour un·e livreur·euse tandis qu'une « plainte » peut entraîner des centaines de yuans de pénalités. Dès lors, par crainte de recevoir une commande tardive qui pourrait entraîner une mauvaise évaluation de la part de la·du client·e, de nombreu·ses·x livreur·euse·s sont confronté·e·s à une pression émotionnelle extrêmement forte lorsqu'iels livrent les commandes. Afin d'éviter que les client·e·s ne leur rendent la vie difficile lors de la livraison des commandes, de nombreu·ses·x livreur·euse·s s'assurent de dire autant de plaisanteries à la·au client·e qu'iels le peuvent tout en supportant ce stress, en plaçant leur propre dignité et leur estime de soi au tout dernier rang de leurs priorités. Toutefois, comme le système de notation de Meituan est anonyme, il arrive que même si un·e livreur·euse reçoit une mauvaise note, iel n'ait aucune idée de son origine. Tout ce que la·le livreur·euse peut faire, c'est souffrir en silence. L’essentiel reste que les amendes résultant des plaintes ne reviennent pas aux client·e·s. « Qui sait où tout cela va finir ? » C'est ce que nous a dit Frère Long.

De plus, pour mettre fin aux livraisons à domicile, Meituan profite de la fonction GPS de la plateforme pour suivre la position de la·du livreur·euse en temps réel. S’iel enfreint cette règle, iel recevra directement jusqu'à 500 yuans de pénalités sans aucun avertissement.

Outre le fait qu'elles répercutent tous ces risques et redirigent l'insatisfaction de la·du client·e de la « plateforme » vers les travailleur·euse·s elleux-mêmes, les plateformes sont également incroyablement sévères en matière de « pénalités » et d'« annulations de pénalités ». Elles ont adopté le principe de « pénaliser d'abord, puis signaler, vérifier et annuler » pour gérer les pénalités. Cela signifie que, quelle que soit la situation, la·le livreur·euse assume la responsabilité par défaut. Nous fournissons à Meituan une liste d’exemples des « Vous constatez que vous allez bientôt dépasser le temps imparti, mais la·le client·e ne décroche pas son téléphone. Que devez-vous faire ? » :

  1. La·le livreur·euse doit se rendre à l'endroit désigné et appeler la·le client·e plusieurs fois par téléphone. Dans le cas où personne ne décroche le téléphone, passez à l'étape 2.
  2. Détails de la commande -> Problème rencontré -> Impossible de joindre la·le client·e -> Tentative de composer tous les numéros de téléphone utilisés par la·e client·e. Si la·le client·e n'est toujours pas joignable -> Signaler un problème

    Si la·le client·e fait une deuxième tentative de livraison dans les 30 minutes, vous devez alors effectuer la livraison.

    Si la·le client·e ne fait pas une deuxième tentative de livraison dans les 30 minutes, vous pouvez annuler la commande sans pénalité. La commande doit être retournée à l'entreprise, et vous devez prendre une photo comme preuve et la télécharger sur l'application.

  3. Si la·le client·e fait une deuxième tentative de livraison, vous pouvez prolonger le délai imparti en fonction de votre situation, afin d'éviter de dépasser le temps imparti.

    Si la·le client·e ne fait pas de deuxième tentative de livraison, vous devez annuler la commande. Dans les 2 heures suivant le retour de la commande, vous pouvez éviter une déduction pour annulation et vous pouvez automatiquement être remboursé·e des frais de livraison.

Ce processus est non seulement fastidieux et alambiqué, mais la·le livreur·euse ne reçoit pas non plus de compensation supplémentaire pour la deuxième tentative de livraison et doit même faire face à une incertitude supplémentaire. Et si un·e livreur·euse encourt une pénalité de retard de livraison parce qu'iel n'a pas été autorisé·e à se rendre dans le quartier, en raison des conditions météorologiques ou pour d'autres raisons qui ne lui sont pas imputables, les plateformes traiteront cette question selon un processus similaire. Cela signifie également que, dans le cadre de leur travail, ces livreur·euse·s sont souvent placé·e·s dans des positions défavorables. La plateforme dispose d'un pouvoir de décision complet sur la question de savoir si le salaire déduit reviendra finalement sur le compte d'un·e livreur·euse. Pendant ce temps, ce·tte dernier·ère est souvent submergé·e de commandes, n'ayant donc pas le temps de défendre ses propres droits.

Les rouages silencieux de la ville ?

Touchées par la pandémie, de nombreuses entreprises exportatrices ont vu leurs commandes réduites de façon spectaculaire. Généralement, ces usines de fabrication à grande échelle sont des lieux importants qui reçoivent le surplus de main-d'œuvre de la campagne, des petites villes et des villages. Cependant, à l'heure actuelle, pour de nombreu·ses·x jeunes qui sont sans emploi en raison des fermetures d'usines, venir dans les grandes villes pour travailler dans la livraison de nourriture est pratiquement leur meilleure chance parmi toutes les options restantes.

Comme le montre le « rapport de recherche Meituan-Dianping sur les livreur·euse·s de la vente à emporter 2018 », 75 pour cent d’entre elleux viennent de la campagne, la plupart étant originaires des provinces du Henan, de l'Anhui, du Sichuan, du Jiangsu et du Guangdong. Près de 70 pour cent des livreur·euse·s ont choisi de quitter leur ville natale pour essayer de gagner leur vie et de s’en sortir dans les villes moyennes. Si l'on considère l'âge, les livreur·euse·s se trouvent surtout parmi les jeunes, celleux qui ont la vingtaine et la trentaine constituant le noyau dur de cette communauté (jusqu'à 82 pour cent). Près de la moitié d'entre elleux vivent sur leur lieu de travail actuel depuis 9 ans ou plus, et sont profondément enraciné·e·s dans la ville. En ce qui concerne la répartition par sexe, les livreurs représentent 90 pour cent et les livreuses 10 pour cent. À partir de ces chiffres, nous pouvons dresser un portrait approximatif des « livreur·euse·s » de la Chine actuelle, vigoureuse et en pleine ascension : il s'agit d'un groupe de jeunes hommes d'origine rurale qui vivent depuis longtemps en ville et qui espèrent s’y accomplir.

Arrivé·e·s dans la grande ville, au-delà de la poursuite des commandes de livraison, quel est le quotidien de ces livreur·euse·s ? Quel genre d'interaction sociale, de vie amoureuse, de conditions de vie et de projets personnels ont-iels ?

Nous commencerons par discuter des conditions de vie et du coût de la vie. Pour prendre l'exemple de Shanghai, Frère Long nous dit qu'une situation courante à son poste de livreur·euse situé à Lujiazui est qu’iels louent en groupe, avec huit livreur·euse·s qui dorment dans un appartement d'à peine 20 mètres carrés. Ce type d'appartement à Lujiazui coûte environ 800 yuans par mois, même si le coût est réparti de manière égale entre tous les colocataires.

Frère Long nous dit également que lorsqu'un·e nouveau·elle livreur·euse arrive à Shanghai, iel doit dépenser environ 10 000 yuans au début, généralement sans avoir travaillé du tout. Ce montant comprend le loyer, la caution, l'achat ou la location (qui nécessite également une caution) d'un vélo électrique, plus de 300 yuans d'équipement pour la·le livreur·euse, et d'autres dépenses de base. Si la·le livreur·euse s'est déjà marié·e ou envoie de l'argent à ses parents chaque mois, la somme d'argent qui lui reste est encore plus petite.

Face au loyer et au coût de la vie élevés, quelles activités les livreur·euse·s peuvent-iels faire pendant leur temps libre ? Ou peut-être, tout comme la fille dans « Les chaussures rouges » de Hans Christian Andersen qui doit tourner sans s'arrêter même un instant, peuvent-iels être constamment en mouvement que pour gagner leur vie ? Iels sont devenu·e·s le plus grand garant d'une vie urbaine rapide et pratique, mais iels n'ont aucun moyen de profiter des commodités et des extravagances qu'iels créent eux-mêmes.

Pour les livreur·euse·s qui ont déjà fondé une famille, ce genre de détresse est sans doute encore pire. Frère Long et sa femme ne se sont pas vus depuis longtemps. Bien qu'iels soient dans la même ville, iels ne peuvent s'empêcher de ressembler à une version du 21ème siècle de Roméo et Juliette. Quant aux livreur·euse·s qui ont déjà des enfants, les pressions et les difficultés de la vie familiale sont encore beaucoup plus fortes.

S'unir et exiger : l'Alliance des livreur·euse·s de la vente à emporter deviendra-t-elle un nouvel espoir pour assurer leur entraide ?

Selon les statistiques, le nombre actuel de livreur·euse·s actif·ve·s dans l'ensemble du pays a atteint 3 millions de personnes. Iels sont la pierre angulaire du marché de la vente à emporter qui rapporte près de 300 milliards de yuans chaque année en Chine. La question de savoir comment aider les livreur·euse·s à établir des relations de travail plus équitables afin qu’iels réalisent leurs rêves mérite l'attention de toute notre société.

Comme les plateformes ne permettent pas aux livreur·euse·s de former des syndicats, le fait qu’iels aient utilisé des plateformes internet pour susciter une mobilisation spontanée est étonnant. Yongqiang et Frère Long appartiennent séparément à deux communautés d'entraide de livreur·euse·s différentes.

La communauté d'entraide dont Yongqiang fait partie s’appelle « L’alliance des travailleur·euse·s de la vente à emporter », et a été fondée par un livreur à Pékin. Elle a pour but d'unir et de protéger les droits des livreur·euse·s. Le responsable de Pékin est un expert dans l'utilisation des nouvelles techniques médiatiques pour diffuser plus largement les contenus. Il réalise des vidéos sur de nombreux sujets liés à la vie des livreur·euse·s à domicile et est un un véritable maître de la vidéo. Yongqiang considère le visionnage de vidéos non seulement comme un divertissement, mais aussi comme un moyen de s'améliorer. « Après le travail, quand les autres jouent à des jeux, je peux étudier un peu. Mes études consistent à regarder comment les autres tournent des vidéos ».

Sa personnalité, habituée à voir le bon côté des choses et à garder une vision optimiste, est peut-être étroitement liée à son adolescence. L'ex-soldat Yongqiang a un jour été piégé par une ex-petite amie qu'il avait rencontrée sur Internet et qui l'a amené à participer à un marketing de réseau. Ayant tout juste fui cette malheureuse expérience, après avoir connu de nombreux rebondissements dans sa vie, et outre les pertes matérielle et émotionnelle, son expérience de cette période l'a sans aucun doute et imperceptiblement poussé à opérer une transformation. Alors qu'il était dans l’entreprise de marketing de réseau, il a dormi par terre pendant une longue période. C’est au cours de cette période, a-t-il dit, qu’il a réalisé que « le lit au sol est le plus grand lit du monde, c'est quelque chose que je n'oublierai jamais ».

Cette expérience d'être escroqué et de s'enfoncer dans ce bourbier lui a non seulement permis d'apprendre à affronter activement tout ce qui se passe dans la vie, mais également de déplacer son regard de l'individu vers le système, l'obligeant à se préoccuper des autres et du bonheur de la communauté des livreur·euse·s. Le style de Yongqiang est de construire une communauté en face à face, en laissant ses frères et sœurs participer à plus d'activités et à avoir plus de conversations à cœur ouvert et d'interactions sociales. Ce faisant, iels peuvent renforcer leurs liens d'amitié et réduire leur stress. « J'espère pouvoir organiser des activités hors ligne au sein de cette communauté, comme la fabrication d'un drapeau communautaire, l'organisation de dîners hors ligne où nous partagerions tous la facture, etc. Pour permettre à chacun d'interagir pleinement et de bénéficier d'un soutien ».

Frère Long a été chargé par Jiang Yilong, le fondateur de « Média de la·du livreur·euse de Hangzhou », de fonder « Média de la·du livreur·euse de Hangzhou ». Pourquoi les canaux de masse des livreur·euse·s ont-iels pu se développer et s'étendre si rapidement, s'étendant de Hangzhou jusqu'au district de Pudong à Shanghai, puis au district de Baoshan ? C'est parce que les fondateur·rice·s de ces réseaux ont fait beaucoup de choses pratiques pour aider les livreur·euse·s.

Jiang Yilong est d’ailleurs le concepteur de la « carte de tri des numéros d'immeuble des livreur·euse·s » de la région de Hangzhou. Il a transcrit les quartiers résidentiels dans un rayon de 5 à 10 kilomètres en une carte bidimensionnelle et l'a ensuite étiquetée avec des numéros d'immeubles. Cela a rendu les choses beaucoup plus faciles pour les nouvelles·aux livreur·euse·s.

En outre, les canaux médiatiques de Jiang Yilong et de Frère Long ont également aidé les livreur·euse·s à se connecter à des services moins chers de location de vélos électriques, de batteries au lithium, de réparation d'urgence de vélos, de recharge de batteries et autres. Ce genre de commodité s'est même étendu aux besoins de base des livreur·euse·s, tels que des appartements abordables, des emplois secondaires, etc. Il y a aussi les « repas des livreur·euse·s » dont Frère Long est plutôt fier. Dans le centre alimentaire « Haitian Yijiao » à Lujiazui, Frère Long a pu faire baisser le prix de certains repas de 14 ou 15 yuans à 10 ou 12 yuans. Cela a permis aux livreur·euse·s d'économiser progressivement une bonne somme d'argent au fil du temps, et a également aidé les entreprises à résoudre le problème du manque de client·e·s pendant la période de pandémie.

Dans la communauté des livreur·euse·s, ce type de pratique d'entraide basée sur des domaines spécifiques est devenu courant. Si quelqu'un·e dans la communauté se trouve dans des circonstances particulières et ne peut pas livrer une commande à temps, ou s'iel a un besoin d'aide dans la vie ou au travail, les membres de la communauté s'encourageront mutuellement à s'entraider. Pour les livreur·euse·s, le but n’est pas de vouloir obtenir quelque chose en retour, mais plutôt que chacun·e soit pleinement conscient·e que venir habiter dans une grande ville pour gagner sa vie n'est pas chose facile. S’il n’y a pas d’entraide, il est difficile de s'établir en ville.

« Partout où il y a des livreur·euse·s, il y aura des canaux médiatiques de livreur·euse·s ». C'est le slogan que le fondateur Jiang Yilong écrit dans tous ses articles. « Trois cordonniers inférieurs peuvent davantage qu’un génie comme Zhu Geliang », nous a souri Frère Long, en prononçant ces mots tout en débordant de confiance.

Lorsqu'on l'a interrogé sur un événement qui l'a particulièrement marqué pendant sa carrière de chauffeur-livreur, Frère Long a répondu : « Ces deux derniers jours, j'ai vu un frère dehors. Alors qu'il était à vélo, un chat a soudainement sauté devant lui. Pour éviter de le heurter, il a freiné et est tombé de son vélo, et je pense qu'il s'est même cassé les côtes en tombant. Quand je l'ai vu, j'ai enfourché mon vélo pour l'aider à se relever. Et juste à ce moment là, il y avait deux autres gars qui se sont également arrêtés et sont venus l'aider à se relever. Je lui ai demandé s'il y avait un problème. Il a dit qu’il n’avait pas mal mais il avait encore deux commandes en main. Je lui ai demandé : “Tu es sûr que ça va ? Si ce n'est pas le cas, alors laissez-moi vous aider à les livrer.” Il s'est examiné et a dit qu'il n’avait pas grand chose, mais il m'a semblé que ce n'était pas une petite chute car toutes ses affaires étaient éparpillées. Heureusement, la nourriture ne s'était pas renversée, sinon, il aurait dû la payer lui-même. Par la suite, je l'ai revu et je l'ai entendu dire qu'il n'était rentré chez lui pour se reposer qu'après avoir fini de livrer les commandes. Il est resté au lit pendant deux jours, donc ce n'était certainement pas qu’une petite chute ».

Du point de vue de la société, des plateformes et des consommateur·rice·s, ces livreur·euse·s servent d'engrenages à la machine. Ce n'est peut-être que lorsque les personnes se retrouvent face à elles-mêmes et face aux autres qu’elles peuvent réellement éprouver un respect mutuel et un sentiment inné de sympathie les unes envers les autres et devenir chacune des individus pleins de vies. C'est ce sentiment d'appartenance et de connexion qui a peut-être permis à la communauté des livreur·euse·s d'être exceptionnellement unie, positive et coopérative.

Postface

Le deuxième et le troisième jour après l'entretien, Ya Tong, l'une des enquêteur·rice·s, a regardé, dans un de nos groupes, des vidéos de livreur·euse·s de la vente à emporter être bousculé·e·s et insulté·e·s par des agent·e·s de la sécurité publique ou de la police de la route, que partageait un jeune administrateur. Elle a également invité deux autres frères livreurs au sein du groupe. « Plusieurs semaines plus tard, j’ai demandé aux pères du groupe des livreur·euse·s à emporter s’ils avaient besoin de conseils pour apprendre à mieux interagir avec leurs enfants, laissé·e·s derrière eux. Ils ont répondu que oui, il y a un besoin, mais les livreur·euse·s de la vente à emporter sont bien trop occupé·e·s et trop incapables de s'organiser ensemble », a-t-elle déclaré.

En parallèle, un autre enquêteur, Cai Cai, espère que la société sera en mesure de bien traiter les livreur·euse·s de la vente à emporter : « De la même façon qu’un·e concierge, la·le client·e doit être sympathique et indulgent·e. En cas d'accident sur la route, petit ou grand, ce serait bien que les gens puissent donner un coup de main, si un vélo se retourne, l'aider à reculer un peu, etc. Iels sont aussi membres d'une famille - en fait, iels sont l'épine dorsale ».

Par ailleurs, Cai Cai a également fait part d'un appel d'un·e délégué·e de l'Assemblée populaire nationale, qui nous donne un certain espoir pour la protection des droits des livreur·euse·s de la vente à emporter.

China News Service: « Compte tenu des caractéristiques particulières des nouvelles formes d'emploi telles que le "gig employment" [emplois précaires] , je suis en train d'élaborer une politique de sécurité sociale qui garantira de manière réaliste les droits de cette main-d'œuvre... Je propose que nous améliorions encore nos politiques, et que nous aimions et prenions soin de nos livreur·euse·s de la vente à emporter ». Lors des deux sessions de cette année, les « professions émergentes », y compris les livreur·euse·s de la vente à emporter, sont devenues un sujet de discussion passionné parmi les délégué·e·s. « Actuellement, les nouvelles formes d'emploi se diversifient, et les moyens d'obtenir un emploi augmentent clairement ».

Plus de 70 pour cent des livreur·euse·s de vente à emporter viennent des villages et des campagnes. Leur niveau d'éducation n'est pas élevé, et iels sont confronté·e·s à des difficultés telles qu'une forte intensité de travail, un manque cruel de moyens pour sauvegarder l'emploi, et un système de protection du travail et de sécurité sociale imparfait, etc.

Pour y remédier, Yu Chunmei a proposé une motion visant à intégrer le groupe des livreur·euse·s à la couverture de l'assurance des travailleur·euse·s locales·aux contre les accidents du travail. Dans les cas avérés d'accidents du travail dans le cadre de la livraison de vente à emporter où l’ensemble des faits, les droits et les obligations sont clairs et les deux parties concernées ne sont pas en conflit, le ministère des ressources humaines et de la sécurité sociale traitera la question afin qu'elle soit rapidement déterminée et résolue. Dans le même temps, il a également été proposé d'inclure les « livreur·euse·s de vente à emporter » dans le « répertoire national des qualifications professionnelles » du ministère des ressources humaines et de la sécurité sociale, ce qui permettra d'étendre leurs initiatives tels que la formation professionnelle.

Cet article a été publié à l'origine par "Awaken Club" sur WeChat.

Available in
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Author
Tangzhe Li
Translator
Roxane Valier-Brasier
Date
12.10.2020
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