La pandémie de 2020 a été synonyme de croissance record pour Amazon. Le troisième trimestre, par exemple, a été son plus grand succès à ce jour : l’entreprise a annoncé une augmentation de ses ventes de 37 pour cent par rapport à la même période l'année dernière. Selon Forbes, la fortune personnelle du fondateur Jeff Bezos a augmenté de 70 milliards de dollars entre octobre 2019 et novembre 2020.
Les efforts d'Amazon pour fournir l'infrastructure nécessaire à tout et n’importe quoi, du shopping en ligne aux services « en nuage », ont attiré l'attention des régulateur·rice·s à Washington et à Bruxelles. Les militant·e·s civiques parlent de violations des droits des employé·e·s, d'évasion fiscale, d'utilisation abusive de données personnelles, d'une empreinte écologique importante et du rôle que l’organisation s'arroge de facto en tant que régulateur de l'accès des autres entreprises aux client·e·s. La mise en lumière de ces pratiques est intervenue avec les grèves et les manifestations mondiales « Make Amazon Pay » (Faire payer Amazon) le jour du Vendredi noir, organisées par la multinationale Uni Global Union avec l’Internationale Progressiste et d'autres groupes.
Ici, en République tchèque, nous ne pouvons acheter chez Amazon que par le biais de sa page allemande, ce qui entraîne des retards pour les client·e·s, ainsi que des prix relativement élevés. Mais si Amazon a moins d'activités ici que sur plateformes locales, l’entreprise a cependant des employé·e·s tchèques, qui approvisionnent principalement le marché allemand. Comme le montre une enquête de Voxpot, Amazon se sert du pays comme une sorte d'entrepôt et de source de main-d'œuvre bon marché au service des consommateur·rice·s fortuné·e·s de l'autre côté de sa frontière occidentale.
« Personne ne peut gagner autant d'argent en se souciant des droits des autres », pondère Kateřina Příbrská, une jeune femme d'une vingtaine d'années, lors de notre promenade dans la ville de Most, au nord de la Bohême. Kateřina a beaucoup plus d'expérience avec la société de Bezos que la plupart des Tchèques. Elle a travaillé pendant plus de deux ans dans le seul centre de distribution tchèque d'Amazon, à Dobrovíz, dans le centre de la Bohême, avant la naissance de son fils en 2019.
Kateřina a suivi une formation de couturière et a abandonné ses projets d'entrer dans un lycée spécialisé dans le graphisme en raison de ses difficultés d'apprentissage. Elle a essayé de gagner sa vie en cousant, mais son salaire mensuel était de 8 000 CZK (environ 375 $), alors qu'elle devait payer 2 000 CZK par mois juste pour faire la navette. Elle s’est ensuite essayée à d'autres emplois.
« Je ne reste jamais longtemps au même endroit parce que je suis hypersensible. Je ne supporte pas l'injustice », souligne-t-elle. Si elle peut réunir suffisamment d'argent après son congé de maternité, elle aimerait ouvrir une boutique de tailleur employant des personnes handicapées. Elle ne veut pas retourner chez Amazon, bien qu'elle soit toujours activement engagée dans la syndicalisation au sein de l'entreprise. Le district de Chomutov, par lequel je suis passée avec Kateřina, fournit une toile de fond intéressante à notre conversation sur le fait de travailler pour une entreprise dont les innovations incessantes poussent à l'extrême les impératifs capitalistes de profit, d'efficacité et de productivité toujours plus élevés. Ce paysage nord-bohémien est encore marqué par les vestiges de l'ancien régime communiste, de ses tristement célèbres mines de lignite à ses usines chimiques, ses maisons inondées et ses villes à moitié démolies déplacées à quelques kilomètres de là. Ces vestiges sont les témoins des projets d'autres visionnaires dont les opinions sur l'organisation du travail sont assez différentes de celles de Bezos et de ses collègues de la Silicon Valley. Il semble approprié de contempler les traces laissées par les visions tout aussi audacieuses des capitaines du capitalisme numérique.
J'interroge Kateřina sur la réputation de Bezos parmi les employé·e·s tchèques d'Amazon. Parlent-iels de lui avec respect, comme d'un personnage mythique ?
« Nous avons tendance à nous moquer de lui. Quand il y a un manque d'argent pour quelque chose, nous disons que Jeff en avait probablement besoin pour ses fusées », dit-elle.
Pourtant, le pouvoir de Bezos (propriétaire de la firme de vols spatiaux Blue Origin) peut étonnamment se faire ressentir à Dobrovíz. Des instructions uniformes relatives aux conditions de travail et de salaire dans tous les centres de distribution d'Amazon proviennent directement du siège principal de la société à Seattle, dit-on pour exercer un contrôle méticuleux sur tous ces sites. Mais tout n'est pas uniforme : lorsque Seattle a décrété le versement d’une prime coronavirus de 500 dollars pour tou·te·s les employé·e·s des plateformes de distribution, les Tchèques n'ont reçu qu'un peu plus de la moitié de cette somme. Le salaire horaire de 160 CZK (7,50 $) des magasiniers tchèques ne représente que la moitié de celui des Allemand·e·s (12,15 €) ; les Polonais·e·s reçoivent encore moins que les Tchèques.
Une personne intéressée par un travail pour Amazon en République tchèque entrera dans le centre de distribution par l'intermédiaire des agences Randstad ou Adecco, en signant un contrat à durée déterminée. Avant Noël, Amazon a engagé 3 000 à 4 000 personnes sans entretien, en procédant simplement à un bilan de santé. La plupart ont été licenciées après l'agitation de Noël, alors qu'elles étaient encore en période d'essai.
« L’entreprise le fait d'une manière tellement dégoûtante, par exemple lorsque les gens viennent pour leur service et ne peuvent pas passer la porte avec leur badge. On leur dit alors de rentrer chez elleux par leurs propres moyens ou d'attendre le bus qui ne part que dix heures après la fin du service. En 2016, j'avais vraiment peur chaque matin de ne pas pouvoir me rendre à mon travail », explique Kateřina.
Les chanceux·ses qui passent du statut d'intérimaire à salarié d’Amazon (que l’on appelle les « badges bleus ») doivent passer la période d'essai, puis signer un contrat à durée indéterminée. Amazon compte ainsi environ 3 000 employé·e·s permanent·e·s.
Les travailleur·euse·s manuel·le·s d'Amazon opèrent en équipes de dix heures, quatre fois par semaine. Leur salaire de départ de 160 CZK par heure devrait théoriquement augmenter chaque année, en fonction d'une évaluation annuelle de la compétitivité calculée par rapport aux salaires dans d'autres entreprises. Cette année, cependant, il n'y a pas eu d'augmentation et les employé·e·s ont reçu le message suivant à la place :
Cher·ère·s employé·e·s, la révision des salaires de cette année, où nous avons comparé les salaires de postes de travail similaires, vient de s'achever. Le résultat de l'analyse des salaires est que nos salaires de base sont toujours compétitifs et que notre plan de rémunération reste donc le même. Nous apprécions beaucoup le travail que vous faites pour notre entreprise et, surtout, pour nos client·e·s. Nous vous en remercions. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à contacter votre service des ressources humaines ou votre responsable. Sincèrement, Amazon
Ce taux horaire est inférieur à la moyenne tchèque, mais relativement décent pour les travailleur·euse·s manuel·le·s des régions plus pauvres comme la région d'Ústí Nad Labem.
« Même l'indemnité de congé maladie est souvent plus élevée à Amazon que ce que les gens reçoivent ici dans le nord lorsqu'iels vont travailler tous les jours », explique Ivo Mayer, président du syndicat ZO OSPO Amazon.
Avant d'être engagée par Amazon, sa femme touchait un salaire mensuel brut de 14 000 CZK (650 dollars) en tant que couturière. Il ajoute cependant qu'il faut également tenir compte des trois heures de trajet en bus non rémunérées par jour, ainsi que des retards avant et après le travail.
« Si je compte mes déplacements, mon revenu brut est de 80 CZK (3,75 $) par heure. Vous n'avez alors plus de temps pour autre chose que le travail et le sommeil », rapporte un·e autre employé·e.
Les longues journées de travail et les trajets expliquent pourquoi Kateřina ne veut pas retourner chez Amazon.
« C'est incompatible avec mes valeurs familiales », note-t-elle. Elle dit que son mari, également employé chez Amazon, part désormais au travail à 4 heures du matin et rentre à la maison à 19 heures. Pour elle, une telle situation ne pourrait être résolue que par une garderie en internat où l'enfant serait laissé en pension pendant quatre jours entiers. Cette solution, dit-elle, est assez courante à Most. « Je ne ferais pas subir cela à mon enfant », insiste-t-elle.
Selon M. Mayer et Mme Příbrská, Amazon a la particularité que chaque employé·e sait comment tout faire : être capable de recevoir, stocker, choisir et emballer les marchandises pour les client·e·s. C'est au cours de ce qu'on appelle le « pick » que les employé·e·s parcourent jusqu'à seize kilomètres par shift.
Les deux syndicalistes notent que le tristement célèbre système de contrôle utilisant des scanners n'est pas aussi strict qu'on le prétend parfois. Par exemple, il ne leur est pas difficile d'aller aux toilettes tant qu'iels respectent les normes horaires. Mais ni elleux ni la direction de Prague ne peuvent expliquer comment ces normes sont réellement déterminées.
« C'est une sorte d'algorithme, seules cinq personnes environ en Europe le comprennent. Il est plus ou moins basé sur les résultats de centres de distribution comparables, où iels déterminent la moyenne à atteindre », explique Ivo.
Si une personne n'atteint pas la moyenne, elle peut être soumise à une procédure appelée ADAPT. Après quelques échecs, cela peut conduire au licenciement de l'employé·e. Mais iels expliquent que dans cette évaluation hebdomadaire, la parole des responsables individuel·le·s compte également.
Ces syndicalistes tchèques sont d'accord avec les rapports d'autres pays sur l'hostilité parfois extrême d'Amazon envers les syndicats. Selon leurs informations, les dirigeant·e·s d'Amazon ont reçu pour instruction de dénoncer tou·te·s celleux qui ne faisaient que mentionner le mot « syndicats », afin qu'Amazon puisse les licencier avant qu'iels ne parviennent à s’organiser. La personne qui a fondé les syndicats à Dobrovíz en 2016 a gardé ses intentions secrètes jusqu'à ce qu'elle informe Amazon de la création de l'organisation. Selon le code du travail, les membres des comités des organisations syndicales ne peuvent être licencié·e·s. Au lieu de syndicats dont le rôle est stipulé par la loi et qui ont le droit de représenter les intérêts des employé·e·s, Amazon met en place ce qu'on appelle des « forums d'employé·e·s ».
Selon Ivo, cependant, ces derniers servent de diversions à Amazon, lui permettant de ne pas s'occuper des véritables problèmes des employé·e·s. Malgré des efforts répétés, l'organisation syndicale d'Amazon n'a pas été en mesure de signer une convention collective qui s'occuperait des droits des employé·e·s au-delà du code du travail tchèque.
La municipalité de Dobrovíz se trouve à plusieurs kilomètres à l'ouest de la périphérie de Prague, combinant un centre historique avec un lotissement satellite typique de la banlieue. Elle est située à proximité de l'aéroport ainsi que de la route express R6, une importante liaison entre Prague et l'Europe occidentale. Cette bonne accessibilité attire à Prague des habitant·e·s qui recherchent une vie plus calme en dehors de la ville ainsi que des promoteurs de parcs logistiques.
La zone industrielle locale a été créée il y a vingt ans. La société de développement Panattoni Europe loue ses bâtiments à huit entreprises. Le plus grand bâtiment de 95 000 mètres carrés est loué par Amazon, dont le centre de distribution - qui occupe une surface de treize terrains de football - est le plus grand bâtiment industriel indépendant de République tchèque. Rien qu'en le regardant, on se rend compte que les pickers peuvent y parcourir jusqu'à seize kilomètres par jour.
Tout est calme sur le parking adjacent un mercredi après-midi. Des dizaines de bus y sont garés, dont certains sont signalés par des pancartes « Allez travailler avec le sourire ». Amazon conduit ses employé·e·s chaque jour au travail gratuitement depuis une cinquantaine de destinations dans les régions de Bohême centrale et d'Ústí nad Labem. Après 17 heures et 4 heures du matin, les bus commencent à circuler, transportant les employé·e·s qui travaillent en deux équipes au centre de distribution. Le soir, dans le hall d'entrée éclairé, les devises d'Amazon apparaissent comme « Travaillez dur. Amusez-vous bien. Entrez dans l'histoire ».
Il y a aussi l'arrêt de train Dobrovíz - Amazon financé par l’entreprise. Le train en provenance de Prague y vient trois fois par jour, dont deux fois en tant que liaison conçue pour le shift Amazon. L'autoroute est reliée au centre logistique par la rue Amazon, une partie de la rocade que la municipalité a exigée de la société de développement. Malgré de fréquents nettoyages, elle est jonchée de déchets jetés par les fenêtres par les conducteur·trice·s de camions.
Le centre historique de Dobrovíz, une municipalité de cinq cents habitant·e·s, se trouve à quelques pas d'Amazon. Devant l'autorité municipale locale, nous rencontrons Hana Veselá, l'une des fondatrices de l'association Citoyen·ne·s pour Dobrovíz (Citizens for Dobrovíz). Le groupe a été créé en 2013, lorsque des voisin·e·s du nouveau lotissement local ont voulu protester contre le bruit provenant du centre de plaintes Amazon, aujourd'hui disparu, situé au sein du parc industriel derrière leurs maisons. Lorsque les citoyen·ne·s ont commencé à se plaindre des activités d'Amazon, iels ont découvert que la région de Bohême centrale, en coopération avec l'agence gouvernementale CzechInvest, avait promis à Panattoni la construction d'un nouvel entrepôt géant pour Amazon. Cela comprendrait la construction d'une route à deux voies juste sous les fenêtres des nouveaux·elles habitant·e·s.
Lorsque l'association s'est intéressée à la construction du nouveau centre, il est apparu que la municipalité avait accepté de modifier son propre plan de zonage sans rien attendre en retour du promoteur. Cependant, l’association Citizens for Dobrovíz n'était pas d'accord avec un tel règlement. « J'avais mes contacts et je savais ce que nous pouvions nous permettre d'exiger du promoteur », explique Mme Veselá.
Au tournant de 2013-14, la municipalité est donc devenue le centre de l'attention des médias et des politiques. Les autorités locales ont reçu à tour de rôle la visite du ministre de l'industrie et du commerce, des représentant·e·s de CzechInvest ainsi que des responsables de Panattoni et d'Amazon. Les citoyen·ne·s de Dobrovíz se sont interrogé·e·s sur l'impact environnemental et sur l'opportunité de construire ce site dans les environs de Prague, où le chômage n’est pas un problème, contrairement à d'autres régions.
« Les gars de CzechInvest étaient tout excités. Ils ont expliqué comment tout allait fonctionner et se sont comportés comme si le soleil brillerait toujours. Je leur ai donc demandé ce qui se passerait si par hasard il pleuvait », raconte Veselá.
Finalement, la municipalité et Panattoni ont négocié la construction de la rocade susmentionnée autour de la ville, l'extension de l'installation de traitement des eaux usées et l'octroi d'un million de CZK (50 000 dollars) par an au budget local. Par la suite, l'association Citizens for Dobrovíz, un participant indépendant à la procédure de permis de construire, a signé son propre accord avec Amazon, sur la base duquel Panattoni a construit une barrière antibruit entre les entrepôts et les maisons familiales. Finalement, le centre de distribution Amazon près de Dobrovíz a commencé à fonctionner en septembre 2015.
« Je crois que nous avons fait tout ce que nous pouvions », commente Hana Veselá à propos de l'accord. C'est aussi pourquoi l'association a fini par décider de ne pas bloquer la construction, ce qui a suscité le ressentiment de certain·e·s voisin·e·s. « Une fois que Panattoni s'est vu promettre la construction de l'entrepôt par la région, le bâtiment n'a pas pu être empêché. Tout ce que nous pouvions faire était de négocier les conditions avec le promoteur », explique-t-elle, en pointant du doigt les municipalités environnantes qui ne reçoivent rien des entrepôts logistiques d'autres entreprises.
Mme Veselá souligne la nette amélioration de la situation de la circulation dans la ville qui avait attendu des années pour une déviation avant Amazon. « La plupart du temps, on ne remarque même pas les camions, les bus ou les employé·e·s d'Amazon dans le centre-ville », remarque-t-elle. Dans la ville, elle signale un nouveau terrain de jeux pour enfants construit avec les finances de Panattoni et le club de football local sponsorisé par Amazon. Elle mentionne qu'en plus des contributions négociées, Panattoni paie également à la municipalité une taxe foncière pour les entrepôts. En plus des autres contributions de l'aéroport voisin, cela fait de Dobrovíz une ville relativement riche.
En 2013, lorsque Amazon a commencé à s'intéresser à la République tchèque, elle a été confrontée à une série de grèves des employé·e·s du centre de distribution allemand. Afin de continuer à servir ses client·e·s allemand·e·s sans interruption, Amazon s'est alors tournée vers CzechInvest pour l'aider à ouvrir des succursales en République tchèque. Elle a promis de fournir des emplois permanents dans les centres de distribution de Dobrovíz et de Brno à 4 000 personnes (en période de pointe, jusqu'à 10 000). En 2013-14, alors que le taux de chômage était élevé après la crise économique, cette offre était alléchante pour les autorités tchèques.
Cependant, après cette annonce, la situation ne s'est pas déroulée aussi facilement qu'Amazon l'avait envisagé. Alors qu'à Dobrovíz, les désaccords décrits avec la population locale n'ont entraîné que quelques mois de retard (Amazon n'est pas arrivé à temps pour la période de Noël 2014 prévue), les négociations à Brno se sont prolongées au point qu'Amazon a décidé d'annuler l'investissement. Pour la même raison, Amazon n'a pas construit de centre logistique pour les marchandises retournées à Dolní Počernice en 2016.
Les opposant·e·s à la construction des centres de distribution d'Amazon ont subi des pressions sur plusieurs fronts pendant les procédures de permis de construire. Les promoteurs qui étaient censés construire les hangars Amazon se sont plaints de retards menaçant les ventes de Noël prévues. Ils ont imputé le mécontentement des citoyen·ne·s à la mauvaise communication des municipalités et ont menacé de déplacer Amazon et ses emplois vers une autre ville d'Europe centrale accueillant des investissements, voire d'intenter un procès pour l'investissement et la réputation entachée de la société.
En outre, la perspective d'une grande entreprise américaine promettant des milliers d'emplois bénéficiait d'un soutien important de la part du gouvernement social-démocrate de l'ancien Premier ministre Bohuslav Sobotka, notamment de son ministre des finances (et actuel Premier ministre) Andrej Babiš et de son collègue au ministère de l'industrie et du commerce Jan Mládek. Le président Miloš Zeman a déclaré que la désapprobation des contrats qui permettraient la construction de l'entrepôt à Brno à temps était « stupide ». Pendant ce temps, les commentateur·rice·s politiques et économiques craignaient que le pays ternisse sa réputation auprès des investisseurs mondiaux.
Le questionnement national a été alimenté par la rhétorique de la haute direction d'Amazon, lorsque le chef d'Amazon Europe, Tim Collins, a déclaré que les problèmes rencontrés avant la construction de l'entrepôt en République tchèque étaient tout à fait uniques. « Nous avons mis tant de choses sur la table : beaucoup d'emplois, un investissement élevé, nos plans sont un stimulant économique dans de nombreux domaines, et nous n'avons même pas demandé d'incitation financière à la République tchèque », a-t-il noté dans un entretien pour le quotidien économique Hospodářské noviny.
Pour Miroslav Pazdera, co-auteur de Steel Cities : Logistics Architecture in Central and Eastern Europe (« Les villes d’acier : architecture logistique en Europe centrale et de l’est ») , « des entreprises comme Amazon ne sont pas intéressées par le prolongement du processus de construction car elles doivent bâtir leurs centres le plus rapidement possible. La construction du centre de distribution d'Amazon en République tchèque était soumise à une seule condition essentielle : une distance maximale de 300 km de la frontière allemande et la connexion la plus courte possible au réseau autoroutier. Amazon se moquait de savoir si son nouvel entrepôt se trouverait près de Prague, de Brno ou peut-être de Pardubice ».
D'où son impatience. Comme de telles conditions pouvaient être offertes par un grand nombre de villes tchèques et étrangères, Amazon avait peu de raisons de perdre son temps avec une communauté réticente.
Pour Pazdera, le problème réside également dans la faiblesse de l'approche des autorités locales en matière de planification des centres logistiques. « Des décisions et des responsabilités importantes incombent aux autorités locales qui sont souvent un partenaire trop faible dans la discussion avec un promoteur beaucoup plus riche. Le plan de zonage de la ville est considéré comme une charge administrative plutôt que comme un outil efficace pour l'aménagement de notre territoire. Du point de vue de l'État, ces investissements sont souvent considérés de manière positive sans aucune critique. Il n'y a pas de débat d'expert·e·s sur la façon de travailler avec ce type d'infrastructure », explique-t-il.
Casper Gelderblom, le principal organisateur des manifestations « Make Amazon Pay » pour l’Internationale Progressiste, juge le comportement d'Amazon en 2014 comme un exemple typique de la « course vers le bas ». « Les différentes juridictions s'opposent les unes aux autres et essaient d'offrir à l'entreprise les plus grands avantages fiscaux, les meilleures infrastructures et la main-d'œuvre la moins chère. L'entreprise peut se promener et faire son choix, ou transférer la production chaque fois qu'elle n'aime pas quelque chose dans une juridiction particulière », explique-t-il.
Les juridictions les plus riches, comme l'Allemagne en 2013, sont maintenues dans ce système par crainte constante que l'entreprise ne parte pour une main-d'œuvre moins chère. « Amazon n'est en aucun cas la seule multinationale à se comporter ainsi. Elle est cependant l'une de celles qui excellent dans ce jeu », remarque M. Gelderblom.
Comme il n'est pas prévu qu'Amazon entre sur le marché tchèque, certains problèmes liés à cette entreprise en Europe occidentale et aux États-Unis ne concernent pas la République tchèque. Il n'y a pas le problème des pratiques monopolistiques d'Amazon qui cachent les offres des petits magasins en ligne sur ses pages lorsqu'elle ne peut pas se mettre d'accord sur quelque chose. Aux États-Unis, où Amazon couvre environ 40 pour cent du commerce électronique, c'est l'un des motifs de critique les plus fréquents.
Pourtant, ce pays, comme d'autres de la région, est toujours affecté par l'entreprise. La République tchèque fournit à Amazon une infrastructure physique sous la forme de son entrepôt à Dobrovíz et, par conséquent, les questions concernant le statut des employé·e·s d'Amazon, l'empreinte écologique de l'entreprise et son impact sur les villes locales ne peuvent être ignorées.
Les salaires inférieurs à ceux de l'Europe occidentale pour un même travail sont la norme ici comme dans d'autres pays post-communistes. Les conditions de travail dans d'autres entreprises sont - à en juger par les preuves fournies par les employé·e·s - comparables, voire pires que celles d'Amazon. Pourtant, la République tchèque sert avant tout à Amazon de réserve de main-d'œuvre bon marché pour le marché allemand, et ici, Amazon peut s'en tirer avec des pratiques qui ne passeraient jamais en Allemagne, voire même sans discussion publique.
Tous les employé·e·s d'Amazon avec lesquel·le·s j'ai parlé se sont plaint·e·s de ne recevoir que la moitié de la prime coronavirus de l'entreprise. On peut affirmer que ce sont précisément ces pratiques qui font que les Tchèques se sentent comme des citoyen·ne·s européen·ne·s de second rang, un sentiment qu'il ne faut pas sous-estimer. Ivo Mayer, qui a cité avec précision des paragraphes du code du travail lors de notre entretien et m'a parlé de toutes les initiatives paneuropéennes de soutien aux syndicalistes d'Amazon, a quand même fait remarquer, alors que je partais, qu'il préférerait « quitter l'UE comme les Anglais·e·s l'ont fait ».
Amazon n'est pas venu à Dobrovíz pour aider à lutter contre le chômage ici, mais pour être le plus proche possible de l'autoroute vers l'Allemagne. Elle n'emploie pas beaucoup de personnes de la ville ou de ses environs et ne cultive pas le sentiment d'appartenance des habitant·e·s. Amazon emploie les personnes qu'elle amène ici en bus depuis les régions tchèques socialement plus défavorisées, mais ne développe pas de services, d'infrastructures ou de liens communautaires dans leurs lieux de résidence.
En même temps, le brassage d'étranger·ère·s en provenance de différentes villes rend l'organisation autonome des employé·e·s plus difficile, ce qui permet à Amazon de mener une campagne efficace contre les syndicats plus facilement. Pendant ce temps, les terres agricoles (et pas seulement) de la périphérie de Prague sont exploitées par de nouveaux hangars logistiques. Si l'actuel boom logistique en Europe centrale devait prendre fin, leur utilisation n'est pas claire.
Dans le contexte des changements sur le marché du travail, de la crise économique croissante et de la popularité grandissante des achats en ligne, il n'est pas exclu que l'offre et la demande d'emplois dans les entrepôts continuent d'augmenter. Si cela devait arriver, espérons que les Tchèques seront plus prévoyant·e·s dans leurs relations avec Amazon et d'autres centres logistiques qu'iels ne l'étaient en 2014. La première étape est évidente : commencer par être critique, y compris des investisseur·euse·s américain·e·s qui apportent des cadeaux.
Cet article a été publié à l'origine dans Voxpot.
Klára Votavová travaille dans un département de la fonction publique tchèque. Fière syndicaliste, elle contribue également à Voxpot.cz.
Photo: Majda Slámová