Le 15 août, l'Inde a célébré 78 ans d'indépendance vis-à-vis de la domination coloniale. Le drapeau tricolore flottait dans les villages et les villes, témoignant de siècles de lutte pour la liberté. Mais sous la surface de cette commémoration se cachait une profonde inquiétude : le droit le plus fondamental obtenu grâce à cette lutte, à savoir le droit de vote, la voix égale de chaque citoyen·ne dans les affaires de la république, était volé au vu et au su de toutes et tous.
Une semaine seulement avant la fête de l'indépendance de l'Inde, Rahul Gandhi, chef de l'opposition, a publié une enquête explosive qui a ébranlé la démocratie indienne dans ses fondements. Lors d'une conférence de presse à New Delhi le 7 août, M. Gandhi a dévoilé des données provenant de Mahadevapura, dans l'État du Karnataka, une circonscription remportée par le parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), lors des élections générales de 2024. D'une précision et d'une ampleur sans précédent, plus de 100 000 votes sont remis en question.
Les chiffres cités sont si frappants qu'ils semblent fictifs : 40 009 adresses invalides, plus de 10 000 inscriptions groupées à une seule adresse, des doublons et des milliers de noms absurdes. Un seul immeuble à Bengaluru aurait accueilli quatre-vingts électeur·ices, dont aucun·e n'a pu être identifié·e par les voisins et voisines. Les présentateur·ices de télévision se sont rendu·es en masse aux adresses indiquées pour constater la même chose. Des milliers de personnes se sont connectées au site web de la Commission électorale pour télécharger les données et ont trouvé des enregistrements successifs d'une même personne avec plusieurs numéros « EPIC » ou numéros d'identité d'électeur·ice uniques. En bref, les preuves étaient à la portée de toutes et tous.
La réaction a été immédiate et virulente. La Commission électorale a rejeté ces accusations, les qualifiant de « trompeuses et sans fondement ». Les ministres du gouvernement au pouvoir ont dénoncé les allégations de Gandhi comme une attaque contre la nation. Pourtant, les responsables politiques de l'opposition du bloc INDIA (Indian National Development Inclusive Alliance) se sont rallié·es à sa cause. Au Parlement et dans les rues, ils et elles ont exigé une enquête judiciaire et la publication de l'intégralité des données du registre électoral. En réponse, des dizaines de député·es ont été arrêté·es.
La démocratie indienne sera une nouvelle fois mise à l'épreuve lors des prochaines élections régionales au Bihar, le deuxième État le plus peuplé du pays. Cette semaine, Gandhi a lancé le Voter Adhikar Yatra le 17 août à Sasaram, au Bihar, avec pour slogan « lutter pour protéger une personne, un vote ». Il a accusé la Commission électorale (CE) de collusion avec le BJP (Bharatiya Janata Party) au pouvoir pour manipuler les listes électorales sous le couvert de la « révision intensive spéciale » (SIR). Il a affirmé que rien qu'au Bihar, 6,5 millions d'électeur·ices avaient été supprimé·es, tandis qu'au Maharashtra, 10 millions de nouveaux électeurs et nouvelles électrices avaient été ajouté·es et qu'au Karnataka, plus de 100 000 votes avaient été manipulés.
Ce droit de vote n'a jamais été accordé facilement ; il a été conquis, exigé, arraché aux dirigeantes et dirigeants coloniaux qui estimaient que les Indien·nes ordinaires étaient incapables de se gouverner eux-mêmes. Au moment de l'indépendance, un nombre important de personnes affirmaient encore qu'une population pauvre et analphabète ne pouvait pas soutenir le suffrage universel.
Mais l'Assemblée constituante, dirigée par B.R. Ambedkar, est restée ferme : chaque adulte, homme ou femme, riche ou pauvre, de caste supérieure ou dalit, aurait le même droit de vote. Les premières élections générales de 1951-1952 ont été un miracle d'organisation et d'imagination. Ambedkar a déclaré : « La démocratie n'est pas seulement une forme de gouvernement. C'est avant tout un mode de vie, une expérience commune et partagée. C'est essentiellement une attitude de respect et de révérence envers nos semblables. »
Les allégations de manipulation des listes électorales ne concernent pas simplement des erreurs administratives ou des problèmes techniques. Elles révèlent une tendance plus profonde : la tentative d'un régime au pouvoir de vider la démocratie de sa substance tout en conservant son apparence, afin d'imposer une nouvelle forme d'autoritarisme qui se pare du masque de la légitimité populaire. Ce faisant, il trahit non seulement la promesse faite à la veille de l'indépendance, mais aussi les luttes qui l'ont précédée — celles des paysan·nes et des ouvrier·ères qui se sont battu·es pour la souveraineté, non seulement contre l'Empire, mais aussi contre la faim, l'exploitation et la privation de leurs droits.
Mais aujourd'hui, alors que des millions de personnes ne trouvent pas leur nom sur les listes électorales, cette promesse sonne creux. On ne peut s'empêcher de se rappeler les mots du poète Faiz Ahmed Faiz qui, au moment de l'indépendance, écrivait avec angoisse à propos de la partition dévastatrice du sous-continent :
« Yeh daagh daagh ujala, yeh shab-gazida seher — Woh intezaar tha jiska, yeh woh seher to nahin. » « Cette lumière tachée, cette aube mordue par la nuit — Ce n'est pas l'aube que nous attendions. »
Les mots de Faiz résonnent aujourd'hui dans une Inde où la démocratie semble elle aussi divisée — entre celles et ceux dont les votes comptent et celles et ceux dont les noms disparaissent.
Soixante-dix-huit ans plus tard, l'indépendance n'est pas un souvenir, mais un mandat. Le jour de l'indépendance nous rappelle non seulement la libération du joug colonial, mais aussi la longue bataille inachevée pour garantir une véritable liberté : la liberté de vivre à l'abri du besoin, la liberté de vivre à l'abri de la peur et la liberté de décider de notre destin. Si le vote est volé — que ce soit par l'intimidation, la haine communautaire ou la manipulation des listes électorales — alors la république elle-même devient une coquille vide, vidée de sa substance.
L'aube attendue n'est pas encore arrivée.
Résister à ce vol, c'est donc poursuivre la lutte de libération à notre époque. Le 15 août 1947, l'Inde a allumé une torche qui a inspiré les peuples colonisés partout dans le monde : la liberté était possible, les empires pouvaient être brisés, les gens ordinaires pouvaient se gouverner eux-mêmes. Aujourd'hui, cette torche vacille dans le vent de l'autoritarisme. La protéger, la renforcer, la transmettre, telle est la tâche de cette génération.
Quatre-vingts ans après que les États-Unis ont largué des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, le désarmement nucléaire reste d'une importance cruciale.
Historiquement, les campagnes pour le désarmement nucléaire et les mouvements anti-impérialistes ont profondément convergé dans leur opposition commune à la violence structurelle, à l'injustice et au pouvoir hiérarchique mondial.
Le 30 août 2025, l'Internationale Progressiste, le Peace and Justice Project et le People's Health Movement organisent une discussion sur le désarmement nucléaire et la lutte contre l'impérialisme dans le cadre de la campagne du centenaire de la Ligue contre l'impérialisme.
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Sarnath Banerjee (né en 1972) est un artiste visuel élevé à Calcutta et basé à Berlin, auteur d'œuvres graphiques qui explorent de manière surréaliste l'histoire, la fiction et le quotidien. L'image, Cemetery 04 (Cimetière 04), est tirée d'une série intitulée Critical Imagination Deficit (Déficit critique d'imagination), composée de dessins et d'enregistrements audio installés sur des structures typiques des kiosques à journaux publics indiens pour la 13e Biennale d'art contemporain de Berlin.
Critical Imagination Deficit est décrit comme « un témoignage du diagnostic de Banerjee sur une ère éphémère de domination intellectuelle, une crise des structures de pouvoir hégémoniques euro-américaines, dont il a peut-être observé les symptômes avec acuité depuis son domicile allemand ». Banerjee est cofondateur de la maison d'édition primée Phantomville, professeur invité à l'IIT (Bombay, Jodhpur, Gandhinagar) et à l'université Munjal de Gurgaon, ainsi que professeur invité à l'université des arts (UdK) de Berlin.