Le vendredi 21 novembre 2025, le ministère du Travail et de l’Emploi a officiellement promulgué les règles relatives à quatre Codes du travail. Cette refonte intègre et abroge 29 lois nationales du travail existantes.
Ces Codes – le Code des salaires (*the Code on Wages), 2019* ; le Code des relations industrielles (Industrial Relations Code), 2020 ; le Code de la sécurité sociale (the Code on Social Security), 2020 ; et le Code de la sécurité, de la santé et des conditions de travail (Occupational Safety, Health and Working Conditions Code), 2020 – représentent la restructuration la plus significative de la jurisprudence du travail en Inde depuis l’Indépendance.
Les Codes entrent en vigueur près de six ans après leur adoption parlementaire, mettant fin à une longue période d'incertitude administrative. Leur histoire législative est enracinée dans des contestations politiques. Le Code des salaires a été adopté en 2019, tandis que les trois autres – Relations industrielles, Sécurité sociale et santé et sécurité au travail – ont été adoptés en septembre 2020.
Il convient de noter que le parlement a adopté les codes de 2020 lors d’une session écourtéetandis que l’opposition boycottait les débats sur les projets de loi agricoles. Cette période a également coïncidé avec des troubles civils généralisés liés à la loi d’amendement de la citoyenneté (CAA) et aux pressions de la pandémie du COVID-19.
Les critiques citent l’absence de consultation tripartite comme principale faille. La Conférence indienne du travail (ILC) –mécanisme suprême au sein duquelle gouvernement, les employeurs et les travailleurs délibéraient sur les politiques – ne s’est pas réunie depuis 2015. Cette omission a suscité des critiques même au sein de l’establishment dirigeant.
En mars 2025, Basavaraj Bommai, haut responsable du Bharatiya Janata Party (BJP) et président de la commission parlementaire permanente sur le travail, a publiquement critiqué le gouvernement de l’Union pour ne pas avoir tenu l’ILC, notant que de telles omissions sapent la légitimité démocratique des réformes du travail.
Passer de « lois » spécifiques à des « Codes » unifiés n’est pas seulement un ajustement, mais une refonte structurelle. En fusionnant 29 lois diverses, le parlement a effectivement délégué d’importants pouvoirs législatifs à l’exécutif (gouvernements de l’Union et des États) par le biais de « règles ».
Les détails importants– tels que le calcul précis du salaire minimum, les limites de sécurité ou les seuils de sécurité sociale – auparavant intégrés dans le texte des lois se trouvent désormais dans des « règles » que le gouvernement peut modifier par promulgation sans contrôle parlementaire immédiat.
Puisque le « Travail » figure sur la liste concurrente, le gouvernement de l’Union et les États doivent tous deux établir des règles pour que ces codes fonctionnent. Bien que le gouvernement de l’Union ait promulgué les Codes, le paysage juridique reste fragmenté. Les États « favorables aux entreprises » comme l’Uttar Pradesh, le Karnataka, l’Andhra Pradesh et le Gujarat ont des règles prérédigées augmentant les limites de travail quotidiennes et introduisant l’auto-certification.
Inversement, les États ayant une forte présence syndicale, comme le Tamil Nadu et le Benga-Occidental, ont retardé l’élaboration des règles. Cela crée une « asymétrie de conformité », où les normes du travail peuvent varier considérablement d’un État à l’autre. Les analystes craignent que cela ne déclenche une « course vers le bas », où les États se se feraient concurrence pour attirer des capitaux en formulant les règles les plus « flexibles » ou déréglementées, érodant ainsi la protection uniforme des travailleurs.
Cette promulgation marque le changement philosophique de l’État indien qui passe du « protectionnisme » à la « facilitation ».
Après 1947, la jurisprudence du travail – illustrée par la loi sur les conflits du travail (the Industrial Disputes Act), 1947 et la loi sur les usines (the Factories Act,) 1948 – a été fondée sur le postulat que la relation entre le capital et le travail est intrinsèquement inégale. L’État est intervenu pour assurer la sécurité de l’emploi, réguler les licenciements et imposer l’aide sociale, servant de frein au pouvoir arbitraire du capital.
Cependant, la libéralisation postérieure à 1991 a connu un changement de paradigme. Des institutions financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale ont soutenu que les lois « rigides » du travail en Inde, notamment en ce qui concerne les licenciements et les fermetures, freinaient l’investissement. La Deuxième Commission nationale du travail (SNCL), nommée en 1999, a officialisé ce point de vue.
La SNCL a recommandé de « rationaliser » les lois du travail, un euphémisme pour l’assouplissement des restrictions sur l’embauche et les licenciements, tout en proposant une « législation cadre » distincte pour le secteur non organisé. Les Codes actuels réalisent la feuille de route de la SNCL. Ils institutionnalisent l’idée que les droits du travail doivent être adaptés aux besoins du marché, modifiant fondamentalement le contrat social entre le travailleur, l’employeur et l’État.
Ce Code regroupe quatre lois, dont la Loi sur le salaire minimum de 1948 et la Loi sur le paiement des primes de 1965. Une ambiguïté centrale réside dans le « salaire minimum ». Le Code oblige le gouvernement fédéral à fixer un salaire minimum, en dessous duquel aucun État ne peut fixer son salaire minimum. Cependant, il (le code) ne lie pas légalement le gouvernement aux normes nutritionnelles et de consommation fixées par la Cour suprême dans l’affaire Raptakos Brett (1992). Les critiques craignent que cette discrétion puisse institutionnaliser des salaires de misère plutôt que des salaires décents.
Structurellement, l’Article 2(y) introduit une définition uniforme des « salaires », exigeant que les indemnités (comme l’indemnisation pour la location d’une maison (HRA) ou le transport) ne puissent pas dépasser 50 % de la rémunération totale. S’ils le font, l’excédent est ajouté au salaire de base pour le calcul de la caisse de retraite ( Provident Fund (PF)) et de l’indemnité. Bien que cela augmente la caisse de la sécurité sociale, cela pourrait réduire le salaire « net » mensuel de nombreux employés.
Sur le plan administratif, l’Article 51 remplace le traditionnel « Inspecteur du travail » par un « Inspecteur et Facilitateur ». Ce changement de nom marque un changement fonctionnel de l’application de la loi vers le conseil, privilégiant les inspections « basées sur le web » et « randomisées » plutôt que des inspections en présentiel. De plus, le Code permet le « cumul » des infractions, où les employeurs peuvent payer une amende pour éviter des poursuites. Les critiques soutiennent que cela monétise l’illégalité, transformant le vol de salaire d’un crime en un « coût commercial » gérable.
En consolidant la Loi sur les syndicats (the Trade Unions Act) de 1926 et la Loi sur les conflits du travail (Industrial Disputes Act ) de 1947, ce Code modifie radicalement la résolution des différends et la sécurité de la titularisation. Le point le plus controversé est l’extension du principe « Embaucher et licencier ». Sous le régime précédent, les établissements comptant 100 travailleurs ou plus devaient obtenir l’autorisation du gouvernement pour tout licenciement ou fermeture. Le chapitre X porte ce seuil à 300 ouvriers. Selon l’Enquête annuelle sur les industries, cela exempte plus de 90 % des unités industrielles indiennes de tout contrôle, permettant ainsi aux employeurs de licencier les travailleurs à leur guise.
Pour équilibrer ces normes plus faciles, l’Article 83 établit un « Fonds de requalification», qui oblige les employeurs à verser 15 jours de salaire pour chaque travailleur licencié. Les syndicats rejettent cette disposition comme étant un maigre paiement unique remplaçant la sécurité d’emploi à long terme. Affaiblissant encore davantage la sécurité, l’Article 2(o) accorde une reconnaissance légale à « contrats à durée déterminée », permettant aux employeurs d’embaucher des travailleurs pour des durées spécifiques pour n’importe quel travail, y compris les tâches permanentes principales. Cela permet à la direction de renouveler les contrats à plusieurs reprises sans s’engager à offrir un emploi permanent.
Le Code a également un impact sur la négociation collective. L’Article 62 impose aux travailleurs de tous les établissements industriels de donner un préavis de 14 jours avant de se mettre en grève. Il est important de noter que les grèves sont interdites lors des procédures de conciliation. Puisque la conciliation commence immédiatement après la réception d’un préavis de grève et que l’État peut prolonger cette conciliation indéfiniment, la possibilité légale d’organiser une grève légale est effectivement supprimée. De plus, l’obligation d’établir des « règlements internes » ne s’applique désormais qu’aux établissements comptant 300 travailleurs ou plus (contre 100 auparavant), supprimant ainsi effectivement l’État de droit dans les petites unités de production.
Fusionnant neuf lois, dont la loi Caisse de prévoyance des employés (The Employees’ Provident Funds Act(EPF)), ce Code reconnaît pour la première fois les « travailleurs temporaires » et les « travailleurs de plateforme » (Article 2(35)). Cependant, il ne va pas jusqu'à les définir comme des « employés ». Par conséquent, les agrégateurs comme Uber ou Zomato ne sont pas responsables des contributions standard tel que la caisse de retraite (Provident Fund ( PF)). Au lieu de cela, le Code propose un fonds de bien-être financé par une taxe de 1 à 2 % sur le chiffre d’affaires annuel de l’agrégateur. Cela crée un modèle de protection sociale basé sur une taxe plutôt que sur les droits. De plus, l’Article 142 impose l’utilisation du numéro d’identification unique de 12 chiffres (Aadhaar) pour l’enregistrement. Compte tenu des erreurs de documentation fréquentes parmi la main-d’œuvre migrante, les critiques soutiennent que cela crée une barrière technologique ou une « exclusion numérique ».
Remplaçant 13 lois, ce Code redéfinit la notion d’« usine » (Article 2(w)) en augmentant le seuil de 10 à 20 ouvriers (avec électricité) et de 20 à 40 ouvriers (sans électricité). Cette déréglementation retire des milliers de petites unités de fabrication, souvent caractérisées par des normes de sécurité insuffisantes, du champ d’application des réglementations strictes. De même, le Code ne s’applique désormais qu’aux entreprises employant 50 travailleurs ou plus (au lieu de 20 auparavent), incitant ainsi les employeurs principaux à fragmenter leur main-d’œuvre pour échapper à la conformité.
Bien que le Code conserve la limite de travail journalier de 8 heures, il introduit le concept de temps « réparti », laissé à définir par les Règles. Les syndicats craignent que cela permette aux gouvernements des États d’étirer légalement la journée de travail à 12 heures sous prétexte de pauses plus longues. De plus, l’Article128 habilite le gouvernement à exempter tout établissement du Code par une simple promulgation, permettant ainsi à l’Exécutif de suspendre les lois sur la sécurité pour des secteurs comme les zones économiques spéciales sans l’accord parlementaire.
La promulgation a déclenché des protestations immédiates de la part de la Plateforme unie des syndicats (CTU) et celles du réprésentant du Syndicat des Agriculteur le Samyukt Kisan Morcha (SKM).
Ils basent leur opposition sur trois piliers.
Translated by William Goldstick, Taoufik Allah Afkinich and ProZ Pro Bono