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En finir avec l'ère du pétrole : les colonies du carbone et un New Deal Vert mondial

Quand nous pensons aux conséquences écologiques, nous pensons à la montée des eaux, aux tempêtes plus intenses et aux inondations plus rapides. Mais le prix à payer n’est pas seulement écologique, il est aussi politique. Pour ceux qui vivent dans des colonies de ressources, les émissions de carbone sont une garantie de désolation tant atmosphérique qu'administrative.
Vendredi 27 septembre 2019. Deux fils d’actualités étaient ouverts en parallèle sur mon ordinateur.
Vendredi 27 septembre 2019. Deux fils d’actualités étaient ouverts en parallèle sur mon ordinateur.

À gauche : l'Égypte. Le pays était confiné bien avant que le coronavirus ne le banalise. Quarante-deux barrages routiers autour du centre du Caire, la police anti-émeute stationnée en grand nombre sur toutes les grandes places du pays. De ma fenêtre, je pouvais voir que les rues étaient vides. Le régime était en état d'alerte après une série de manifestations la semaine précédente et avait repris le dessus en force.

À droite : la grève climatique de Greta Thunberg. D’immenses marches de personnes circulant librement dans les centres-villes de Turin, Helsinki, Rome et au-delà. En présence de la police, des banderoles se déployaient pour réclamer un avenir durable pour la planète.

Je me souviens m'être inscrit par courriel pour recevoir des informations sur la grève du climat. Après l'enregistrement de mon adresse, une deuxième page s'est ouverte, avec une seule question :souhaitez-vous organiser une action sur votre lieu de travail ou au sein de votre communauté ?

J'ai coché non.

Il y a eu des tentatives courageuses de marches ce jour-là en Égypte, non pas pour le climat mais contre le régime. Elles ont été rapidement réprimées avec des gaz lacrymogènes et des fusils.

Au coucher du soleil, j'ai fait défiler encore et encore les informations, mais les barrières érigées par la police étaient infranchissables. À droite de mon écran, après la marche de la grève du climat, se sont affichées les marches suivantes : Budapest, Naples, Barcelone. Je suis resté en ligne pendant des heures et j'ai regardé le soleil se lever sur de nouvelles villes et de nouvelles marches : Montréal, Vancouver, Santiago du Chili, Valparaiso.

Il y aura plus de 4 000 arrestations cette semaine-là en Égypte. Elles se poursuivent encore aujourd'hui, les accusations étant toujours les mêmes. Le 28 avril 2020, Kholoud Amer, responsable de la traduction à la bibliothèque d'Alexandrie, est accusée de diffusion de fausses nouvelles et d'appartenance à une organisation terroriste.

Pendant que je passais la nuit à faire défiler ces deux événements, cette pensée tournait en boucle : comment ces deux événements peuvent-ils coexister dans une indépendance apparemment totale l'un de l'autre ? Il nous est bien sûr impossible d'organiser une grève du climat en Égypte. Mais pourquoi l'Égypte est-elle absente de la grève du climat ?

L'Égypte, qui abrite un demi-million de réfugié·e·s et plus de cent millions d'habitant·e·s, est en première ligne du chaos climatique : les températures augmentent, les villes côtières vont disparaître, les rendements diminuent, les terres agricoles s'effondrent et la nappe phréatique d'eau douce est infiltrée par le sel; des pluies plus intenses et plus longues paralysent régulièrement les villes tandis que les sécheresses estivales s'allongent, on parle constamment d'une guerre de l'eau avec l'Éthiopie. Il y a peu d'endroits aussi vulnérables aux inégalités du réchauffement climatique que l'Égypte.

Si nous sommes tous liés au sort de la même planète, combien de temps pouvons-nous continuer à exister dans ces réalités distinctes ?

***

On a compris depuis longtemps que même si ce sont les pays industrialisés qui ont dépensé la grande majorité du budget carbone total de la planète, les conséquences écologiques les plus immédiates vont être payées par le Sud.

Quand nous pensons aux conséquences écologiques, nous pensons à la montée des eaux, aux tempêtes plus intenses et aux inondations plus rapides. Mais le prix à payer n’est pas seulement écologique, il est aussi politique. Pour ceux qui vivent dans des colonies de ressources, les émissions de carbone sont la garantie d’une désolation tant atmosphérique qu'administrative.

L'Égypte nous en donne un parfait exemple : une économie nationale théoriquement autodéterminée mais au carrefour d'une série de compétitions régionales. Elle dispose d'un bouquet énergétique diversifié, avec une hausse de l'énergie en provenance du solaire et de l’éolien, d'importantes réserves de gaz et de l'hydroélectricité. Elle serait, au sens traditionnel, considérée comme une nation postcoloniale et indépendante.

Cependant, un examen attentif de sa position au sein de l'économie mondiale des hydrocarbures complique le tableau. Nous verrons comment l'Égypte est liée par de multiples intérêts au sein de ce que j'appellerai la chaîne du carbone - la toile énergétique industrielle mondiale érigée par, et pour, le capitalisme industriel qui lui a permis de se développer au cours des 250 dernières années. Comme une chaîne alimentaire, elle comporte des prédateur·rice·s au sommet (les dirigeant·e·s des compagnies pétrolières, Vladimir Poutine), des carnivores de taille moyenne (les dirigeant·e·s des pétro-États, les courtier·ère·s, les banquier·ère·s), un éventail de mammifères privilégiés, et puis le reste du monde.

Dans une région réputée pour ses conflits et sa concurrence, une analyse de la chaîne du carbone peut nous fournir de nouvelles perspectives politiques. À l'intérieur des frontières nationales, elle peut nous procurer de nouveaux outils d'animation et d'organisation politiques. Au sein des mouvements supranationaux, elle peut nous donner des pistes vers de nouveaux modèles de coordination. En bref, elle peut contribuer à combler le fossé entre nos mondes divergents.

Je prendrai l'exemple de l'Égypte, mais la méthode peut être appliquée partout où l'on utilise des combustibles fossiles. C'est-à-dire partout.

LA CHAÎNE DU CARBONE 1 : ZOHR

L'Égypte occupe trois positions différentes sur la chaîne du carbone. La première, la moins surprenante, est celle de colonie de ressources. La mer Méditerranée, les déserts et la vallée du Nil sont divisés en un patchwork de centaines de concessions détenues par des dizaines de compagnies pétrolières et gazières étrangères qui recherchent et pompent le pétrole et le gaz.

En 2015, le géant italien de l'énergie, Eni, a découvert le plus grand gisement de gaz de toute la Méditerranée et l'a nommé Zohr. Les concessions pétrolières et gazières égyptiennes offrent une répartition 50/50 entre la société et la nation, et l'Égypte a déclaré que cette découverte fournirait les réserves de gaz nécessaires pour devenir indépendante sur le plan énergétique.

Le premier gaz a été livré en décembre 2017, mais l'année suivante, le coût de l'électricité a augmenté en moyenne de 22,5 pour cent pour les utilisateurs locaux.

La population ne voit pas la couleur des bénéfices de Zohr, mais ces derniers sont utilisés pour rembourser la dette extérieure. En avril 2020, 40 pour cent du budget de l'État était consacré au paiement des intérêts. Depuis l'arrivée au pouvoir du régime de Sisi, la dette extérieure a triplé, passant de 38 milliards de dollars à 110 milliards de dollars. En plus d'une interminable série d'avions de chasse français, de sous-marins allemands et d'hélicoptères russes achetés pour obtenir des faveurs politiques, 8 milliards d'euros ont été dépensés pour la construction de centrales électriques afin de convertir le gaz de Zohr en électricité. Il s'agit du plus gros contrat de l'histoire de Siemens, souscrit par un consortium de banques allemandes à un taux d'intérêt non divulgué.

Indépendance énergétique, convertie en servitude pour dettes.

Pour les ménages aux revenus les plus faibles, le prix du gaz a fait un bond de 51 pour cent. Le régime de Sisi, en accord avec l'idéologie économique du Fonds Monétaire International, a supprimé les subventions pour le gaz, le carburant et l'eau tout en faisant flotter - et donc dévaluer - la monnaie nationale de 50 pour cent. C’est un choc économique du capitalisme d'austérité qui a exigé un État militaire pour l'imposer à la population. Les dettes du régime sont supportées par le peuple, maintenant et pour toujours, car même la politique future est liée par des dettes non remboursables.

Au sein de la chaîne du carbone, il y a donc une pyramide claire : les grands gagnants Eni, Siemens, l’Allemagne et l’Italie ; les escrocs de niveau intermédiaire du régime de Sisi ; et les grands perdants, la population égyptienne et celle de l'atmosphère terrestre. C'est-à-dire tout le monde.

Chaque jour, Zohr pompe l'équivalent en carbone de toute la production quotidienne de l'Autriche, brûlant le budget carbone de la planète afin qu'une petite dictature puisse rembourser les dettes odieuses contractées pour maintenir les niveaux d'exportation industrielle des armes et des technologies de combustibles fossiles du Nord.

Chaque jour, le gaz vendu sous les mers égyptiennes nous revient lentement comme une mer en crue. De nouvelles projections pour 2050 indiquent qu'Alexandrie sera entièrement submergée.

LA CHAÎNE DU CARBONE 2 : LE LÉVIATHAN

Le deuxième plus grand gisement de gaz de la Méditerranée s'appelle Léviathan, et sa mise en route a été beaucoup plus compliquée.

Depuis qu'Israël s'est répandu sur la plaine côtière de Palestine, il a un talon d'Achille tenace : l'énergie. Le seul morceau de territoire entre Casablanca et Ispahan, apparemment sans réserves de combustibles fossiles, a longtemps été dépendant des exportations des allié·e·s.

En 2008, Hussein Salem, l'un des principaux acolytes de Moubarak, a conclu un accord pour la construction d'un gazoduc entre l'Égypte et Israël. Le public égyptien était furieux, mais impuissant pour y mettre fin. Non seulement Moubarak vendait du gaz à l'ennemi de la nation, mais il le vendait à un prix inférieur à la valeur du marché. À l'époque où la Turquie, la Grèce et l'Italie payaient entre 7 et 10 dollars par million de BTU, Israël, sans autre option d'importation par gazoduc, payait 4 dollars.

Le gazoduc est devenu l'un des symboles du régime servile de Moubarak. Lorsqu'il a été jugé en 2011, le procureur a affirmé que cette vente à découvert avait coûté 714 millions de dollars aux contribuables, bien que les spécialistes de l'énergie aient déclaré que le chiffre pourrait atteindre 11 milliards de dollars.

Pendant la période révolutionnaire de 2011-2013, le gazoduc a été dynamité douze fois. La treizième, le gouvernement a cessé de le réparer.

Puis le Léviathan a été découvert au large des côtes de Haïfa. De nombreux articles d'opinion messianiques ont déclaré qu'Israël était vraiment le peuple élu de Dieu.

Le problème, cependant, était que pour rendre l'exploitation du puits financièrement viable, Israël devait exporter du gaz. L'utilisation domestique seule n'offrait pas un taux de rendement suffisamment attractif pour les investisseur·se·s devenu·e·s frileux·ses face aux mutations rapide d'un monde en décarbonisation.

Pendant des années, le Léviathan est resté inexploité. Israël ne disposait pas de l'infrastructure nécessaire pour liquéfier et expédier le gaz dans des navires-citernes ou pour l'acheminer par gazoduc vers un autre pays. Et puis la Jordanie est intervenue avec une commande de 10 milliards de dollars et la construction d'un nouveau gazoduc a commencé. L'Égypte a ensuite proposé d'inverser le flux du gazoduc de Moubarak pour l'acheminer vers le terminal d'exportation de gaz situé sur la côte Nord, où le gaz du Léviathan combiné à celui de Zohr ferait de l'Égypte un centre d'exportation d'énergie.

L'accord a été signé en 2018 par une entreprise appelée Dolphinus Holdings : une société écran dont le contrôle par les services de renseignements généraux de l’Egypte a été révélé au grand jour par le journal égyptien, Mada Masr.

Depuis le Léviathan, trois régimes voisins s'entremêlent désormais grâce à une infrastructure physique de gazoducs. Dans ces circonstances, l'Égypte occupe une position plus élevée dans la chaîne du carbone, où elle n'est pas une colonie de ressources mais un facilitateur colonial, enrichissant et enracinant davantage la puissance coloniale en Palestine.

Grâce aux capacités des régimes égyptien, jordanien et israélien à se coordonner et à s'imbriquer, le Léviathan va maintenant brûler ; le monde arabe restera fragmenté et incohérent à mesure que la Palestine sera rabotée davantage ; les élites militaires égyptiennes et jordaniennes s'enrichiront encore ; l'équivalent de l’ensemble des émissions de CO2 de l'Allemagne en un an sera dépensé sur le budget carbone de la planète.

LA CHAÎNE DU CARBONE 3 : ARAMCO

La politique pétrolière ne peut être envisagée sans l'Arabie Saoudite, le pétro-état colonial qui couronne le tout. La vaste richesse pétrolière de l'Arabie Saoudite a longtemps été le carburant d'un réseau régional d'idéologues, de prêcheur·se·s et de médias, de djihadistes et de guerrier·ère·s sectaires et, plus récemment, de gouvernements par procuration. Elle détourne une partie de son flux de richesses vers des sociétés d'armement américaines et britanniques en échange d'une protection régionale et de solutions matérielles complexes avec lesquelles elle reste incapable de vaincre des voisins asymétriquement sous-équipés pour la guerre.

Depuis l'éruption du Printemps arabe, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont été les assureurs de plus en plus actifs des réactionnaires locaux. Ils ont offert l'asile au Tunisien Ben Ali, mené une guerre aérienne désastreuse contre le Yémen, financé le conseil militaire transitoire du Soudan, sont intervenus maladroitement en Libye et en Syrie, ont maintenu l'État policier de Bahreïn, kidnappé le Premier ministre du Liban et essayé de négocier l'abandon définitif de la Palestine dans le cadre du « deal du siècle » de Trump.

En Égypte, le régime de Sisi s’est maintenu à flot grâce à un flux de prêts, de dons, d'investissements, de coentreprises et d'achats d'îles d'une valeur d'au moins 78 milliards de dollars, une somme colossale qui a disparu dans le trou noir du copinage égyptien. Il y a des raisons idéologiques et logistiques : l'Arabie saoudite méprise les Frères musulmans presque autant que l'Iran, et a soutenu leur coup d'état militaire. Sur le plan logistique, l'Égypte est un pays de transit crucial pour le pétrole saoudien qui passe par le canal de Suez et un oléoduc clé qui relie la mer Rouge à la Méditerranée.

L'Égypte, ici, occupe la position la plus basse de la chaîne du carbone : état vassal, pays de transit.

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Colonie de ressources, catalyseur colonial, état vassal, pays de transit. Ce sont toutes les positions que l'Égypte occupe sur la chaîne du carbone. Ce réseau mondial, composé de milliers d’interactions entre les infrastructures, les États, les entreprises, la géographie, l'histoire, relie la planète entière par des intersections de pouvoir, de répression, de vulnérabilité et d'opportunités.

La chaîne du carbone a été créée il y a 250 ans, en partant de Southampton, d'Anvers, de l’Orient et de Kiel, pour arriver à Manille, Rio de Janeiro, la Nouvelle-Orléans, Port-au-Prince, Calcutta et Hong Kong. Un déploiement incessant de navires négriers, de rails en fer, de routes goudronnées, de canaux de navigation, de fils télégraphiques, d'ondes radio, d'oléoducs, de stations satellites, de conteneurs et de câbles à fibres optiques ont relié le monde en une union toujours plus étroite de l'espace et du temps, effaçant les différences entre les continents, créant une hiérarchie mondiale unifiée de classes et de castes.

Les vainqueurs ont parfois fait la guerre entre eux. Mais depuis l'effondrement de l'Union soviétique, nous assistons à l'émergence évidente d'un acteur de classe supranational uni autour d’un langage commun et une idéologie uniforme de progrès, de sécurité et de stabilité.

Progrès : la suppression des conditions réglementaires qui visent à contenir la motivation du capital international pour le profit.

Sécurité : le développement et la mise en œuvre de techniques de contrôle de la population.

Stabilité économique : le maintien de gouvernements nationaux qui soutiennent les conditions locales permettant au capital international d'engranger des profits.

De Davos à Wall Street, de Sao Paolo à Pékin, un pour cent de la population mondiale a émergé, en accumulant un niveau de richesse qui ne pouvait être auparavant perturbé que par une guerre majeure.

La perspective la plus effrayante de notre avenir n'est cependant pas la guerre, mais notre paix durable. Les guerres d'aujourd'hui sont des guerres de riches contre les pauvres, des guerres de contre-insurrection, des guerres contre la terreur, la drogue, le crime. Ce sont des guerres menées par la police. Les élites du monde entier se retranchent derrière des systèmes de sécurité identiques : surveillance de masse, application de la loi militarisée, frontières strictes, tandis que les capitaux mobiles sont gardés en sécurité et exempts de taxes dans des banques offshore. Si la classe moyenne jouait autrefois le rôle de tampon entre l'élite et les travailleur·se·s, celle-ci est désormais remplacée par l'appareil de sécurité grandissant de l'élite.

Dans le cas de l'Égypte, nous bénéficions de la double bénédiction de la bureaucratie colossale d'un État socialiste établi pour intervenir dans presque tous les aspects de la vie. Celle-ci fonctionne désormais selon un dogme d'austérité dure, une fusion de Staline et de Reagan qui réduit les fonctions de l'État à peu de chose de plus que la protection violente des richesses en ressources pour ses complices, qu'ils soient nationaux ou étrangers.

L'État égyptien est devenu l'une des avant-gardes de la fusion des élites d'aujourd'hui et déploie une énergie immense pour maintenir ses citoyen·ne·s atomisé·e·s et incapables de s'organiser. Il contrôle et fragmente l'espace public en étranglant et en réduisant au silence la vie politique, il démembre la production culturelle indépendante tout en « harmonisant » les médias, il travaille sans relâche à l'aménagement d'une sphère publique entièrement définie par la corruption, garantissant des possibilités de division et de conflit dans toutes les interactions quotidiennes.

Mais la chaîne du carbone peut nous donner l'opportunité de voir au-delà, à travers l’hideuse corporalité de nos régimes actuels.

Examinons à nouveau les trois positions de l'Égypte au sein de la chaîne du carbone. Dans chacune d'elles, des possibilités d'action et de réflexion politiques s’offrent à nous. Elles ne peuvent être contenues ni par les acteur·rice·s étatiques répressif·ve·s ni par leurs bailleur·euse·s de fonds extractif·ve·s.

LA CHAÎNE DU CARBONE 1 : LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE

Zohr appartient à l'Italien Eni, avec des participations minoritaires détenues par la russe Rosneft (30 pour cent) et la britannique BP (10 pour cent). Actuellement, pour ceux d'entre nous qui se trouvent en Égypte, il n'y a aucun moyen d'empêcher l'Eni de pomper du gaz. Mais le carbone extrait d'Égypte brûle dans notre ciel commun.

Dans les pays dotés d'infrastructures démocratiques, les entreprises complices peuvent être visées par des actions directes et des poursuites judiciaires, les bailleur·euse·s de fonds des élu·e·s peuvent être contrôlé·e·s, la législation peut être conçue et faire l'objet d'une lutte, les élections peuvent être contestées.

Nous assistons actuellement à une vague internationale de poursuites judiciaires potentiellement importantes. Les tribunaux américains sont actuellement saisis de 15 affaires majeures en matière de responsabilité climatique : la ville de Baltimore poursuit pour le coût des dispositifs contre les inondations, San Francisco pour le prix de sa digue, l'État de Rhode Island pour la dévaluation de la propriété côtière. L'importante affaire Juliana contre les États-Unis, portée devant les tribunaux par 21 jeunes plaignant·e·s et dans sa sixième année, fait partie des dizaines d'affaires dans le monde où des enfants se saisissent des tribunaux pour violation de leurs droits futurs.

Il y a déjà eu des victoires notables, dont la plus significative, Urgenda contre les Pays-Bas, a ordonné au gouvernement néerlandais de réduire ses émissions de 25 pour cent cette année par rapport aux niveaux de 1990. Urgenda est le précédent de quelque 1 442 affaires déposées dans le monde entier, qui affirment, de diverses manières, que les gouvernements violent les droits humains de leurs citoyen·ne·s en n'agissant pas pour maintenir un environnement propre et vivable.

Il est tout à fait possible d’imaginer qu'une entreprise comme l'Eni soit vulnérable dans sa juridiction d'origine, l'Italie, sur plusieurs fronts : du droit des Italiens à un environnement sain et à une mer Méditerranée partagée, aux accusations d’œuvrer contre la politique étrangère déclarée de l'Italie (telle que définie dans le récent Universal Periodic Review (« Examen périodique universel »), aux enquêtes sur des questions financières et comptables, ou comme auxiliaire, complice ou soutien matériel d'un régime militaire qui porte ses violations des droits de l'homme comme insigne d'honneur et a assassiné au moins un citoyen italien, Giulio Regeni.

Mais l'Eni n’est pas la seule entreprise qui soutient le régime de Sisi depuis Rome. Sur les lignes de front de la violence d'État, nous apercevons un logo italien dans les phares d'un fourgon anti-émeute se diriger vers nous : celui d’Iveco. Le lendemain matin, nous ramassons des douilles de balles et nous lisons le mot Fiocchi. Lorsque nous mettons du ruban adhésif sur les caméras de nos ordinateurs et que nous laissons nos téléphones dans les micro-ondes, nous essayons de nous cacher de la Hacking Team (« équipe de piratage ») de Milan et de Area S.p.A.

Avec des ressources matérielles italiennes, l'État égyptien maintient un « environnement commercial stable ». La capitale italienne, fuyant la réglementation du Nord, est comme chez elle dans cette dictature du Sud. Les syndicats y ont depuis longtemps été vidés de leur substance et les briseur·euse·s de grève de classe militaire peuvent y empêcher les actions syndicales. La crise du travail en Italie (33 pour cent des jeunes sont actuellement au chômage) est intimement liée à la main-d'œuvre bon marché des autocraties étrangères et au taux de rendement élevé dont bénéficient les élites qui se regroupent en conservant leur capital supranational.

Au Nord comme au Sud, cet environnement commercial doit être déstabilisé.

Le 27 septembre, en regardant ces deux fils d’actualités, j'ai vu les marches de la Climate Strike (« grève du climat ») à Munich, Milan, Paris et Waterloo, Ontario. Ces quatre villes abritent les sièges des entreprises qui développent et vendent les six technologies clés que nous connaissons et qui constituent l’ « emprise électronique » de la surveillance numérique du régime égyptien : Gamma International et Trovicor à Munich, Hacking Team et Area SpA à Milan, Nexa à Paris et Sandvine à Waterloo.

Une carte des concessions pétrolières et gazières égyptiennes de 2019 montre le pays divisé en 195 zones géographiques distinctes destinée à l'exploration par les compagnies énergétiques nationales, locales et internationales. Cette année-là, un total de 20 compagnies énergétiques internationales opéraient en Égypte. Elles ont leur siège à Londres (BP, Perenco, SDX, Pharos), Houston (Apache, Apex), Paris (Total, Perenco), Hambourg (Dea), La Haye (Shell), Rome (Eni), Dublin (Petroceltic), Moscou (Lukoil), Kiev (Nafto Gas), Zagreb (Ina-Nafte), Santiago du Chili (Sipetrol) et Calgary (TransGlobe).

Il y a eu des grèves du climat dans chacune de ces villes.

L'environnement des affaires doit être déstabilisé. Les opportunités offertes par une nouvelle solidarité internationale majeure sont nombreuses.

LA CHAÎNE DU CARBONE 2 : LÉVIATHAN ET SOLIDARITÉ SUPRANATIONALE

Nous sommes empêtrés dans les réseaux de communication du capitalisme. Comment pouvons-nous mieux les utiliser pour coordonner nos efforts entre des espaces aujourd'hui divisés par des frontières dures et économiques ?

J'ai appelé les exemples ci-dessus des solidarités inter-nationales - elles se produisent entre des personnes vivant au sein de leurs nations distinctes. Nous devrions également envisager les possibilités supranationales que nous pouvons discerner en suivant les liens des chaînes de carbone qui nous entourent.

Sur le plan juridique, Saúl Lliuya, un agriculteur péruvien, poursuit actuellement le plus grand producteur d'électricité allemand, RWE, devant un tribunal allemand. Il fait valoir que RWE devrait payer 0,47 pour cent des dispositifs de protection contre les inondations de sa ville : 0,47 pour cent correspondrait à la part annuelle de la société dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Bien qu'initialement rejetée, l'affaire est maintenant traitée devant la cour d'appel régionale d'Essen.

Aux Philippines, la Commission des droits humains a créé un précédent mondial avec son enquête sur l'impact des 50 « majors du carbone » cotées en bourse sur les droits du peuple philippin. La Commission déclare qu'elle « vise à déterminer les questions de responsabilité à l'encontre des entreprises qui ne sont pas domiciliées aux Philippines sur la base des effets transfrontaliers de leurs activités commerciales ».

La Commission philippine des droits humains estime que l'Eni est responsable de 0,41 pour cent des émissions totales de CO2 depuis 1751. Quel est le coût des défenses côtières nécessaires à la protection d’Alexandrie ? Que représente 0,41 pour cent du coût des terres agricoles que nous perdons à cause de la salinisation qui ne peut pas être retenue par un mur ? Que représente 0,41 pour cent du coût du blanchiment de la merveille naturelle qu'est le récif corallien du Sinaï ?

Quelles nouvelles affaires peuvent émerger d'une coordination supranationale entre les habitant·e·s des villes où se déroulent des manifestations pour le climat et ceux qui sont enfermés dans des colonies de ressources ?

Le mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) pour les droits des Palestinien·ne·s est le meilleur exemple sur lequel nous appuyer. Le BNC, un comité central palestinien, fournit des directives et suggère des principes d'action et des cibles légitimes : multinationales dont les travaux d'infrastructure violent le droit international, banques détenant des participations dans des entreprises d'armement, grandes marques réalisant des profits avec les institutions de l'État israélien, événements culturels recevant des financements des ministères du gouvernement israélien, etc. Ce cadre ouvert, au sein duquel se dessinent des lignes directrices qui permettent à tout membre du public de s'impliquer, a permis au mouvement BDS de prendre de l'ampleur année après année depuis quinze ans. Ce dernier éveille une conscience politique et économique mondiale sur le choix des consommateur·rice·s et permet aux peuples du monde entier d'accéder facilement à l'engagement politique, tout en revendiquant des victoires économiques et culturelles significatives.

Ce modèle devrait être mis à profit, et un organisme comme l'Internationale Progressiste est peut-être le cadre approprié pour cela. Il pourrait créer un comité supranational pour les boycotts du carbone doté d’un organe rotatif composé de membres des pays du Sud global. Son rôle serait de désigner les entreprises dont le siège se situe au Nord à ajouter sur une liste noire. Chaque année, vingt entreprises pourraient venir compléter la liste, ainsi que des lignes directrices et des directives sur la manière dont elles peuvent être ciblées. Il s'agirait bien sûr d'entreprises du secteur de l'énergie, mais il faudrait également étendre cette liste aux entreprises occupant des positions stratégiques plus opaques sur la chaîne du carbone.

Un tel comité, s'il dispose de ressources suffisantes, pourrait alors, chaque année, développer et soumettre un ensemble d'informations au public, y compris une analyse des vingt entreprises :

  • Arsenal juridique: Comme nous l'avons vu plus haut dans les affaires Eni et RWE, le comité pourrait étudier les options juridiques et juridictionnelles, associer les plaignant·e·s à des avocat·e·s, aider à monter des actions collectives. Le comité fournirait un mécanisme technique et logistique pour associer le Sud au Nord, une union indispensable afin de porter ces affaires devant les tribunaux. Sur les 50«majors du carbone», seules deux ont leur siège sur un territoire juridictionnel où ils ne pourraient pas, de manière réaliste, être poursuivis : les Russes Lukoil et Yukos. Les autres se trouvent tous en Amérique du Nord, en Europe, en Australie, au Japon et en Afrique du Sud.
  • Composition de l'économie: Le comité pourrait publier des stratégies de désinvestissement, des informations sur les actionnaires et les fonds d'investissement et de pension qui détiennent des participations. En 2020, le langage employé par les gestionnaires d'actifs, notamment BlackRock, le plus grand, a déjà changé. Il a annoncé qu'il se débarrassait des investissements présentant un«risque élevé de non-soutenabilité», une idée floue qui doit aller au-delà de la simple vente d'actifs dans le secteur du charbon.
  • Présence publique: Pour le·la consommateur·rice moyen·ne, il est plus simple de boycotter certaines entreprises que d'autres. Le comité devrait publier des cartes des chaînes d'approvisionnement, des informations sur les filiales en contact avec les consommateur·rice·s et, pour les services, des alternatives renouvelables localisées. Le comité devrait fournir des outils pour aider tout à chacun à comprendre le paysage économique qui les entoure. Outre la pression économique, la liste noire annuelle devrait être une source de pression culturelle, suscitant la critique sur les réseaux sociaux, l’attention des médias et le développement de campagnes populaires auprès des consommateur·rice·s. Elle devrait comporter des suggestions d'actions directes, en dressant la carte des entreprises en contact avec le public.

Un tel comité pourrait devenir le forum essentiel d’un nouveau chapitre dans la coordination supranationale, afin de défier les profits supranationaux dont bénéficient les grandes entreprises au sommet de la chaîne du carbone et leurs bénéficiaires intermédiaires. Il pourrait être également une arène utile à la coordination Sud-Sud : en Égypte, nous avons beaucoup à apprendre, par exemple, du Nigeria et des multiples procès intentés contre les super-majors, Eni compris, ces dernières années.

Enfin, le comité pourrait coordonner des campagnes pluriannuelles et multinationales. Prenez, par exemple, Siemens. Comme nous l'avons mentionné plus haut, cette société a récemment remporté le plus grand contrat de son histoire pour la construction de trois centrales électriques à cycle combiné en Égypte. Ces faits, pris isolément, ne constituent pas un objectif réaliste pour une campagne de boycott. Mais en 2019, Siemens a retiré son appel d'offres pour la construction d'une extension du métro de Jérusalem, un projet d'infrastructure controversé visant à cimenter davantage la colonisation de Jérusalem par Israël. Le retrait de Siemens est le résultat de plusieurs années de campagne menée par les militant·e·s du BDS. Il a cependant contribué à la construction des infrastructures d'hydrocarbures en Egypte qui ont permis à Israël d'exporter le gaz du Léviathan. Il y avait là une opportunité pour un effort supranational, nous ne devons pas manquer pareille occasion à l'avenir.

LA CHAÎNE DU CARBONE 3 : ARAMCO ET LA FIN DU PÉTROLE

La fin du capitalisme industriel provoquera l’effondrement du régime saoudien et la disparition de son réseau régional de mandataires réactionnaires soutenus par ses pétrodollars jusque-là illimités.

Saudi Aramco, la société la plus«valorisée»du monde, l'atout central du régime saoudien et la source unique de la plus grande pollution de l'histoire, a été mise en vente. Pourquoi ? Pourquoi vendre l'épine dorsale de votre pays à des investisseur·euse·s guidé·e·s uniquement par l'appât du gain ? Parce que le temps presse.

Le prix des énergies renouvelables baisse d'année en année. Nous sommes maintenant à deux doigts de constater qu'il est moins cher de construire de nouvelles éoliennes et centrales solaires que d'entretenir les centrales thermiques existantes. 79 pour cent des producteurs européens de charbon, sous-cotés par les énergies renouvelables concurrentes, fonctionnent déjà à perte. Même selon les estimations prudentes de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les énergies renouvelables égaleront la production de charbon d'ici cinq ans. Les émissions de l'Inde ont encore augmenté de 2 pour cent l'année dernière, mais c'est la plus faible augmentation depuis 20 ans car l'éolien et le solaire ont connu une forte croissance. Chaque mois, un nouveau record est établi pour l'énergie photovoltaïque à faible coût. Un nouveau rapport éloquent (toujours de l'AIE, une organisation conservatrice), a déclaré que l'éolien offshore a la capacité de répondre à 11 fois la demande énergétique mondiale.

Tout celaavantle cas de force majeure du coronavirus. La guerre des prix déclenchée par Mohammed Bin Salman en mars, combinée à l'effondrement de la demande mondiale, a vu les prix du pétrole plonger brièvement en territoire négatif alors que les stocks américains se remplissaient ; les océans sont actuellement parsemés de très grands transporteurs de pétrole brut fonctionnant comme des dépôts flottants et n'ayant nulle part où aller. Warren Buffet a vendu toutes ses parts de compagnies aériennes américaines, en disant que l'industrie ne se redresserait probablement jamais complètement. Les travailleur·e·s des industries lourdes ont demandé que leurs usines soient converties en usines d’équipements médicaux. Les maire·sse·s de 40 grandes villes ont publié une déclaration commune s’engageant à inclure plus d'égalité et de résilience climatique dans leurs plans de relance, en veillant à encourager le vélo et accroître l'espace public. Un important document d’orientation politique a interrogé 200 banquiers centraux et ministres des finances du monde entier, et ces derniers s’accordent sur le fait que les efforts de relance économique doivent réduire les émissions de carbone.

Il est possible de faire de 2019 l'année du pic pétrolier.

D'autre part, la Chine et les États-Unis ont suspendu les mesures de protection de l'environnement, renfloué les entreprises polluantes et accordé des réductions d'impôts aux compagnies aériennes. Les grandes entreprises sont prêtes à avaler d'innombrables petits concurrents, le pétrole bon marché encouragera la consommation, les préoccupations sanitaires stimuleront l'utilisation des voitures, les importations de charbon ont augmenté de 35 pour cent en Chine. Une surveillance et des contrôles frontaliers plus approfondis seront adoptés avec enthousiasme par certains segments de la société. Dans chaque pays, sans exception, ce sont les plus pauvres qui souffrent le plus.

Le moment que nous vivons est porteur tout à la fois de dangers et de possibilités.

La fin de l'ère du pétrole va radicalement modifier le statu quo politique dans le monde, plus particulièrement en Afrique du Nord et en Asie occidentale, où le contrôle des ressources en hydrocarbures est une caractéristique déterminante du régime militaire algérien, de la fragmentation libyenne, de l'hostilité intra soudanaise, des guerres turques en Méditerranée, de la suppression territoriale du Kurdistan, de la guerre froide saoudienne-iranienne, de la politique de « saisie du pétrole » de Trump en Syrie, du proto-impérialisme émirati et qatari, de la destruction de l'Irak et des dictatures azérie, kazakhe, turkmène et ouzbek.

Une dynamique politique et technologique s'est créée dans le monde entier, qui est maintenant accélérée par la COVID-19. En s’attachant à mettre fin à l'ère du pétrole, nous œuvronségalement à abandonner la politique gouvernementale de l'époque.

La décarbonisation et la décolonisation ne sont pas des projets politiques distincts, ce sont des accélérateurs mutuels.

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Bernie Sanders et Jeremy Corbyn ont tous deux placé le New Deal Vert au centre de leur offre électorale, et tous deux ont été battus, en grande partie à cause des machinations internes à leur propre parti. Aujourd'hui, les programmes de stimulation et de relance verte sont proposés de la gauche radicale au centre néolibéral. L'idée de ce qui est«vert»peut elle-même être questionnée.

Est-il vert de subventionner le déploiement de voitures électriques pour les particuliers ? Techniquement, oui : moins de moteurs à combustion, c’est moins d'émissions de carbone. Mais la batterie de chaque voiture électrique nécessite une quantité importante de cobalt, dont 75 pour cent est extrait en République démocratique du Congo, la plupart du temps dans des conditions désastreuses et«artisanales». Les entreprises dont les batteries sont au cœur de leurs produits, comme Apple et Tesla, ont promis au fil des ans«d'améliorer la visibilité de leur chaîne d'approvisionnement»ou de supprimer totalement le cobalt de leurs batteries, mais cela n'a pas été fait.

Le cobalt est un exemple parmi des dizaines d'autres des futures complications liées à la décarbonisation. Une étude récente de la Commission européenne a conclu que pour que l'Europe se décarbonise complètement d'ici 2050, il faudra une augmentation massive des approvisionnements mondiaux actuels en matières premières. Afin de construire les infrastructures éoliennes et solaires nécessaires pour alimenter l'Union européenne, 300 pour cent de tout le germanium actuellement produit dans le monde sera nécessaire ; 40 fois les approvisionnements actuels en indium, gallium, tellure, cadmium et sélénium ; la production mondiale actuelle de cuivre, verre, acier, béton, aluminium et plastique devra être multipliée par 20. Et ce, dans le seul but de décarboner l'UE.

La ruée vers les ressources qui a conduit à la colonisation des Amériques et de l'Afrique n'est pas terminée. Les programmes de relance verte du Nord pourraient se révéler extrêmement néfastes pour les habitant·e·s des colonies de ressources. S'ils ne sont pas associés à une sérieuse politique de décolonisation, on peut facilement imaginer comment les dictateur·rice·s du Sud seront, en permanence, accueillis à bras ouverts tant qu'ils assureront l'approvisionnement en minéraux essentiels ; comment même les états semi-fonctionnels s'effondreront en républiques de tantale où des carrières artisanales seront dirigées par des seigneur·esse·s de guerre mineur·e·s ; comment, une fois que l'UE aura atteint un niveau d'émissions nettes zéro, les anciennes nations sauvages seront décrites comme des pollueurs primitifs, et les dettes massives de carbone coloniales qui leur sont dues seront tout simplement oubliées.

Des pans entiers de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique latine seront sacrifiés pour«sauver»la planète. Il s'agit d'un avenir, en d'autres termes, qui n'est pas différent de notre présent.

Ceci nous ramène au présent et à la nécessité vitale d'un New Deal Vert mondial.

Il est impossible de prédire ce que les mois à venir nous apporteront. Une réorganisation majeure de notre monde est déjà en cours : une dépression sans précédent a commencé, le pétrole est en crise, les États-nations renaissants se voient attribuer des pouvoirs de police extraordinaires, des mesures de surveillance sans précédent sont adoptées et chaque jour nous nous rapprochons un peu plus de la possibilité d'un effondrement en cascade des systèmes financiers et politiques.

Qui sait où nous en serons dans un an ?

La Fenêtre d'Overton - le spectre instable des idées considérées comme politiquement acceptables - s’est tellement ouverte ces dernières semaines que presque tous les futurs sont envisageables. Qui serait surpris si, dans trois ans, nous nous trouvions dans un système mondial de surveillance biométrique constante, dirigé par la nouvelle superpuissance chinoise dominante, qui réorganise le monde en une hiérarchie de la santé afin de garantir qu'à l'avenir, la croissance du marché ne soit pas perturbée.

Une réorganisation sociale massive autour de la santé publique serait une possibilité également, alors que les populations du monde entier, arrachées un instant aux rythmes soi-disant irrépressibles du capitalisme, sortent du confinement dans un ordre économique effondré et exigent qu'il soit reconstruit sur des principes de durabilité, de transparence et de communauté, en privilégiant la vie humaine et écologique aux exigences du marché.

À travers les cycles de crise de l'Histoire, des opportunités apparaissent lorsque vient le temps de la reconstruction.

Nous nous rapprochons de l’une d’elles actuellement.

Une version de cet essai a été publiée à l'origine dans Mada Masr sous le titre Carbon Colonies & A Green New Deal («Les colonies du carbone et le New Deal Vert») en janvier 2020. Elle a été mise à jour de manière significative pour être publiée ici.

Photo: Pikist

Available in
EnglishGermanSpanishFrenchPortuguese (Brazil)Portuguese (Portugal)
Author
Omar Robert Hamilton
Translator
Roxane Valier-Brasier
Date
24.06.2020
Source
Original article🔗
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