Social Justice

A la périphérie : les travailleur·euse·s du sexe en Inde

Les travailleur·euse·s du sexe indiennes, qui vivent déjà en marge de la société, ont été durement touché·es par la pandémie.
Avec l'annonce du confinement national, les quartiers chauds des villes indiennes ont été transformés en zones interdites.

Note de l'éditeur : Cet article fait partie de la série spéciale de Himal Southasian intitulée « Unmasking Southasia : The pandemic issue » (« Démasquer l’Asie du Sud : les enjeux de l'épidémie »). Vous pouvez lire la note de la rédaction de cette série ici.

À dix heures du matin, les magasins sont ouverts mais à Sangli, à 376 kilomètres de Mumbai, les marchandises sur les étagères prennent la poussière. Kiran Deshmukh s'est réveillée sans grande hâte. Les routes vides signifiaient qu'elle n'avait pas grand-chose à faire.

Deshmukh est travailleuse du sexe à Sangli depuis 27 ans. Elle n'avait que 16 ans lorsqu'elle s'est enfuie de Pune, et s'est retrouvée en ville par accident. N'ayant jamais pris le train, elle est descendue à Sangli, croyant que c'était Calcutta. Elle apprécie la liberté que lui procure le travail du sexe, en particulier la possibilité de travailler à ses propres heures et selon ses propres conditions. Cela lui a permis d'acheter une maison, d'élever et d'éduquer trois enfants. Deshmukh travaille également depuis plus de dix ans pour Sangram, une organisation qui se concentre sur la prévention de la violence sexiste et du VIH/sida. Elle est aujourd'hui responsable de la branche Sangli. Ces derniers temps, alors que le travail se fait rare et que les gens se disputent les clients, elle a également été chargée de maintenir la paix entre les membres de sa communauté.

Le soir, Deshmukh commence sa tournée. Il est 3 heures du matin quand elle se retire dans son lit, épuisée, affamée et sans revenus pour la nuit. Même ses clients habituels hésitent à lui rendre visite par crainte de la transmission de COVID-19.

La plupart des 1,26 million de travailleuses du sexe en Inde, selon un rapport de l'Organisation nationale de lutte contre le sida (NACO) pour 2010-2011, ont été touchées par le confinement. (Selon une autre enquête réalisée en 2016 par le Programme commun des Nations unies sur le VIH et le sida (ONUSIDA), la population indienne de travailleur·euse·s du sexe s'élèverait à 657 800 personnes, bien que le nombre réel soit probablement beaucoup plus élevé). Il n'existe pas de données gouvernementales sur cette communauté, qui a toujours vécu en marge de la société indienne. Ce manque de données aurait un impact réel suite à la propagation de COVID-19.

Pas le temps de se préparer

Le 25 mars 2020, le gouvernement indien a imposé un confinement en réponse à l'épidémie virale. Le Premier ministre Narendra Modi a annoncé l'intention du gouvernement juste un jour avant, le 24 mars. Du jour au lendemain, des millions de travailleur·euse·s migrant·e·s se sont retrouvé·es bloqué·es, sans aucun moyen de gagner de l'argent pour couvrir leurs frais de subsistance ou pour rentrer chez elleux. Leur situation s'est aggravée lorsque les voyages à travers les États ont été interdits, même si la mise en œuvre a été inégale.

Pour les travailleur·euse·s du sexe de toute l'Inde, cela signifie qu'iels n'ont pas de clients. La soudaineté de l'annonce ne leur a pas laissé de temps pour se préparer. Comme beaucoup de travailleur·euse·s du sexe, Deshmukh n'avait que de maigres économies; avant que la COVID-19 ne se propage, elle gagnait 500 INR par client.

Le gouvernement a initialement déclaré que le confinement durerait 21 jours. Puis, comme la COVID-19 s'est rapidement répandue dans les villes indiennes, le confinement a été prolongé quatre fois jusqu'au 31 mai 2020. Pendant trois mois, Deshmukh, comme beaucoup d'Indien·ne·s, est restée dans sa maison louée. Elle n'a pas pu joindre ses enfants et ses collègues ; sa clientèle a disparu. Souffrant de problèmes médicaux préexistants, dont le VIH-2 et une hernie chronique, Deshmukh ne pouvait même pas voyager pour obtenir des médicaments ou consulter un·e médecin. Finalement, elle a pu se procurer des médicaments avec l'aide de Sangram, mais elle n'a pas pu soulager ses douleurs constantes à l'aine.

Le 22 mars, le ministère de la santé et du bien-être familial a envoyé un avis à tous les hôpitaux indiens, leur demandant de se préparer à recevoir un afflux de cas de COVID-19. L'avis indiquait également que les personnes ne devaient pas se présenter régulièrement aux services de consultations externes et donnait la priorité aux soins des personnes présentant une grippe et d'autres symptômes associés à la COVID-19. Même après la fin du confinement, les services isolés ont empêché les travailleur·euse·s du sexe de se rendre dans les hôpitaux. Après un grand chaos, les travailleur·euse·s du sexe de Sangli ont appris que des médicaments et de l'aide médicale étaient distribués dans une clinique locale voisine. Mais, sans aucune annonce officielle de l'État, seule une poignée d'entre elleux ont réussi à obtenir de l'aide.

Pour la nourriture, les travailleur·euse·s du sexe de Sangli comptaient sur Sangram et non sur le gouvernement. Sans cette aide et les programmes similaires des ONG indiennes, les travailleur·euse·s du sexe seraient mort·e·s de faim, selon Sudhir, un travailleur du sexe transsexuel de Sangli. Sans argent pour le loyer, et avec des factures d'eau et d'électricité en hausse, Sudhir, Kiran et d'autres travailleur·euse·s du sexe ont contracté des prêts auprès de prêteurs non réglementés à des taux d'intérêt élevés, entre 40 et 50 pour cent.

La situation était plus difficile pour les travailleur·euse·s du sexe dans les zones urbaines, où l'application du confinement était plus uniforme et plus prononcée. Une étude intitulée « Modélisation de l'effet de la fermeture continue des quartiers chauds sur la transmission de la COVID-19 en Inde », publiée initialement en mai 2020 par des chercheur·euse·s de la Harvard Medical School, du Massachusetts General Hospital et de la Yale School of Public Health, a affirmé que la fermeture des quartiers chauds de Mumbai, New Delhi, Nagpur, Kolkata et Pune réduirait le nombre de nouveaux cas de COVID-19 de 72 pour cent et le nombre de décès de 63 pour cent L'étude a été largement diffusée dans les médias indiens. Les travailleur·euse·s du sexe et les ONG se sont mobilisé·e·s contre l'étude, en soulignant qu'elle n'avait pas fait l'objet d'un examen collégial, certain·e·s affirmant que des préjugés préexistants avaient entaché les résultats. Après ce tollé, il a été rapporté que Yale a ordonné, le 8 juillet, une révision de l'étude controversée.

Avec l'annonce du confinement national, les quartiers chauds ont été transformés en zones interdites. Les autorités ont bloqué toutes les routes d'entrée et de sortie, contrairement à d'autres zones où le confinement était moins strict. Les ONG et les organisations d'aide qui surveillaient les droits des travailleur·euse·s du sexe étant dans l'incapacité de faire leur travail, de nombreux travailleur·euse·s du sexe ont également déclaré avoir été détenu·e·s par la police locale sans motif. En 2011, la Cour suprême indienne a confirmé le droit des travailleur·euse·s du sexe adultes à une vie digne. Pourtant, le 24 septembre, la Haute Cour de Mumbai a dû réitérer la loi tout en ordonnant aux autorités locales de libérer trois femmes adultes détenues illégalement dans un établissement correctionnel de la ville.

Les travailleur·euse·s du sexe vivant dans les villes, dont la plupart viennent de villages de toute l'Inde ainsi que de certaines régions de Southasia, se sont retrouvé·e·s entassé·e·s dans de petits espaces, avec peu ou pas de perspectives de travail, et négligé·e·s par le gouvernement. Bien que ce dernier ait annoncé plusieurs enveloppes budgétaires et des programmes de distribution publique (PDS) pour fournir aux citoyen·ne·s à faible revenu des produits de première nécessité, il fallait initialement présenter des papiers d'identité tels que des cartes de rationnement et des cartes de réduction de la pauvreté pour participer à ces programmes. Plus de 43 pour cent des travailleur·euse·s du sexe indien·ne·s n'ont pas de carte de rationnement et seulement 13 pour cent ont une carte BPL, a indiqué le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur la base d'entretiens réalisés en 2006. Celleux qui avaient ces documents étaient enfermé·e·s et n'avaient que deux jours pour demander une aide, ont déclaré les travailleur·euse·s du sexe. En fin de compte, beaucoup d'entre elleux n'ont pas pu se procurer de la nourriture et des médicaments de base grâce aux programmes d'aide COVID-19 du gouvernement pendant des mois.

En mai, Prerana a mené une enquête dans le quartier chaud de Mumbai pour évaluer les conditions de vie et les conditions sociales des travailleur·euse·s du sexe. Les résultats ont été choquants. L'ONG a constaté qu'une majorité des travailleur·euse·s du sexe de Kamathipura et de Falkland Road (60 et 73 pour cent respectivement) dépendaient des dons de nourriture des ONG et de la société civile. Quarante-six pour cent des femmes de la route des Malouines à Mumbai avaient emprunté de l'argent entre le 1er et le 15 avril seulement. Beaucoup avaient emprunté 10 000 INR plusieurs fois auprès de prêteurs sans savoir le taux d'intérêt qu'elles auraient à payer.

Pour la plupart des travailleur·euse·s du sexe, la plus grande dépense était le loyer. L'enquête de Prerana a révélé que la plupart d'entre elleux payaient entre 6 000 et 9 000 INR pour une chambre individuelle, et que cela dépassait de loin le coût de la location de chambres dans les maisons closes. À Sangli, Deshmukh paie 5 000 INR à un bordel de Gokulnagar près de chez elle, où elle rencontre des clients. D'autres doivent payer à l'heure, ou risquent de servir les clients dans n'importe quelle ruelle sombre qu'iels trouvent, ce qui présente d’autres risques.

La communauté hijra

Sudhir a 45 ans et fait partie de la population hijra de l'Inde. Elle a fait des études d'ingénieure et a trouvé un emploi près de Sangli pour faire vivre sa mère et ses deux sœurs. Malheureusement, Sudhir a été prise pour cible par ses supérieur·e·s en raison de son identité transsexuelle. Finalement, lorsque le harcèlement est devenu trop lourd à gérer, elle a quitté son emploi d'ingénieure et est rentrée chez elle. Elle y a rencontré d'autres personnes de la communauté transgenre et a commencé à travailler chez Sangram. Le manque d'alternatives l'a conduite au travail du sexe.

En tant que membre de la communauté hijra, Sudhir doit suivre des règles strictes. Avant la décision de la Cour suprême indienne de 2014 reconnaissant le troisième sexe, la communauté hijra était soumise à un harcèlement brutal en raison des lois de l'époque coloniale. Six ans plus tard, la stigmatisation sociale et la nature autodisciplinaire de leur société restent pratiquement intactes.

Les Hijras vivent au sein de leur communauté et répondent à une personne âgée ou à une mère den, connue sous le nom de nayaks et de gurus. Les règles qui leur sont imposées sont inébranlables. M. Sudhir affirme que les hijras ne peuvent pas dire ouvertement qu'iels font du commerce du sexe, et qu'iels risquent d'être évincé·e·s s’iels le révèlent publiquement. Celleux qui, comme Sudhir, disent la vérité sur leur travail ne peuvent pas prendre part aux autres activités génératrices de revenus de la société hijra.

Malgré ces règles, selon l'estimation de la National Aids Control Organisation (NACO, Organisation nationale de contrôle du Sida), sur 62 137 personnes transgenres en Inde, 62 pour cent se livrent au commerce du sexe.

Après que des militant·e·s transgenres aient écrit au gouvernement de l'Union pour lui faire part de leur situation, il a été annoncé que l'Institut national de défense sociale (NISD, National Institute of Social Defence), qui dépend du ministère de la justice sociale et de l'autonomisation, accorderait 1 500 INR par mois aux membres de la communauté. La demande de subvention était disponible sur le site internet du NISD, et était donc inaccessible aux personnes sans ordinateur ou sans données sur leur téléphone portable. Celleux qui ne savaient ni lire ni écrire se sont retrouvé·e·s dans une situation difficile. Seul·e·s quelques-un·e·s ont pu remplir les formulaires nécessaires pour obtenir une aide. Au bout de cinq jours, le formulaire est devenu indisponible sur le site internet, et au moment de la publication de ce récit, il reste inaccessible. Seul·e·s 24 des 75 demandeur·euse·s de Sangli ont reçu une aide financière à ce jour. Après le premier mois, les fonds du gouvernement ont cessé d'arriver. Personne n'a reçu un centime depuis le mois d'avril, a déclaré M. Sudhir.

Dans un entretien avec Revue, Meera Sanghamitra, militante trans et organisatrice de l'Alliance nationale du mouvement populaire à Telangana, a confirmé que moins d'un pour cent de la communauté transgenre en Inde a reçu l'aide du NISD.

Sudhir dépendait de Sangram pour la nourriture et de quelques clients qui mettaient de temps en temps de l'argent sur son compte Gpay pour payer le loyer et les factures. À la maison, sa mère et ses sœurs comptaient sur ses revenus. Cela a créé une pression supplémentaire, augmentant sa dépression et son anxiété à des niveaux presque ingérables. « J'ai beaucoup pensé au suicide ces six derniers mois », dit-elle.

Couper le soutien

Dans une étude de 2019, intitulée « Tentatives et tendances en matière de suicide chez les travailleuses du sexe débutantes et établies », les chercheur·euse·s ont découvert que 68 des 100 travailleur·euse·s du sexe âgés de 18 à 28 ans interrogé·e·s avaient tenté de se suicider au moins une fois dans leur vie. Trente-deux avaient tenté de mettre fin à leurs jours au moins deux fois cette année-là. L'étude a révélé qu'il existait une forte corrélation entre le nombre d'années de travail dans le commerce du sexe et le nombre et le schéma des tentatives de suicide. Même parmi les travailleur·euse·s les plus expérimenté·e·s, âgé·e·s de 30 à 45 ans (dont 100 autres ont été interrogé·e·s), 70 avaient fait une tentative au cours des deux dernières années.

La COVID-19 a décimé les moyens d'existence des travailleur·euse·s du sexe, ce qui a permis de faire ressortir ces chiffres. Sangeeta, qui a 36 ans, se souvient de la mort d'une amie quelques jours après le début du confinement. Sangeeta a rencontré Neha (dont le nom a été changé) lorsque celle-ci aidait le Réseau national des travailleur·euse·s du sexe (NNSW, National Network of Sex Workers) à mener une enquête pour savoir ce dont les populations avaient besoin. La jeune femme était très anxieuse et ne cessait de dire qu'elle n'avait pas d'argent, pas de clients et se sentait fiévreuse. Elle n'arrêtait pas de demander quand le confinement prendrait fin, se souvient Sangeeta.

La voix de Sangeeta se fend en racontant l'histoire de Neha. « Je lui ai dit que nous sommes tou·te·s dans la même position... J'ai dit que je la rencontrerais après que mon travail pour NNSW soit terminé pour la journée. » C'était la dernière fois que quelqu'un a vu Neha vivante. La trentenaire a été trouvée morte le matin suivant dans sa chambre louée. Personne ne l'a entendue crier ; seul·e sa·son propriétaire est venu·e la voir aux petites heures du matin.

Pour ne pas arranger les choses, les services d'ambulance locaux ont refusé de transporter la dépouille de Neha à sa famille au Karnataka. Finalement, un·e ami·e possédant une voiture et un permis de conduire a accepté de le faire, mais a demandé 40 000 INR pour cela.

Sudhir s’est également rappelée d‘un·e collègue de la communauté transgenre qui s'est suicidé·e pendant le confinement. Cette personne vivait seule dans un village à 50 kilomètres de Sangli. Le confinement les a isolé·e·s de la communauté hijra. En raison de la stigmatisation et de l'abandon familial, les femmes et les hommes transgenres sont plus susceptibles de souffrir de dépression dans le monde entier, et il en va de même pour les hijras indien·ne·s. Sudhir se souvient qu'iels l'appelaient à plusieurs reprises dans un état d'anxiété. Les restrictions de mouvement ont empêché toute personne de la communauté de leur rendre visite ou de les amener à Sangli. Deux jours se sont écoulés avant que Sudhir et d'autres membres de la communauté n'apprennent la mort de leur ami·e.

Pour contrer les comportements autodestructeurs des travailleur·euse·s du sexe, des membres de la communauté comme Kiran et Sudhir, travaillant en collaboration avec Sangram, NNSW et Prerana, organisent régulièrement des appels Zoom avec d'autres membres. Lors de ces appels, iels discutent de la sécurité, de la protection contre la COVID-19 et des questions de santé mentale.

La vie après le confinement

Le 1er juillet, le gouvernement indien a annoncé des mesures d'assouplissement, avec une ouverture progressive en plusieurs phases en dehors des zones de confinement. La dernière phase, Unlock 6.0, a vu l'ouverture de certains établissements d'enseignement supérieur pour les étudiant·e·s de troisième cycle. Après des mois à vivre au jour le jour, et avec la propagation continue de la COVID-19 dans tout le pays, il semble y avoir peu de place pour le travail du sexe qui exige une proximité physique. De nombreu·ses·x travailleur·euse·s du sexe dans les villes de métro comme Delhi, Mumbai et Kolkata sont retourné·e·s dans leurs villages.

Mais tout comme les travailleur·euse·s migrant·e·s traversaient le pays pour être fui·e·s par les habitant·e·s de leurs villages, les travailleur·euse·s du sexe étaient également empêché·e·s de rentrer chez elleux. De nombreuses femmes ont fait part de cette préoccupation à des volontaires de Prerana. Elles étaient certaines que leurs familles ne les accueilleraient pas si elles n'avaient pas d'argent à leur offrir.

Comme pour le VIH, les travailleur·euse·s du sexe ont rapidement appris les modes de transmission de la COVID-19 et ont éduqué leurs clients. Dans toute l'Inde, les travailleur·euse·s du sexe ont élaboré des directives de sécurité. Leurs clients doivent porter un masque et ne peuvent pas l'enlever, même pendant les rapports sexuels. Les baisers ne sont plus autorisés. Dans les maisons closes et les lieux de travail privés, les travailleur·euse·s du sexe gardent des seaux à l'extérieur de leur chambre et demandent à leurs clients de se laver les mains et les pieds. Les désinfectants sont obligatoires et les clients sont priés de garder leurs chaussures à l'extérieur et de se laver les pieds avant d'entrer dans la chambre. Si un client refuse d'obtempérer, il n'est pas autorisé à entrer dans la chambre ou le bordel, et les travailleur·euse·s du sexe refusent de fournir des services.

Dans les zones urbaines à problèmes comme la GB Road de New Delhi, les bordels ont instauré les mêmes directives. Dans la plupart des bâtiments, de grandes bouteilles de désinfectants et des boîtes de masques faciaux se trouvent dans les halls d'entrée. Les clients se plaignent que ces mesures ne sont pas agréables. Mais les travailleur·euse·s du sexe expliquent que c'est pour la sécurité de tou·te·s, a déclaré Neha (nom changé sur demande), qui dirige un bordel sur GB road. En raison de recherches inadéquates et d'une désinformation généralisée sur les modes de transmission de la COVID-19, la pandémie a même effrayé les travailleur·euse·s du sexe qui ont été confronté·e·s au virus du VIH.

Pushpa (nom changé sur demande) est assise à côté de Neha alors que nous sirotons de l'eau, cuisant pendant le mois de septembre le plus chaud de la décennie à New Delhi. L'annonce de la présence de porteur·euse·s asymptomatiques du coronavirus a également ébranlé la communauté dans son ensemble. Cela, ainsi que la probabilité d'être exposé à une personne malade qui ne prend pas de précautions, les a amené·e·s à insister sur des directives strictes pour la fourniture de services. Tout le monde ne comprend pas ou n'apprécie pas d'être conseillé sur les mesures de sécurité par les travailleur·euse·s du sexe, et la mise en place de ces mesures a entraîné des pertes d'activité, a déclaré M. Pushpa. « Mais c'est mieux que de perdre la vie », a-t-elle ajouté.

De nombreu·ses·x travailleur·euse·s du sexe ont trouvé d'autres moyens de faire des affaires. Amol, un travailleur du sexe de 27 ans, a eu recours à des applications de rencontre telles que Grindr pour trouver de nouveaux clients. Lui et d'autres travailleur·euse·s du sexe se normalisent en utilisant les chats vidéo et vocaux Whatsapp, et le cybersexe, au lieu de relations en personne.

Cela réduit le risque d'infection tant pour les travailleur·euse·s du sexe que pour les clients qui n'ont pas besoin d'entrer en contact physique. Sur demande spécifique, les travailleur·euse·s du sexe envoient des photos et des vidéos enregistrées. Cependant, soucieuses de leur vie privée et de l'histoire des hommes qui téléchargent des vidéos compromettantes sans leur consentement, elles demandent toujours à leurs clients de supprimer les fichiers médias une fois qu'iels ont terminé, a déclaré M. Amol.

Ces nouvelles méthodes ne sont pas sans risques et pièges. Pour offrir un plaisir numérique, les travailleur·euse·s du sexe peuvent gagner jusqu'à 300 INR (une forte baisse par rapport aux 500 à 600 INR pour les services en personne).

Il n'est pas rare que les travailleur·euse·s du sexe fournissent des services uniquement pour qu'un client leur dise que leurs données ne fonctionnent pas, ou qu'iels enverront l'argent via Google Pay par la suite. Mais ces promesses ne sont presque jamais tenues. Iels éteignent leur téléphone, laissant les travailleur·euse·s sans moyen de les trouver ou de les joindre pour exiger le paiement.

Les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (HSH) comme Anmol mènent deux vies. Leurs familles ne savent pas qu'ils sont des travailleurs du sexe. Beaucoup disent qu'ils travaillent de nuit dans un bureau ou qu'ils conduisent des taxis la nuit. Ils portent un pantalon et une chemise pendant la journée à la maison, et s'habillent en travesti la nuit.

Le secret de leurs moyens de subsistance rend les HSH et les travailleur·euse·s du sexe transgenres particulièrement vulnérables au chantage. Les femmes travailleuses du sexe ne sont pas épargnées. Kushwa (nom changé sur demande), une travailleuse du sexe maharashtrienne de 30 ans a récemment déposé une plainte pénale contre un client pour avoir distribué des vidéos compromettantes à ses amis sans son consentement. L'homme a d'abord tenté de faire chanter Kushwa, mais elle n'avait pas d'argent pour le payer. Puis il a commencé à vendre les vidéos à ses connaissances. Comme de nombreuses travailleur·euse·s du sexe, Kushwa cache sa profession à sa famille, y compris à ses deux enfants.

NNSW et Sangram ont aidé Kushwa à porter plainte auprès de la police locale. Leurs employé·e·s lui ont appris à remplir un premier rapport d'information (FIR). Au départ, la police ne voulait pas écrire dans la plainte que Kushwa est une travailleuse du sexe, disant que cela affaiblirait son dossier. Mais Kushwa a insisté, car lorsque l'affaire sera portée devant le tribunal, le banc des jurés tirera probablement des conclusions défavorables si elle ne divulgue pas d'informations dans sa plainte, a-t-elle souligné.

Une lueur d'espoir de la Cour suprême

Le 29 septembre, la Cour suprême indienne a ordonné à tous les États de donner aux travailleur·euse·s du sexe des rations sèches sans insister sur les papiers d'identité. La Cour a toutefois émis des réserves : elle a déclaré que les rations seraient mises à la disposition des travailleur·euse·s du sexe identifié·e·s par l'Organisation nationale de contrôle du sida (NACO) et les autorités judiciaires du district.

Meena Seshu a indiqué que celleux qui n'étaient pas enregistré·e·s pouvaient s'adresser à l'autorité du service d'aide juridique du district et s'y inscrire afin de recevoir des rations.

Mais cela pourrait avoir un impact sur les travailleur·euse·s du sexe qui n'ont pas révélé publiquement leur profession - que ce soit dans leur quartier ou leur district. Ces travailleur·euse·s du sexe font face à un choix amer : mourir de faim ou se rendre au bureau d'aide juridique du district en sachant que leur communauté les ostracisera, elleux et leurs enfants, s'iels sont repéré·e·s.

Dans un avis du 7 octobre sur les droits des femmes pendant la pandémie, la Commission nationale des droits de l'homme (NHRC) a reconnu les travailleur·euse·s du sexe comme des travailleur·euse·s informel·le·s, ouvrant ainsi des portes aux travailleur·euse·s du sexe indien·ne·s qui étaient exclu·e·s des programmes d'aide COVID-19 du gouvernement, et réduisant la stigmatisation de la profession.

Mais l'avis de la CNDH n'est pas bien accueilli par toutes les parties prenantes. Quelques ONG de lutte contre la traite des êtres humains, notamment Prajwala, s'y sont fermement opposées, en écrivant à la CNDH au motif que le travail sexuel est illégal en vertu de la loi indienne sur le trafic immoral (prévention) et que la plupart des femmes n'entrent pas dans la profession par choix. Au lieu d'une reconnaissance officielle, ces organisations ont demandé que des mesures d’urgence, des aides et des bourses leur soient accordé·e·s. Craignant que leur première victoire depuis le mois de mars ne soit érodée, 12 000 travailleur·euse·s du sexe et militant·e·s des droits des femmes ont répondu en écrivant également à la CNDH, demandant à l'organisation de respecter leur choix de profession.

Le 20 octobre, M. Modi s'est adressé au pays en invitant les citoyen·ne·s à se rappeler que, même si le confinement était terminé, le virus restait présent. Il a exhorté les citoyen·ne·s à rester chez elleux, à maintenir une distance sociale et à porter leurs masques. Avec la recrudescence des cas à Delhi, un nouveau confinement n'est pas exclu. Mais pour les travailleur·euse·s du sexe, qui vivent déjà avec de l'argent emprunté, un autre confinement serait bouleversant. Elles étaient déjà vulnérables avant la pandémie, et le resteront à l'avenir.

Avantika Mehta est une journaliste indépendante basée à New Delhi. Elle couvre les questions liées au droit, au genre et à la criminalité. Elle a étudié à l'Iowa Writers Workshop et écrit également des fictions.

Photo: Vikalp Women's Group, India / Flickr

Available in
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Author
Avantika Mehta
Translators
Alicja Markowska and Roxane Valier-Brasier
Date
04.02.2021
Source
Original article🔗
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