Alors que nous entrons dans la troisième année de la crise de la Covid-19, deux batailles sont en cours. L'une est menée par les soignant·e·s du monde entier dans des hôpitaux surpeuplés, qui se battent pour mettre fin à la pandémie. L'autre est menée par les dirigeant·e·s d'entreprise dans des conseils d’administration à huis clos, qui se battent pour la prolonger.
La question qui se trouve au centre des deux est la suivante : qui contrôlera les recettes médicales représentant des milliards de dollars et des millions de vies ?
Alors que certains pays lancent des programmes de rappel, moins de 6 pour cent des plus d'un milliard d'Africain·e·s ont été entièrement vacciné·e·s. Les grandes sociétés pharmaceutiques laissent la pandémie se poursuivre - et cela n’est pas surprenant.. Selon une estimation récente, Pfizer devrait réaliser des bénéfices astronomiques : 107 milliards de dollars de ventes cumulées d'ici à la fin 2022 pour ses vaccins contre la Covid-19, que l'on qualifie désormais de « méga blockbuster ». La clé de ce succès est le contrôle total de la production, des prix et des bénéfices. Si un plus grand nombre de nos usines, où qu'elles se trouvent, pouvaient commencer à produire des vaccins pour les habitant·e·s de leur pays, les entreprises comme Pfizer perdraient leur monopole. Elles le savent.
En ce moment même, l'Organisation mondiale du commerce étudie une proposition qui permettrait de lever temporairement les protections par brevet sur les recettes de vaccins. Plus de 164 pays l'ont soutenue. Mais l'industrie pharmaceutique riposte avec force, par le biais des gouvernements qu'elle influence.
L'Union européenne, le Royaume-Uni, la Suisse, la Norvège et Singapour ont réussi à bloquer cette proposition depuis plus d'un an.
Mais alors que les ministres se réunissent, une fois de plus, à Genève le 30 novembre, un nouveau mouvement mondial prépare son combat : 2,5 millions d'infirmier·ères poursuivent en justice ces criminel·le·s de la Covid-19. Dans un geste sans précédent, des syndicats de 28 pays, coordonnés par le Global Nurses United et l'Internationale Progressiste, ont déposé une plainte auprès des Nations unies, alléguant des violations des droits humains par ces pays pendant la pandémie de Covid-19, dont la fin, écrivent-ils, « n'est nulle part en vue ».
Lors d'une réunion à huis clos sur la manière de fournir davantage de vaccins aux personnes les plus pauvres du monde, le directeur général de Pfizer a attaqué le Dr Tedros, le chef de l'Organisation mondiale de la santé, pour avoir parlé « sous le coup de l'émotion » lorsqu'il a appelé à un plus grand équilibre dans la distribution mondiale des vaccins. Du Brésil à l'Inde, des États-Unis à Taïwan, les infirmier·ères n'hésitent pas à faire part de leurs émotions. Iels ont été en première ligne de la réponse à la pandémie de Covid-19 et ont été témoins du nombre stupéfiant de décès et de l'immense souffrance causés par l'inaction politique. Depuis les lignes de front, iels se préparent à demander des comptes à ces pays en lançant un cri de ralliement : Nous, qui nous soucions des autres, nous témoignons. Maintenant, nous témoignons.
La plainte des infirmier·ères n'est pas simplement un combat juridique : c'est un appel radical à exposer et à vaincre les gouvernements qui ont pris en otage la vie des gens afin de servir les superprofits des entreprises.
Les dirigeant·e·s de ces nations ont été explicites quant au monde qu'iels cherchent à construire. Au début de la pandémie, le comité restreint des affaires étrangères du Parlement britannique a appelé à un « G20 de la santé publique ». Cette analogie est révélatrice. Tout comme le G20, ces pays ont, en fait, détourné les institutions internationales et sapé activement la souveraineté des autres nations, tout en jouissant d'une impunité totale pour leurs actions.
Prenons l'exemple du principal opposant à la proposition de dérogation à l'OMC : l'UE. En mai 2020, les parlementaires européen·ne·s, les seul·e·s membres directement élu·e·s par les citoyen·ne·s dans le système de l'UE, ont voté en faveur de la dérogation pour « faire face aux contraintes de production et à la pénurie d'approvisionnement au niveau mondial ». Pourtant, pendant les six mois qui ont suivi, la Commission européenne, qui négocie au nom de l'Europe à l'OMC, s'est obstinée à résister à cette dérogation. Cela n'est absolument pas surprenant si l'on regarde qui les commissaires européen·ne·s et leurs cabinets rencontrent. Depuis mars 2020, ils ont eu 161 réunions avec Big Pharma. Dans le même laps de temps, ils ont réussi à rencontrer une seule ONG en faveur de la dérogation.
Rien ne s'est opposé à ce qu'ils étouffent la démocratie et laissent circuler un virus mortel. Pas les organisations mondiales de la santé, dont les deux tiers ont leur siège aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Suisse. Pas les institutions internationales, dont les programmes d'austérité ont, au fil des décennies, décimé les systèmes de santé publique dans les pays en développement, alors même que 83 pour cent des dépenses publiques de santé étaient effectuées dans les pays riches. Ni la Fondation Bill et Melinda Gates qui, en fait, a exhorté Oxford à revenir sur sa décision de partager sa technologie vaccinale avec le monde entier.
Les criminel·le·s de la Covid-19 ont clairement montré leur mépris pour les droits humains universels et le droit international. Il nous appartient maintenant de reprendre l'énorme pouvoir que détiennent la charte de l'ONU, l'OMC, l'OMS et le droit international et de les déployer comme outils. C'est pourquoi cette coalition translationnelle fait pression sur les Procédures Spéciales de la Commission des Droits Humains de l'ONU pour qu'elles se saisissent de la question.
Dans la plainte adressée au Dr Tlaleng Mofokeng, le rapporteur spécial des Nations unies pour la santé physique et mentale, nous avons formulé nos exigences :
Premièrement, entreprendre une mission urgente auprès de l'Organisation mondiale du commerce. Pendant trop longtemps, ces pays n'ont eu aucun compte à rendre, dissimulant leur soumission aux intérêts des entreprises derrière un jargon technique. Leur impunité est terminée.
Deuxièmement, déterminer que l'obstruction de la dérogation constitue une violation continue des obligations de ces gouvernements de garantir le droit à la santé physique et mentale de chacun·e. Les soins de santé sont notre droit. Ce dont nous sommes témoins ne peut être défini comme une inefficacité de notre système, ou l'échec de nos politiques - c'est, en termes clairs, un crime contre nous tou·te·s.
Les infirmier·ères ont apporté leur témoignage : « Ces pays ont violé nos droits et les droits de nos patient·e·s - et ont causé la perte d'innombrables vies, d'infirmier·ères et d'autres soignant·e·s et de celleux que nous avons soigné·e·s. »
C'est aujourd'hui que commence l'affaire historique des soignant·e·s du monde entier contre les criminel·le·s de la Covid-19.
Varsha Gandikota-Nellutla est la coordinatrice de l'aile politique de l'Internationale Progressiste, Plan.