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Pourquoi l’or vénézuelien est-il toujours bloqué dans les coffres de la Banque d’Angleterre ?

Il y a quatre ans, Juan Guaidó était officiellement reconnu comme président du Vénézuela par le gouvernement britannique. Il est aujourd’hui parti mais la Banque d'Angleterre continue de détenir d’importants actifs vénézuéliens.
Fin décembre, les principaux partis d'opposition du Vénézuela ont voté l'éviction de Juan Guaidó du poste de “président par intérim”, ainsi que la dissolution de son gouvernement parallèle. Il ne s’agit certainement pas de la fin qu’avait imaginé le gouvernement britannique en 2019 lorsqu’il prit la décision de reconnaître Guaidó comme président du Vénézuela, et de faciliter sa bataille juridique pour la saisie des dépôts d’or vénézuélien détenus par la Banque d’Angleterre, d’une valeur de 2 milliards de dollars.

En effet, le gouvernement britannique a régulièrement insisté sur le fait qu'il reconnaissait Guaidó - et non Nicolás Maduro - comme président du Vénézuela. L’un après l’autre, les avocats de Guaidó ont fait valoir qu'il était autorisé à représenter et à contrôler les actifs de la Banque centrale du Vénézuela détenus à Londres.

Au cours de cette période, Guaidó a notamment payé ses frais de justice au Royaume-Uni en puisant dans les millions de dollars de son pays initialement saisis par le gouvernement américain. En d’autres termes, Guaidó a essayé de s’emparer des actifs de l'État vénézuélien en utilisant ceux considérés comme volés. 

Pendant ce temps, le ministère des affaires étrangères britannique s’est également permis d’utiliser une importante quantité de fonds publics pour affirmer son soutien à Guaidó.

Maintenant que Guaidó a été évincé, l'argument juridique en faveur du transfert de l'or à l'opposition vénézuélienne devient irrecevable. Malgré cela, les avoirs restent gelés à la Banque d'Angleterre, sans qu'aucune solution claire ne soit envisagée. 

Quelle que soit la suite des événements, cette affaire crée un précédent qui pourrait avoir des conséquences considérables : la panoplie du putschiste britannique s’agrandit et comprend désormais le dépouillement des actifs d'un État étranger ainsi que son transfert à des acteurs politiques engagés dans un changement de régime.

Cela servira certainement d'avertissement à tout État qui envisage de stocker son or dans les coffres de la Banque d'Angleterre.

La reconnaissance de Guaidó

La reconnaissance de Guaidó était un des pré-requis essentiel au refus de la Banque d'Angleterre de libérer l'or du Vénézuela.

Guaidó ne s'était jamais présenté à une élection présidentielle et pourtant, le 23 janvier 2019, il a prêté serment en tant que “président intérimaire” vénézuélien, utilisant l'article 233 de la constitution vénézuélienne pour déclarer que Maduro avait abandonné son poste et laissé ainsi une “vacance absolue de pouvoir”.

Ce vide, selon Guaidó, devait être comblé par le président de l'Assemblée nationale du Vénézuela - un poste occupé par Guaidó.

Sans le soutien du gouvernement américain, la gymnastique juridique de Guaidó ne l'aurait probablement pas mené bien loin. Cependant, l'administration de Donald Trump a rapidement reconnu Guaidó et a commencé à faire pression sur la soi-disant “communauté internationale” pour qu'elle fasse de même.

Le lendemain de la prestation de serment de Guaidó, Jeremy Hunt, alors ministre britannique des affaires étrangères, s'est rendu à Washington et a rencontré des membres importants de l'administration Trump, notamment le secrétaire d'État Mike Pompeo, le vice-président Mike Pence et le conseiller à la sécurité nationale John Bolton.

La crise politique au Vénézuela figurait en bonne place à l'ordre du jour. Avant de rencontrer M. Pompeo, M. Hunt a déclaré à la presse que “le Royaume-Uni pense que Juan Guaidó est le mieux placé pour faire avancer le Vénézuela. Nous soutenons les États-Unis, le Canada, le Brésil et l'Argentine pour que cela se produise”. C'était une déclaration forte - mais pas encore une reconnaissance.

Les documents obtenus par Declassified montrent que Hunt a été remercié en privé par Pompeo et Bolton pour cette prise de position. Toutefois, la contribution de la Grande-Bretagne au renversement de Maduro serait bien plus importante. 

“Ravi” de geler les avoirs vénézuéliens

Le ministère des affaires étrangères britannique refuse de dire si ses fonctionnaires ou ministres ont eu des discussions avec leurs homologues américains sur l'or vénézuélien déposé à la Banque d'Angleterre depuis 2019.

En réponse à une demande dans le cadre de la loi sur la liberté d'information, il a également affirmé que “la publication d'informations relatives à cette affaire pourrait nuire à nos relations avec les États-Unis d'Amérique et le Vénézuela”.

Pourtant, selon Bolton, Hunt était "ravi" d'aider à la campagne de déstabilisation entreprise par Washington au Vénézuela, "notamment en gelant les dépôts d'or vénézuélien à la Banque d'Angleterre".

Cependant, les administrateur·trice·s de la Banque étaient quelque peu mal à l'aise face aux implications juridiques du gel des avoirs d'un État étranger. En effet et bien qu'ils soient sur un terrain juridique instable, la Banque d'Angleterre avait déjà refusé de débloquer l'or du Vénézuela en 2018, invoquant des doutes sur la légitimité du gouvernement de Maduro.

De son côté, le ministère des affaires étrangères britannique s'est efforcé d'apaiser les tensions. Le 25 janvier 2019, Alan Duncan, le ministre d'État pour l'Europe et les Amériques, a écrit dans son journal qu'il avait eu un appel téléphonique avec Mark Carney, gouverneur de la Banque d'Angleterre, au sujet de l'or du Vénézuela. Il écrit :

“Je dis à Carney que je comprends parfaitement que, bien qu'il s'agisse d'une décision de la Banque, il a besoin d'une certaine couverture politique de notre part. Je lui dis que je vais lui écrire la lettre la plus ferme que je puisse faire passer par les avocats du ministère, et qu'elle mettra en évidence les doutes grandissants sur la légitimité de Maduro. Elle expliquera aussi que de nombreux pays ne le considèrent plus comme le président du pays”.

En d'autres termes, la Banque d'Angleterre avait besoin d'une justification juridique solide pour conserver les dépôts d’or confisqués au Vénézuela, et le ministère des affaires étrangères britannique était heureux de lui en fournir une.

Une semaine plus tard, le 4 février, M. Hunt a fait un pas de plus en publiant une déclaration officielle reconnaissant Guaidó “comme le président intérimaire constitutionnel du Vénézuela, jusqu'à ce que des élections présidentielles crédibles puissent être organisées”.

Le gouvernement britannique a ainsi pris part au coup d'État soutenu par Washington. Hunt aurait apparemment déclaré : “Le Vénézuela est dans leur arrière-cour, et c'est probablement la seule action à l’étranger qu'ils vont poursuivre”.

Lorsqu'il a été demandé au Parlement, ce mois-ci, si le ministère des affaires étrangères britannique avait reçu un avis juridique pour reconnaître Guaidó comme président, il a répondu : “Nous ne faisons pas de commentaires sur la période à laquelle a été reçu un avis juridique”.

La bataille juridique

La reconnaissance de Guaidó par le Royaume-Uni a déclenché une bataille juridique de longue durée pour le contrôle des dépôts d’or. 

En mai 2020, le gouvernement de Maduro a poursuivi en justice la Banque d'Angleterre pour avoir refusé de débloquer l'or. La question a ensuite été portée devant les tribunaux, se concentrant sur la question de savoir si le gouvernement britannique reconnaissait Guaidó et si la Banque d'Angleterre pouvait donc agir sur les instructions de son comité ad-hoc de la Banque centrale du Vénézuela.

Pendant tout ce temps, le gouvernement britannique a constamment soutenu le dossier Guaidó, en insistant sur sa reconnaissance.

En 2020, par exemple, le ministère des affaires étrangères britannique a fourni un certificat en version manuscrite aux tribunaux pour confirmer que le Royaume-Uni « reconnaît toujours Juan Guaidó comme président constitutionnel par intérim du Vénézuela ».

En 2021, le ministère a même fait appel aux services de Sir James Eadie QC et Jason Pobjoy (de Blackstone Chambers) et Sir Michael Wood et Belinda McRae (de Twenty Essex) – parmi les meilleurs avocat·e·s du pays – pour présenter son dossier sur la reconnaissance de Guaidó à la Cour suprême.

Il semble donc certain que le gouvernement britannique a dépensé une quantité importante de fonds publics dans cette affaire. Cela jette des doutes évidents sur l'affirmation du gouvernement britannique selon laquelle il ne s'agit que de la Banque d'Angleterre ou des tribunaux : le Royaume-Uni a investi à la fois un capital politique et apparemment financier dans cette affaire, avec l'intention explicite de renverser le gouvernement Maduro.

Declassified a demandé au service juridique du gouvernement combien avait été dépensé en frais de justice dans cette affaire. Un porte-parole du ministère a déclaré : “Nous ne commenterons pas davantage en raison des procédures judiciaires en cours”.

À chaque audience, Guaidó et ses représentants ont également engagé des frais importants. Des comptes récemment publiés suggèrent que l'équipe de Guaidó a dépensé plus de 8,5 millions de dollars en frais juridiques, soit environ 7 millions de livres sterling.

De façon tout à fait remarquable, les frais juridiques de Guaidó au Royaume-Uni ont été payés avec les fonds publics vénézuéliens initialement saisis aux États-Unis.

Le départ de Guaidó

Guaidó et ses représentants n'ont jamais réussi à mettre la main sur les dépôts d’or.

Lors de la dernière audience, en octobre 2022, le juge Cockerill a accordé au gouvernement de Maduro l'autorisation de faire appel, déclarant que les questions en jeu étaient “effectivement sans précédent" et que "les conséquences de la décision ont le potentiel d'affecter tous les citoyens du Vénézuela”.

En effet, le gel des actifs vénézuéliens a servi de punition collective.

En 2021, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les sanctions, Alena Douhan, exhortait déjà le Royaume-Uni “et les banques associées à dégeler les avoirs de la Banque centrale du Vénézuela pour acheter des médicaments, des vaccins, de la nourriture, du matériel médical et des équipements, des pièces détachées et d'autres biens essentiels afin de garantir l'aide humanitaire nécessaire pour le peuple vénézuélien”.

La question étant toujours débattue devant les tribunaux, les principaux partis d'opposition du Vénézuela ont voté en décembre 2022 l'éviction de Guaidó de son poste de “président par intérim” et la dissolution de son gouvernement parallèle.

Le gouvernement britannique a annoncé qu'il “respecterait le résultat de ce vote”, et a ajouté que : “le Royaume-Uni continue de ne pas accepter la légitimité du gouvernement mis en place par Nicolás Maduro”.

L’argument juridique permettant de bloquer les dépôts d’or du Venezuela et de les transférer à l'opposition n'est donc plus recevable. D’autres audiences sont prévues plus tard dans l’année.

Reste à savoir si l’or restera bloqué jusqu’à l’organisation d’élections satisfaisantes pour le gouvernement britannique ou si le verdict des tribunaux ira en faveur de l'irrecevabilité de l’argument légal pour le gel des avoirs vénézuéliens. 

Le problème serait immédiatement résolu si le Royaume-Uni normalisait ses relations avec le gouvernement de Maduro - cela impliquerait néanmoins un embarrassant rétropédalage diplomatique et devrait être résolu conjointement avec Washington.

Ce qui est clair, c'est que la politique des sanctions contre le Venezuela n'a pas réussi à éliminer Maduro, mais elle a profondément nui au peuple vénézuélien.

John McEvoy est un journaliste indépendant qui collabore régulièrement avec l’International History Review, The Canary, le Tribune Magazine, Jacobin et Brasil Wire.

Photo: Bank of England

Available in
EnglishFrenchPortuguese (Brazil)
Author
John McEvoy
Translators
Léa Tatry and Antoine Gaboriau
Date
13.02.2023
Source
Declassified UKOriginal article🔗
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