Après que la CIA eut tenté de renverser le gouvernement socialiste de Cuba en utilisant une armée d'émigré·e·s cubain·e·s de droite et eut échoué de façon colossale, le site de l'invasion, la Baie des Cochons, est devenu un symbole, non seulement de l'intervention impérialiste américaine dans l'hémisphère, mais aussi de l'ineptie et de l'incompétence de l'État sécuritaire américain. La tentative de coup d'État vraiment étrange en avril au Vénézuela, un « raid amphibie » d'une telle puissance militaire brute qu'il a en fait été contrecarré par les pêcheurs locaux, a de nombreux points communs avec la baie des Cochons. Mais comparé au complot absurde contre le Vénézuela, l'échec humiliant de cette dernière apparaît comme un plan bien pensé.
On ne sait pas exactement qui était derrière la tentative de renverser le gouvernement vénézuélien. Mais il s'inscrit dans le contexte de l'escalade des tentatives de changement de régime au Vénézuela par l'administration Trump, une campagne qui est parfaitement conforme à la longue histoire des États-Unis, qui cherchent à s'assurer que leurs voisins du sud restent fermement sous la coupe de l'Oncle Sam.
Le plan lui-même a tout d'un très mauvais film d'action : une armée de soixante personnes ferait tomber le gouvernement en traversant la frontière et en enlevant le président vénézuélien Nicolas Maduro. La distribution des personnages pourrait provenir d'une satire socio-politique, mais allant peut-être un peu trop loin. Elle est composée d’une société privée de mercenaires basée en Floride, d’un général vénézuélien en attente de jugement aux États-Unis pour trafic de drogue, et d’un héritier probable d'une fortune fromagère qualifiée « d'excentrique » par l'Associated Press.
Commençons par les principaux faits de l'affaire, tels qu'ils ont été rapportés jusqu'à présent. Au centre de l'intrigue se trouve Silvercorp USA, une société de sécurité à but lucratif basée en Floride.
Dans la veine d’une histoire typiquement et sinistrement américaine, avant de se lancer dans le renversement des gouvernements latino-américains de gauche, la société a été fondée pour prévenir les fusillades dans les écoles en y plaçant des vétérans des forces spéciales. L’entreprise de sûreté espérait faire des profits avec son programme de sécurité scolaire en faisant payer aux parents un abonnement mensuel de type Netflix de 8,99 $ pour protéger leurs enfants. Ce plan ne semble pas avoir décollé.
L'ancien Béret vert américain Jordan Goudreau dirige Silvercorp USA et occupe une place importante dans sa communication sur les réseaux sociaux et sa documentation publicitaire. Avant d'entrer dans le monde de la sécurité privée, il a servi dans les armées canadienne et américaine. Dans l'armée américaine, Goudreau a effectué de multiples missions en Afghanistan et en Irak, où il a reçu trois étoiles de bronze. Vers la fin de sa carrière militaire, Goudreau a fait l'objet d'une enquête pour avoir fraudé l'armée de 62 000 $ en allocations de logement. Aucune poursuite n'a jamais été engagée.
Silvercorp USA énumère plusieurs services qu'elle fournit dont la « direction de projets complexes », la « gestion des catastrophes » et des « programmes spéciaux ». La société de sécurité privée affirme que ses « agent·e·s se déplacent au pied levé pour évaluer les menaces des mouvements politiques ou syndicaux, des employé·e·s mécontent·e·s ou licencié·e·s, en faisant appel à des ressources psychiatriques si nécessaire ».
Les comptes Twitter et Instagram de SilverCorp USA, désormais supprimés, suggèrent que l’entreprise a assuré la sécurité du concertLive Aid Venezuelaen février 2019 en Colombie, et d'au moins un rassemblement de Donald Trump. Sur les photos diffusées sur les réseaux sociaux et dans une vidéo promotionnelle, on peut voir Goudreau dans les parages d'un rassemblement de Donald Trump à Charlottesville, en Caroline du Nord, et dans un cas, portant un casque, directement derrière la star de télé-réalité devenue président. Une publication Instagram disait : « En train de protéger notre meilleur atout ». Les services secrets, l’équipe de campagne de Trump et le lieu de réception du rassemblement nient tous avoir jamais passé de contrat avec SilverCorp USA ou Goudreau. (J'ai déposé une demande d'accès à l'information auprès des services secrets au sujet de leur implication dans la société).
L'implication de Goudreau au concert Live Aid Venezuela a suscité chez lui un nouvel intérêt pour ce pays. Il a participé à une réunion au JW Marriott à Bogota, en Colombie, décrite par un participant à l'Associated Presscomme un « sommet ‘Star Wars’ des imbéciles anti-Maduros ». En Colombie, Goudreau a été présenté à Cliver Alcalá, un ancien général vénézuélien actuellement accusé par les États-Unis de trafic de drogue. Goudreau et Alcalá ont commencé à comploter pour renverser Maduro en utilisant 300 ancien·ne·s militaires vénézuélien·ne·s en Colombie.
Un ancien US Navy Seal, qui dirige ce qui a été décrit comme une organisation « humanitaire » à but non lucratif qui opère dans les zones de guerre, a été chargé de fournir une formation médicale aux futur·e·s soldat·e·s. A son arrivée, il a trouvé vingt hommes vivant dans une maison de cinq chambres à coucher, sans eau courante et avec peu de nourriture ou de ressources. Il était tellement choqué qu'il a interpellé Goudreau dans l'espoir de le convaincre d'abandonner ses plans insensés.
Alcalá, en revanche, s'est vanté du plan auprès des services de renseignement colombiens, affirmant que Goudreau était un ancien officier de la CIA. Selon l'Associated Press, les services de renseignement colombiens ontncontacténla CIA qui a nié que Goudreau ait jamais été un officier. Les Colombien·ne·s ont dit à Alcalá « d'arrêter de parler d'invasion ou il serait expulsé ».
Alcalá a eu d'autres problèmes. Le 23 mars, les autorités colombiennes ont intercepté une cargaison de matériel militaire à destination du Vénézuela, avec vingt-six fusils semi-automatiques de fabrication américaine dont les numéros de série avaient été effacés. Peu après, et le jour même où il a été inculpé par les États-Unis pour trafic de drogue avec Maduro, Alcalá s'est publiquement attribué le mérite de cette cargaison. Avec une prime de 10 millions de dollars placée sur sa tête par les États-Unis, Alcalá s'est rapidement rendu aux autorités, affirmant qu'il n'avait rien à cacher. Selon le Financial Times, « il a été expulsé du pays en quelques heures, alors que les procureur·e·s colombien·ne·s ont déclaré qu'il n'y avait pas de mandat d'arrêt contre lui et qu'aucune demande d'extradition n'avait été faite ».
Alcalá n'était pas le seul acteur de cette intrigue. Goudreau a également pris contact avec le garde du corps de Donald Trump, Keith Schiller. Selon l'Associated Press, Schiller a présenté Goudreau à des membres de l'opposition vénézuélienne à Miami. Schiller a apparemment cessé de le faire après s'être inquiété du caractère amateur de l'intrigue de Goudreau.
LeWashington Posta relaté le fait qu'à Miami, Goudreau avait rencontré un·e membre d'un comité secret composé de représentant·e·s de Juan Guaidó. Ils ont convenu de signer un accord pour un complot d'enlèvement de Maduro à condition d'obtenir des fonds pour l'opération. Lorsque le financement de l'expédition de Goudreau n'est jamais arrivé et que ce dernier a commencé à demander à l'opposition de lui verser une avance de 1,5 million de dollars, ils auraient coupé le contact.
De plus, Goudreau a recherché un·e assistant·e dans le bureau de Mike Pence et s'est tourné vers Roen Kraft, « un descendant excentrique de la famille de fabricant·e·s de fromages » pour obtenir des fonds, selon l'Associated Press. Le bureau de Pence nie avoir eu des contacts avec Goudreau. De même, Kraft nie avoir fourni un quelconque financement et affirme avoir eu des divergences avec lui sur des questions de stratégie militaire.
La plus grande question reste cependant sans réponse : quel rôle le gouvernement américain ou l'opposition de Guaidó ont-ils joué dans le complot ? L'enquête de l'Associated Press n'a découvert aucune preuve de l'implication officielle des États-Unis. Le secrétaire d'État Mike Pompeo a directement nié toute implication, déclarant que « si nous avions été impliqués, cela se serait passé différemment ». Donald Trump a également nié toute implication, déclarant que s'il avait été derrière tout cela, il aurait envoyé l'armée.
Si les preuves d'un lien direct avec les États-Unis n'ont pas fait surface, les théoricien·ne·s paranoïaques du complot ne sont pas les seul·e·s à soulever de telles questions. Les États-Unis ont une longue histoire d'actions secrètes en Amérique latine, et l'administration Trump a intensifié ses appels belliqueux à un changement de régime. Même s'il ne s'agissait pas d'une action officielle des États-Unis, elle ne peut être entièrement dissociée des relations actuelles entre les États-Unis et le Vénézuela. Il semble également que les États-Unis avaient probablement au moins connaissance du complot, étant donné les enquêtes rapportées par les services de renseignement colombiens.
Quant au « gouvernement » de Guaidó, le tableau est ici tout à fait différent. Selon Goudreau, Guaidó a signé un accord avec lui afin de payer 215 millions de dollars pour ses services. Guaidó l’a nié publiquement. Pour preuve, Goudreau a fourni aux médias une copie de « l'accord général de services » portant la signature de Guaidó, ainsi que des enregistrements audio qu'il prétend être de Guaidó au moment de la signature. Et le propre article du Washington Post semble confirmer qu'une personne de l'opposition a signé une forme d'accord avec Goudreau.
Le monde a, pour la plupart, appris l'existence de SilverCorp USA et de Goudreau le 1er mai. L'Associated Press a publié une longue enquête sur le complot de SilverCorp. L'article, basé sur des entretiens avec trente sources différentes, présentait le projet comme aussi moribond que désespérément voué à l'échec.
Deux jours après que le monde a pris connaissance de ce plan, le gouvernement vénézuélien a annoncé qu'il avait mis fin à un raid de « mercenaires terroristes » à bord de vedettes rapides au nord de Caracas, dans l'État de La Guaira. En conséquence, l'armée vénézuélienne a tué huit personnes et en a arrêté deux autres. Dans un premier temps, comme c'est souvent le cas, les opposant·e·s au gouvernement vénézuélien ont déclaré que l'incident était fabriqué de toutes pièces. Mais Goudreau a publié une vidéo expliquant que leur opération avait commencé, et qu'ils avaient soixante hommes au Vénézuela.
En plus de cette vidéo, SilverCorp USA a tweeté des informations similaires. Ils ont tagué Donald Trump dans leur tweet. L’entreprise de mercenaires basée en Floride qui a organisé l'excursion militaire très mal planifiée au Vénézuela a apparemment un compte Twitter. Et un compte Instagram. 2020 à son summum.
Le lendemain, avec l'aide de pêcheur·se·s, le gouvernement vénézuélien a appréhendé dix autres mercenaires. Eux aussi étaient les hommes de Goudreau. Parmi les capturés se trouvaient deux anciens combattants des forces spéciales américaines. Au cours de la semaine, d'autres arrestations ont eu lieu.
Selon Goudreau, il n'a jamais reçu d'argent de l'opposition, malgré le contrat signé. Il affirme avoir décidé de poursuivre le raid, parce qu'il était un « combattant de la liberté » - c'est justement ce qu'il fait. D'autres ont suggéré que Goudreau avait peut-être aussi un motif moins altruiste : il espérait recevoir la prime de 15 millions de dollars que le gouvernement américain a placée sur la tête de Maduro.
Le Vénézuela est depuis longtemps dans le collimateur des États-Unis, mais l'administration Trump a cherché à intensifier les attaques contre le pays. Trump n'a cessé d'aggraver les sanctions contre le Vénézuela alors même que le pays se bat contre la COVID-19. Bien avant la COVID-19, une étude du Center for Economic and Policy Research (« Centre pour la recherche économique et politique ») a révélé que les sanctions américaines contre le Vénézuela avaient causé 40 000 morts entre 2017 et 2018.
Lors de la dernière élection présidentielle, l'opposition vénézuélienne a boycotté l'élection, invoquant par anticipation la fraude électorale. Les États-Unis ont clairement fait savoir à l'avance qu'ils n'accepteraient pas le résultat de l'élection. La plupart des membres de l'opposition ayant refusé de participer à l'élection, Maduro a facilement gagné. (Certains ont suggéré que « l'opposition aurait pu gagner si elle ne l'avait pas boycottée »).
L'opposition contrôle l'Assemblée nationale vénézuélienne (conséquence d’avoir pris la peine de contester une élection). Ils ont cité une disposition de la constitution vénézuélienne selon laquelle si le·la président·e abandonne son poste, celle·celui de l'Assemblée nationale devient elle·lui-même président·e. Même si cela ne s'applique pas à la situation actuelle, un responsable politique relativement inconnu, Juan Guaidó, s'est autoproclamé président du Vénézuela sur la base de cette disposition. Bien qu'il n'ait aucun contrôle sur le gouvernement, les États-Unis le reconnaissent comme le président de la nation de manière grotesque .
Au mépris flagrant du droit international, les États-Unis ont décidé de saisir les biens du gouvernement vénézuélien et de les remettre au « gouvernement » de Juan Guaidó. Lorsque le gouvernement vénézuélien a quitté l'ambassade américaine, il a autorisé les militant·e·s américain·e·s anti-guerre, connu·e·s sous le nom de Collectif de protection des ambassades, à y rester. Ces militant·e·s ont cherché à empêcher le gouvernement américain de s'emparer de l'ambassade et de la remettre à Guaidó. Comme elle·ils étaient les invité·e·s du gouvernement actuel du Vénézuela, elle·il·s considéraient leurs actions comme tout à fait légales.
Si la situation a commencé de manière assez discrète, après que le collectif a organisé un certain nombre d'événements, il est apparu clairement qu'une confrontation plus importante se profilait à l'horizon. Le 30 avril 2019, Guaidó a déclaré que les militaires ne soutenaient plus le gouvernement du Vénézuela. Cela s'est avéré faux. Sa tentative de coup d'État a rapidement échoué. À Washington, cependant, les partisan·e·s de l'opposition ont envahi l'ambassade du Vénézuela. Lorsqu'il est apparu clairement qu'il n'y avait pas de coup d'État, ils ont entamé une campagne agressive pour expulser le Collectif de protection des ambassades.
J'étais souvent à l'extérieur de l'ambassade pendant cette période et j'ai été témoin de certains des événements. Les partisan·e·s de l'opposition ont cherché à chasser les gens de l'ambassade par un bruit fort et continu. Ils ont également cherché à bloquer la livraison de nourriture à celles·ceux qui se trouvaient à l'intérieur. Une fois, un partisan de l'opposition s'est précipité vers moi et a commencé à me frapper le visage avec une marmite en scandant « PAS DE NOURRITURE ! PAS D'EAU ! » alors que je n'avais ni l'un ni l'autre.
Les partisan·e·s agressif·ve·s de l'opposition auraient interrogé des journalistes et des observateur·rice·s juridiques pour savoir qui les payait pour être là. Dans une vidéo, des militant·e·s de l'opposition ont suivi les observateur·rice·s juridiques de la National Lawyers Guild (« Syndicat national des avocats »)dans la rue en tapant sur des casseroles, pour tenter de les chasser. J'ai personnellement été témoin de leurs railleries à l'égard d'une journaliste progressiste locale après qu'elle se soit évanouie, et de leurs insultes raciales à l'égard d'un manifestant. D'autres incidents de ce type ont été rapportés ou filmés par d'autres personnes.
Malgré le comportement agressif des partisan·e·s de l'opposition et la position des services secrets selon laquelle ils ne faisaient rien pour empêcher la livraison de nourriture, les services secrets et la police de Washington ont laissé libre cours aux militant·e·s de l'opposition. En revanche, les militant·e·s anti-guerre n'ont pas reçu un traitement similaire.
Lorsque Gary Condon, le président de Vétéran·e·s pour la Paix, a essayé de livrer de la nourriture et a été bloqué par l'opposition, il a lancé un concombre à travers une fenêtre ouverte. Il a été violemment arrêté. L'activiste de Code Pink (« Code rose »), Ariel Gold, a également essayé de faire entrer de la nourriture dans l'ambassade en y jetant un pain. Elle a été attaquée par un·e militant·e de l'opposition et arrêtée par la police de Washington, qui l'a accusée d'avoir lancé des missiles. La police de Washington a procédé à l’arrestation du journaliste Max Blumenthal en guise de représailles.
La scène la plus bizarre à laquelle j'ai assisté était la lecture par la police de Washington d'un ordre d'intrusion contre les militant·e·s situé·e·s à l'intérieur de l’ambassade. En faisant retentir l'ordre au moyen d'un canon à son LRAD, elle annonçait que la police de Washington ne reconnaissait pas la légitimité de « l'ancien régime Maduro » et que les individus étaient donc en infraction. Les militant·e·s de l'intérieur ont mis en doute la tentative d'expulsion. La police de Washington est entrée dans l'ambassade, faisant sauter un verrou à l’entrée. Après une négociation avec l'avocat·e des militant·e·s, ils ont refermé l'ambassade et sont partis. Quelques jours plus tard, elle·il·s ont été expulsé·e·s et accusé·e·s d'avoir entravé la fonction de protection du Département d'État (le procès s'est terminé par une annulation en raison de l'impasse dans laquelle se trouvait le jury). Le « gouvernement » de Guaidó est en possession du bâtiment mais ne peut en réalité remplir aucune fonction de l'ambassade.
Parallèlement à ces événements, les États-Unis ont attiré l'attention sur l'envoi d'un convoi d'aide humanitaire vers le Vénézuela. Les Nations Unies et la Croix-Rouge ont demandé aux États-Unis de ne pas le faire, car ils y voyaient une politisation de l'aide. Et le responsable de ce convoi, Elliott Abrams, a été l’un des principaux architectes de la politique centraméricaine de Reagan dans les années 1980 et un personnage-clé pendant le scandale Iran-Contra, lorsqu'il a utilisé des vols d'aide humanitaire pour passer des armes en contrebande vers les Contras.
Les États-Unis ayant exigé du Vénézuela qu'il admette le convoi, de nombreux membres de la gauche ont considéré qu'il s'agissait d'un effort cynique de relations publiques de la part des partisan·e·s d'un changement de régime ou, pire encore, d'une tentative de provocation. Le 23 février 2019, des militant·e·s de l'opposition ont tenté de faire passer le convoi par la frontière entre la Colombie et le Vénézuela via un pont fermé depuis longtemps. Dans l’affrontement qui a suivi, le convoi a été incendié. Au début, de nombreux médias ont présumé que le gouvernement vénézuélien était responsable. Mais leNew York Timesa rapporté plus tard que des preuves vidéo montraient que les militant·e·s de l'opposition qui avaient lancé des cocktails Molotov étaient responsables de l'incendie.
Récemment, dans un geste qui ressemble de façon inquiétante à la préparation de l'invasion du Panama, l'administration Trump a inculpé Maduro pour trafic de drogue (et a offert 15 millions de dollars pour des informations menant à son arrestation). Trump a également envoyé des navires de guerre dans les Caraïbes, ce qui a établi un parallèle avec les actions américaines en prélude à l'invasion du Panama.
C'est dans ce contexte que Goudreau a lancé son raid.
Pourquoi Trump a-t-il procédé ainsi ? Une réponse courante est qu'il essaie de détourner l'attention de ses problèmes intérieurs. Bien que cela soit probablement en partie vrai, cette réponse ignore les réalités plus larges de la politique étrangère américaine.
En dépit de la panique morale qui règne dans certains milieux à propos du prétendu manque de bellicisme de l'administration Trump envers la Russie, Trump a fait appel à plusieurs reprises à d'anciensCold Warriors(fonctionnaires et penseur·euse·s activement engagé·e·s dans la définition de la nature de la lutte bipolaire et des moyens nécessaires pour la mener) et à d'autres rapaces pour mener sa politique étrangère. Elliott Abrams a été nommé Représentant spécial des États-Unis pour le Vénézuela. (En plus de son temps dans l'administration Reagan, Abrams a également servi sous George W. Bush et aurait encouragé et eu connaissance d'une tentative de coup d'État au Vénézuela en 2002 qui a écarté Chavez du pouvoir pendant quarante-sept heures). Alors que l'administration Trump connaît un roulement important de personnel, certain·e·s des partisan·e·s les plus obsessionnel·le·s du changement de régime au Vénézuela, comme John Bolton, avaient déjà travaillé précédemment dans son administration.
En plus de ces conseiller·e·s rapaces, Trump s'est fait un devoir de s'attaquer au socialisme. Ce faisant, il s'en prend non seulement aux opposant·e·s nationaux·les, mais aussi aux « ennemi·e·s » officiel·le·s des États-Unis, comme le Vénézuela. La fixation de Trump sur le socialisme est certainement le signe qu'il considère comme une menace l’influence grandissante des mouvements socialistes, comme l’incarnent les campagnes présidentielles de Bernie Sanders ou les Socialistes démocrates d’Amérique. Mais il relie également ses adversaires politiques nationaux·les à de supposé·e·s « ennemi·e·s » étranger·e·s. Alors que la gauche a toujours été confrontée à la répression, le début de la guerre froide a permis à cette dernière de s'intensifier en permettant au gouvernement américain de traiter les radicaux nationaux comme détenant l'idéologie d'un État ennemi avec lequel les États-Unis étaient en guerre.
Les États-Unis ont toujours ciblé les gouvernements indépendants, en particulier ceux qui poursuivent des politiques socialistes. En Amérique latine et dans les Caraïbes, cette histoire a été particulièrement vicieuse.
Les mercenaires privés de Silvercorp USA ont des antécédents historiques dans les « flibustiers » comme William Walker, qui, dans les années 1800, a organisé des expéditions militaires financées par des fonds privés contre les nations d'Amérique latine. Les États-Unis ont, bien sûr, annexé la moitié du Mexique. Des décennies avant la guerre froide, les marines américain·e·s ont débarqué et occupé le Nicaragua et Haïti. En 1954, la CIA a renversé le gouvernement de gauche démocratiquement élu du Guatemala lors d'un coup d'État qui allait servir de modèle aux futures actions secrètes de la CIA. Fait tristement célèbre, les États-Unis ont renversé le socialiste chilien démocratiquement élu Salvador Allende.
Après la révolution sandiniste au Nicaragua, les États-Unis ont versé de l'argent aux Contras de droite, qui se livraient régulièrement à des attaques contre les infrastructures civiles, telles que les centres d'alphabétisation pour adultes et les dispensaires. L'administration Reagan était tellement dévouée à la campagne de terreur des Contras qu'elle a déclenché une crise constitutionnelle interne. Elle a repoussé les limites qu'un Congrès, à la suite de la guerre du Vietnam et du scandale du Watergate, a tenté de mettre en place sur l’action secrète américaine et les tentatives guerrières de l'exécutif menée au Nicaragua, dans ce qui est désormais connu sous le nom de scandale Iran-Contra.
Le Vénézuela a longtemps été dans le collimateur des États-Unis. En 2002, Hugo Chavez a été brièvement écarté lors d'un coup d'État soutenu par les États-Unis. Nous savons, grâce aux révélations de WikiLeaks, que les États-Unis soutiennent activement l'opposition et cherchent à isoler le Vénézuela depuis un certain temps. Et c'est Barack Obama qui a déclaré que le Vénézuela était une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale des États-Unis, en imposant des sanctions meurtrières au pays.
Hugo Chavez et la révolution bolivarienne du Vénézuela ont rompu avec le consensus néolibéral. Ce faisant, ils ont obtenu des résultats remarquables. Chavez a présidé à la baisse du chômage, à la croissance du PIB, à la réduction de la pauvreté et à l'augmentation du taux d'alphabétisation. Sous Chavez, la pauvreté a chuté de 50 pour cent et l'extrême pauvreté de 70 pour cent. Le Vénézuela enregistrait le coefficient de Gini le plus bas de la région, une mesure utilisée pour évaluer les inégalités de revenus. Les sondages régionaux réalisés pendant les années Chavez ont montré à plusieurs reprises que les Vénézuélien·ne·s étaient parmi les plus satisfait·e·s de leur démocratie de tous les pays de la région.
Ces progrès ne se sont pas limités au Vénézuela. Chavez a défié George W. Bush lors d'un sommet sur le libre-échange en 2005 et s'est adressé à des dizaines de milliers de manifestant·e·s à l'extérieur. Il a été rejoint sur scène par le militant bolivien Evo Morales, qui allait bientôt devenir président de sa propre nation.
La révolution bolivarienne a été au cœur de la Marée rose. Dans toute l'Amérique latine, les gouvernements de gauche, dont beaucoup poursuivaient ce qu'ils appelaient le « socialisme du XXIe siècle », sont arrivés au pouvoir par les urnes. Cela a favorisé la coopération régionale et réduit considérablement le pouvoir des États-Unis d'intervenir dans la région. Le rôle du Vénézuela dans la promotion d'une alternative au néolibéralisme et à la domination américaine en a fait des ennemis puissants.
Mais la situation a changé de façon spectaculaire depuis. Les coups d'État parlementaires au Brésil et au Paraguay ont fait tomber les gouvernements de gauche. De véritables coups d'État au Honduras et en Bolivie sont venus à bout des gouvernements. Dans d'autres pays où la Marée rose avait été observée, les gouvernements de gauche ne sont plus au pouvoir.
Et si les progrès remarquables du Vénézuela ont contribué à faire disparaître l'idée selon laquelle « il n'y a pas d'alternative » aux politiques ratées du consensus de Washington, la situation au Vénézuela est aujourd'hui bien différente, car le pays est en crise économique. Les partisan·e·s et les sympathisant·e·s de la révolution bolivarienne débattent des origines précises de la crise et dans quelle mesure les politiques du gouvernement y ont contribué. Mais deux choses sont claires.
Premièrement, les États-Unis ont mené une guerre économique implacable contre le Vénézuela par le biais de sanctions, destinées à détruire l'économie. Aucun compte rendu de la situation actuelle ne peut être complet sans le souligner. Comme l'économiste Jeffery Sachs l'a dit l'année dernière, « la crise économique du Vénézuela lui est régulièrement et entièrement attribuée. Mais c'est bien plus que cela. Les sanctions américaines visent délibérément à ruiner l'économie du Vénézuela et à provoquer ainsi un changement de régime ». Deuxièmement, c'est à la gauche vénézuélienne et au peuple vénézuélien de déterminer le cours de leur avenir.
Que Silvercorp USA ait obtenu le feu vert du gouvernement américain pour agir en tant que corsaires ou que l’entreprise se soit contentée de travailler en free-lance, cette mésaventure ne peut être comprise que dans le contexte de l'agression accrue de Trump envers le Vénézuela. S'il est possible que Trump intensifie ces tensions, il agit dans le cadre de la longue tradition de l'impérialisme américain dans la région. En fin de compte, c'est aux Vénézuélien·ne·s, et non aux États-Unis, qu'il appartient de déterminer le cours des choses.
Chip Gibbons est un journaliste dont le travail a été présenté dans In These Times et TheNation. Il est également le directeur politique de Defending Rights & Dissent(« Défendre les droits et la dissidence »), où il a rédigé le rapport « Still Spying on Dissent: The Enduring Problem of FBI First Amendment Abuse » (« L'espionnage continu de la dissidence : le problème persistant des abus du premier amendement par le FBI »). Les opinions exprimées ici sont les siennes.
Photo: World Economic Forum, Flickr.