Un·e travailleur·euse d'une ONG de 24 ans à Yangon qui manifeste chaque jour depuis deux mois:
« Procurez-vous un VPN, organisez-vous sur Signal, nettoyez le gaz lacrymogène avec du Coca-Cola et filmez tout. »
Au Myanmar, nous manifestons dans tout le pays depuis que les militaires ont pris le pouvoir le 1er février. Des centaines de milliers de personnes descendent chaque jour dans la rue pour défier police et soldats, qui terrorisent la population par des arrestations arbitraires et des violences. Environ 550 personnes ont été tuées, la majorité d'entre elles étant des manifestant·e·s abattu·e·s lors de manifestations.
Nous avons dû nous organiser rapidement, avec souplesse et créativité, car les autorités ont cherché à réprimer l'organisation, notamment en coupant les données mobiles et l'internet sans fil à intervalles réguliers.
Au début, nous utilisions des groupes Facebook pour coordonner les manifestations, mais cela rendait trop facile l'infiltration de la police et le repérage des organisateur·rice·s (dont beaucoup ont été enlevé·e·s et emprisonné·e·s, certain·e·s torturé·e·s et tué·e·s). Aujourd'hui, nous utilisons des VPN pour dissimuler notre emplacement et communiquer à l'aide d'applications de messagerie sécurisées comme Signal et Telegram. Je poste dans des canaux de groupe, mais pour faire partie de ces groupes, vous devez être ajouté·e par un·e ami·e qui peut se porter garant·e de vous, ce qui fait boule de neige. Certain·e·s militant·e·s sont encore plus prudent·e·s et préfèrent ne transmettre les informations que de bouche à oreille, en chaîne, d'une personne de confiance à une autre, sans connaître les sources de la personne précédente. De cette façon, si quelqu'un·e est capturé·e, iel ne peut pas donner des informations sur les autres.
Chaque jour, les jeunes militant·e·s trouvent de nouvelles idées pour continuer sur leur lancée. Aujourd'hui, les gens ont mis de la peinture rouge partout pour représenter le courage. Le dimanche de Pâques, iels ont peint des slogans de protestation sur des œufs. Le mois dernier, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, iels ont accroché des jupes de femmes à des poteaux et à des cordes à linge parce que les hommes – y compris les policiers et les soldats – sont trop superstitieux pour marcher en dessous, de peur que cela ne leur enlève leur pouvoir.
Dans les rues, nous fournissons aux personnes qui se trouvent au front des boucliers de fortune pour se protéger des balles en caoutchouc et des masques à gaz contre les gaz lacrymogènes. Derrière les lignes de front, une équipe est chargée de neutraliser les bombes lacrymogènes avec de l'eau et des couvertures humides. Lorsque nous recevons du gaz lacrymogène dans les yeux, nous avons découvert que le Coca-Cola est le produit le plus efficace pour l'éliminer.
Nous utilisons parfois des feux d'artifice pour effrayer et distraire la police avec des bruits forts et nous brûlons des pneus pour faire de la fumée afin de nous dissimuler. Nous bloquons les rues avec des barricades. Toutes ces choses fonctionnent dans une certaine mesure, mais parfois, tout ce que nous pouvons faire, c'est courir – la police et les soldats utilisent des balles réelles, et nous ne pouvons rien faire pour nous protéger contre leurs armes.
Les généraux n'ont aucun soutien du peuple. Ils diffusent de la propagande par le biais des médias d'État, mais ce ne sont évidemment que des mensonges ridicules ; c'est étrange à regarder car tout le monde connaît la vérité. Dans le même temps, ils ont interdit les médias indépendants et réprimé les journalistes. Nous devons donc compter sur les journalistes citoyen·ne·s, qui utilisent leurs téléphones pour enregistrer ce qui se passe. Beaucoup de ces personnes ont été arrêtées, mais il y a toujours plus de gens ordinaires qui s'engagent. Les agences de presse s'appuient de plus en plus sur leurs vidéos et leurs photos, que nous partageons sur les réseaux sociaux.
Activiste et universitaire d'Athènes:
« Faites bloc et restez groupé·e·s, portez des masques, laissez des traces de graffitis, rassemblez des preuves et n'abandonnez pas. »
Depuis un an, la Grèce est en confinement national par intermittence. Le confinement actuel dure depuis cinq mois. Les libertés civiles et la liberté de mouvement ont été considérablement restreintes par un certain nombre de mesures d'urgence telles qu'un couvre-feu nocturne. Les personnes ne sont autorisées à quitter leur domicile que pour une durée limitée et pour une raison précise, après avoir envoyé un SMS à l'autorité de surveillance compétente. La police a été chargée de faire appliquer ces mesures, ce qui a donné lieu à de nombreux cas d'abus de pouvoir.
Dans le même temps, le gouvernement a promulgué une loi impopulaire visant à contrôler les institutions universitaires et à criminaliser de manière inconstitutionnelle la liberté de manifester. La réaction de la police à toute forme de protestation – qu'il s'agisse de travailleur·euse·s de la santé demandant plus d'équipement personnel de protection, d'actions anti-fascistes/pro-démocratiques ou plus récemment de manifestations étudiantes – a été la tolérance zéro et souvent l'usage excessif de la violence.
La violence et la brutalité policière remontent aux origines mêmes des forces de police en Grèce. Depuis les émeutes de décembre 2008, déclenchées par le meurtre d'Alexandros Grigoropoulos par la police, les forces de police grecques ont acquis de plus en plus d'équipements, se transformant de fait en une force militarisée. Les violences policières restent largement à l'abri de tout contrôle juridique.
La police anti-émeute frappe un homme âgé lors de manifestations à Athènes en 2010. (Creative Commons)
Les manifestations publiques restent au cœur de la résistance en Grèce. Les manifestations laissent régulièrement des traces de graffitis derrière elles, créant ainsi des archives urbaines visibles des questions en jeu – qu'il s'agisse des droits des réfugié·e·s, des brutalités policières, de la dégradation du climat, des droits LGBTQ ou des prisonnier·ère·s – qui sont régulièrement ignorées par les grands médias.
Les activistes, et de plus en plus voisin·e·s et passant·e·s, filment les incidents de brutalité policière sur leurs téléphones, pour les diffuser sur les réseaux sociaux et médias démocratiques. Une série d'incidents violents survenus ces derniers mois ont atteint le débat public uniquement parce que des citoyen·ne·s ont partagé des images sur leurs réseaux sociaux, qui ont ensuite été reprises par les médias nationaux. Les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux sont souvent utiles devant les tribunaux lorsque des personnes arrêtées sont faussement accusées d'avoir attaqué la police.
La principale tactique en cas d'attaque policière lors de manifestations de masse reste de rester groupé·e·s en bloc autant que possible et de se retirer de manière ordonnée. Dans certains cas, les manifestant·e·s font un effort pour repousser la police, afin de laisser aux gens le temps de se retirer. Récemment, un collectif politique qui a vu l'un·e de ses membres être illégalement maintenu·e en détention par la police et sévèrement battu·e pendant plusieurs jours a décidé de porter plainte collectivement contre la police.
La brutalité policière est une forme de violence parmi d'autres. Des dispositifs de repérage sont placés sur les véhicules des militant·e·s et des universitaires impliqué·e·s dans des groupes de défense des droits, et les militant·e·s sont distingué·e·s par la publication de leur nom et de leur numéro de plaque. L'un des principaux actes de résistance consiste à ne pas paniquer, mais à faire connaître ces pratiques et à continuer à s'engager socialement et politiquement.
Les gens ont récemment rejoint des réseaux de communication sécurisés tels que Signal et deviennent plus prudent·e·s lorsqu'il s'agit de leur sécurité personnelle et de leur sûreté. Lorsqu'iels descendent dans la rue, la plupart des gens ont un foulard pour se couvrir le visage et se protéger des gaz lacrymogènes. Iels utilisent des antiacides pour l'estomac, comme Maalox ou Riopan, pour minimiser les effets de brûlure.
Les militant·e·s en Grèce savent qu'il ne faut pas abandonner, même lorsqu'iels ont peur. Une fracture de l'os guérit plus vite qu'une fracture de la conscience. Cela n'est pas dit à la légère ; des personnes comme Vassilis Maggos, 27 ans, sont mortes sous les coups de la police en Grèce l'année dernière. Pourtant, la mobilisation collective pour la justice est l'un des moyens les plus efficaces de s'opposer aux violences policières et l'un des meilleurs remèdes contre la dépression systémique. Si la peur des abus policiers l'emporte sur la liberté d'expression et le dialogue social engagé, nous parlons effectivement d'une victoire de l'autoritarisme.
Jasson Perez, organisateur abolitionniste au sein de Afro-Socialists & Socialists of Colour Caucus of the Democratic Socialists of America (Caucus des Afro-Socialistes et Socialistes de Couleur des Socialistes Démocratiques d'Amérique):
« Le but des manifestations de rue est de contrôler les rues – ne vous coordonnez pas avec la police, faites-la taire. »
En tant que personne anciennement incarcérée, je fais de l'organisation abolitionniste – contre la police et contre l'incarcération – aux États-Unis depuis environ 20 ans maintenant. Les manifestations de rue ont toujours occupé une place importante, et les protestations se sont intensifiées après la fusillade mortelle de Michael Brown par un policier à Ferguson, dans le Missouri, en 2014.
Une considération clé pour les organisateurs est de savoir comment construire des mouvements dans la durée. Les manifestations de masse éclatent souvent de manière spontanée, mais pour construire des mouvements puissants, nous avons besoin de campagnes permanentes, telles que des campagnes pour le non-financement de la police ou des campagnes d'action directe soutenue contre la police. Ces campagnes doivent être ancrées dans les organisations, certes – mais elles doivent aussi être ouvertes à tou·te·s. Elles peuvent nous permettre de renforcer les mouvements sur le long terme, à la fois en termes de tactiques – comme la mise en place d'un programme régulier de formation à l'action directe – mais aussi en termes d'éducation politique élargie sur les liens entre violence policière et capitalisme, violence policière et changement climatique, etc.
Des manifestant·e·s à Washington DC sont allongé·e·s au sol autour des mots defund the police (non-financement de la police), juin 2020. (Geoff Livingston/Flickr)
Je suis de l'école de pensée qui croit que le but des manifestations de rue est de contrôler les rues. Nous ne sommes pas là pour permettre à la police de contrôler les rues, et nous ne sommes pas là pour nous coordonner avec elle. Dès que vous vous coordonnez avec la police, vous ne faites pas de la désobéissance civile de masse – vous faites un spectacle.
En termes de stratégie, je dirais donc que, de la même manière que les grèves visent à fermer les lieux de travail, ou que les manifestations pour le climat visent à fermer les infrastructures de combustibles fossiles, les organisateur·rice·s de l'abolition devraient viser à fermer les postes de police en faisant de la police et des postes de police la cible de leurs manifestations.
En termes de conseils pour résister à la violence policière lors des manifestations elles-mêmes, une tactique peut consister à tenter de libérer d'autres manifestant·e·s en état d'arrestation. Si l'un de vos ami·e·s est arrêté·e, et plus encore si la police est violente, votre première tâche est de faire en sorte que le plus grand nombre possible de personnes fassent barrage physiquement entre votre ami·e et la police. Il faut ensuite que la police soit entourée de plus en plus de personnes scandant « laissez-les partir, laissez-les partir » afin de faire pression sur la police pour qu'elle les libère. Les désarrestations sont quelque chose qui demande de la pratique – c'est la seule façon de les réussir.
Riya Al'Sanah, chercheuse palestinienne et coordinatrice de recherche au centre de recherche Who Profits:
« Comprenez la police dans son contexte, construisez un mouvement de masse qui soit intersectionnel et gardez espoir. »
Environ deux millions de Palestinien·ne·s vivent en Palestine de 1948 (Israël aujourd'hui). Ici, le bras armé de l'État colonial israélien qui nous gouverne est la police israélienne. En Cisjordanie et à Gaza, c'est le régime militaire. En Palestine '48, la police israélienne a agi de deux manières spécifiques pour accroître la violence et réprimer les Palestinien·ne·s. D'une part, en facilitant la diffusion d'armes au sein de la communauté palestinienne pour encourager la violence intracommunautaire, qui a augmenté massivement au cours des cinq ou six dernières années. L'autre consiste à cibler les Palestinien·ne·s dans le cadre d'activités de police racialisées. Il y a quelques jours à peine, Munir Anabtawi, un homme de 33 ans originaire de Haïfa et souffrant de troubles mentaux, a été abattu par la police israélienne après que sa mère les a appelés pour l'emmener à l'hôpital. Munir Anabtawi a reçu cinq balles, trois dans le dos et deux dans la poitrine. Il avait besoin de soins, mais il a été exécuté par la police israélienne. Il ne s'agit pas d'un cas isolé. Entre 2012 et 2017, 70 pour cent des personnes tuées par la police israélienne étaient des Palestinien·ne·s, alors qu'iels ne représentent que 20 pour cent de la population d'Israël.
Ce que le mouvement fait maintenant, c'est remettre ces chiffres dans leur contexte et les politiser. Nous ne parlons pas de réformes de la police. Nous parlons de la police en tant qu'institution inhérente à l'État colonial israélien dans lequel nous vivons, une institution qui considère les Palestinien·ne·s – pas seulement en Palestine '48, mais aussi en Cisjordanie et à Gaza – comme un collectif à contrôler, à surveiller et à réprimer. La police ne nous protégera jamais et l'État israélien ne nous rendra jamais justice. La question est donc la suivante : comment construire nos propres institutions et structures pour nous protéger ? Cela est très différent de la tendance avancée par certaines sections de la direction politique palestinienne au cours des 20 dernières années, à savoir l'intégration dans l'orbite de l'État.
Officier·ère·s de la police israélienne à Jérusalem. (Creative Commons)
Aujourd'hui, le mouvement tente de développer d'autres façons de faire de la politique et de construire le pouvoir, non seulement pour nous protéger ici et maintenant, mais aussi pour construire un avenir plus libre et plus juste. Une grande partie de cette organisation a eu lieu dans une ville appelée Umm al-Fahm, où des réunions publiques et de grandes manifestations hebdomadaires ont eu lieu, au cours des deux derniers mois. Ce qui est intéressant est que pendant ce temps, les niveaux de violence dans la ville ont massivement diminué.
J'ai trois conseils à donner aux organisateur·rice·s. Le premier est d'étendre votre analyse des racines de la violence policière à l'État, au-delà de l'institution du maintien de l'ordre. Le deuxième est de construire un mouvement de masse qui soit attentif à la nature multiforme de la violence policière et à la manière dont elle s'entrecroise avec l’origine ethnique, la classe et le sexe. La troisième est de garder l'espoir au centre dans nos mouvements. Nous ne nous engageons pas dans la lutte uniquement pour démanteler les structures répressives et d'exploitation qui font de nos vies une misère, mais pour construire un avenir meilleur. Résister à la violence policière et appeler à son abolition fait partie de ce processus.
Gbenga Komolafe, secrétaire général de la Fédération des organisations de travailleur·eure·s informel·le·s du Nigeria (FIWON):
« Utilisez les réseaux sociaux pour dénoncer les brutalités policières et récolter des fonds pour soutenir les manifestant·e·s. »
Officiers de police nigérians. (AU-UN IST PHOTO/ Tobin Jones)
La brutalité policière fait partie de la vie quotidienne au Nigéria depuis aussi longtemps que je me souvienne – fusillades policières, policier·ère·s blessant des civils aux points de contrôle. À la suite de nouvelles révélations sur les abus commis par la célèbre unité de police du pays, la Special Anti-Robbery Squad (Brigade Spéciale Anti-Vol) – appelée également SARS – et de la dégradation des conditions économiques de la majorité des Nigérian·e·s, un vaste mouvement de protestation a éclaté en octobre dernier contre la SARS et, plus largement, contre les inégalités économiques.
Les manifestations #EndSARS sont ensuite elles-mêmes devenues des lieux de violence étatique sans précédent. Le 20 octobre, une foule de jeunes manifestant·e·s assis·es au péage de Lekki, à Lagos, a été massacrée lorsque des véhicules militaires ont bloqué les deux sorties et ouvert le feu. Le lendemain, des centaines d'autres personnes ont été tuées à Lagos et dans d'autres États du pays. Alors que le gouvernement a nié les pertes, la brutalité a conduit à une intensification des protestations dans tout le pays, au cours desquelles les maisons et les entrepôts de politicien·ne·s de premier plan stockant des quantités massives de matériel de secours pour la Covid-19 ont été pris d'assaut et pillés par des manifestant·e·s en colère.
Manifestation contre le SARS, Lagos. (Creative Commons)
Il y a cependant des choses importantes que les manifestant·e·s au Nigéria ont eu de leur côté. L'un d'eux est les réseaux sociaux. Des milliers de jeunes, qui ont pris des photos et des vidéos des violences sur leurs smartphones et les ont mises en ligne sur Facebook, Instagram et Twitter, ont joué un rôle clé en exposant la brutalité de la police. De plus, les vidéos ont également exposé les mensonges du gouvernement, à tel point que la classe politique nigériane a été totalement discréditée.
Il est également important de souligner le rôle des femmes, – en particulier de la coalition féministe, dont beaucoup sont basées à l'étranger – dans le soutien du mouvement de protestation. La coalition a collecté des centaines de milliers de dollars afin de soutenir les foules, notamment en servant de la nourriture, en payant l'aide juridique pour les personnes arrêtées et les factures d'hôpital des blessé·e·s.
Si les violences policières au Royaume-Uni sont évidemment très différentes de celles au Nigéria – la police nigériane est beaucoup plus brutale et beaucoup plus corrompue – on peut tirer des leçons importantes de ce qui est nécessaire pour soutenir les mouvements.
Claudia Mendez, une militante ayant pris part aux protestations qui ont débuté en octobre 2019:
« Coordonnez et attribuez les rôles, désactivez les bombes lacrymogènes, rassemblez des briques et construisez des barricades. »
La police lors d'une manifestation au Chili en 2018. (Creative Commons)
Les violences policières ont atteint leur apogée après les manifestations « Estallido Social » (Épidémie Sociale) organisées par les étudiant·e·s le 18 octobre 2019, qui ont déclenché les violences que nous observons encore aujourd'hui. Mais il y a toujours eu des abus policiers envers les classes pauvres. L'Estallido Social n'a fait que rendre ces abus plus évidents : des milliers de personnes ont perdu leurs yeux à cause des balles en caoutchouc; 40 sont mort·e·s; des milliers ont été arrêté·e·s. Il y a aussi une terrible violence policière contre le peuple Mapuche, dont le territoire a été militarisé.
De nombreux facteurs ont déclenché le 18 octobre. Il y a une profonde inégalité économique : privatisation des services de base, bas salaires, nombreux problèmes de logement social, d'éducation publique et de santé publique. Il existe également de nombreux problèmes environnementaux : exploitation des ressources naturelles, déforestation, pénurie d'eau.
Il s'agit d'un mouvement de la classe ouvrière, très marqué par le mécontentement à l'égard des partis politiques. Il existe un groupe de jeunes militant·e·s très radicaux·ales et puissant·e·s – « La Primera Línea » (La Ligne de Front), les manifestant·e·s de la « Plaza de la Dignidad » (Place de la Dignité) dans le centre de Santiago. Iels ont maintenu une résistance constante, en combat rapproché avec la police. Grâce à elleux, il est également possible de manifester pacifiquement.
La police anti-émeute lors d'une manifestation au Chili. (Simenon/Flickr)
Il existe de nouvelles formes de coordination : les gens ont des rôles distincts – par exemple, certain·e·s sont chargé·e·s de désactiver les bombes lacrymogènes, d'autres de rassembler des briques. Il semble également y avoir une organisation spontanée. Dans la périphérie de Santiago, dans les zones pauvres, il y a de nombreuses barricades, où les jeunes attendent la police et l'affrontent.
Lors des prochaines élections, les gens voteront pour des « constituant·e·s » qui rédigeront la nouvelle constitution, ce qui est censé être une victoire pour l'Estallido Social. Mais beaucoup y voient une concession, car il est très difficile pour les candidat·e·s indépendant·e·s de se faire connaître. Il y a tellement de méfiance et de mécontentement autour de l'élection, donc comme stratégie de résistance, cela pourrait être futile. Peut-être cela générera-t-il, après la pandémie, un autre Estallido Social.
Juan David Páramo, un volontaire médical qui participe aux manifestations depuis 2019 et s'est particulièrement impliqué dans les manifestations de septembre 2020 contre les violences policières:
« Diversifiez vos tactiques pour inclure des rassemblements, des assemblées, des grèves, des confrontations, des barricades et des occupations d'autoroutes. »
La police spéciale anti émeute colombienne, l'ESMAD, en ligne à Bogota. (Creative Commons)
La Colombie a récemment assisté à la militarisation de la vie publique et à l'utilisation de structures étatiques pour faire taire les voix critiques. Les ennemi·e·s de ces politiques sont les jeunes et tous·tes celleux qui critiquent l'ordre établi de l'État. C'est dans ce contexte qu'a été créé l'ESMAD (Escadron mobile anti-nuisances), une force de déploiement de l'ordre public qui a fait l'objet de sérieuses critiques pour ses meurtres et ses fautes professionnelles. Son objectif est de réprimer les troubles publics.
En termes de stratégies de résistance à la violence policière, nous disposons de ce que nous appelons un « répertoire d'actions collectives » – rassemblements, assemblées, grèves, tropeles (confrontations avec la police), barricades et occupations d'autoroutes. Ce que nous voyons aujourd'hui est le point culminant de toutes les protestations qui ont précédé – de la grève civique de 1977, des luttes dans les universités publiques. Toutes ces expériences sont mises à profit pour défendre et renforcer le mouvement.
La police colombienne participe à un exercice d'entraînement. (Creative Commons)
Un groupe appelé los escudos azules (les boucliers bleus) s'est récemment formé dans le but de défendre le mouvement contre les attaques de la police. Il s'agit de jeunes qui portent des cagoules pour se protéger. Après avoir subi un traumatisme oculaire (dû aux gaz lacrymogènes) par exemple, de plus en plus de manifestant·e·s portent aujourd'hui des vêtements de protection. Un autre aspect important de la stratégie du mouvement, inspiré de la résistance des agriculteur·rice·s et des autochtones colombien·ne·s, consiste à disposer d'« équipes » chargées des droits humains, de la communication et de la santé.
Lorsque les gens ont moins peur de la confrontation avec la police, la violence s'intensifie. La plupart du temps, les manifestant·e·s jettent des pierres, puis l'ESMAD arrive et tire des balles contenant des plombs et du verre, qui ont fait beaucoup de victimes. D'autres fois, les manifestant·e·s lancent des cocktails Molotov. C'est risqué, bien sûr, mais vous devez évaluer ce risque en fonction de ce que vous affrontez. Les manifestant·e·s doivent souvent utiliser ces tactiques pour se défendre si les autorités sont très violentes.
Charlotte England, Clare Hymer, Rivkah Brown, Camille Mijola et Sophie K Rosa ont contribué à cet article.