L'Assemblée populaire nationale (APN) qui s'est tenue du 17 au 19 juillet à l'Université de Valle, à Cali, a été systématiquement visée et sabotée par les forces publiques. Mais l'intervention des gardes des communautés marronne, autochtone et agricole, ainsi que des manifestant·e·s de Première Ligne, a assuré un espace sûr et pacifique pour la réunion.
« Les policier·ère·s savent traiter les autres comme des policier·ère·s, un·e guérillero·a comme un·e guérillero·a, et les paramilitaires comme des paramilitaires », a déclaré Manuel Correa. « Iels ont chacun·e· leur propre idéologie, mais iels sont très éloigné·e·s de la cosmovision du peuple noir. » Correa est un leader communautaire de la municipalité de Riosucio, Bajo Atrato (Chocó). Il fait partie de l’Association des conseils communautaires et des organisations du Bajo Atrato (Asociación de Consejos Comunitarios y Organizaciones del Bajo Atrato ou ASCOBA) et est aussi le deuxième major de la Garde marronne pour cette région.
Pour Manuel, assumer le rôle de garde communautaire a été un exercice du pouvoir populaire, contribuant à maintenir une relation étroite avec le savoir ancestral des peuples noirs. De nombreux règlements et dispositions légales ont été introduits pour protéger l'autonomie des territoires collectifs, tels ceux du décret 1745 de 1995, ainsi que l'Accord de paix et le Chapitre ethnique. Cependant, la réalité est différente pour celleux qui vivent dans ces environnements de corruption constante, de dépossession des terres et de violations des droits humains.
« La Garde est perçue comme une épine dans le pied, car elle constitue aussi un contrôle interne et externe. Elle ne résoudra pas tous les problèmes, mais elle peut attribuer des tâches et faire des signalements lorsque quelqu'un trompe la communauté », explique Manuel.
La Garde marronne émane des peuples noirs réduits en esclavage pendant l'ère coloniale, lesquels ont gagné leur liberté en fuyant vers San Basilio Palenque (Bolívar) où ils ont poursuivi leur lutte.
Dans un endroit aussi nuancé que le Chocó, où différents groupes armés légaux et illégaux sont présents, appartenir à la Garde marronne est risqué et expose ses membres à des agressions, des menaces et des assassinats. Malgré le danger, iels disent rassembler leurs forces chaque jour pour consolider un projet dans lequel la résistance historique est centrale.
Ces pratiques communautaires de pouvoir populaire se sont renforcées depuis août 2013, lorsque, pour la première fois, plus de sept mille voix issues de différents territoires ont tenu le premier Congrès national des peuples noirs, afro-colombiens, raizal et palenquero, à Quibdó (Chocó). C'est là que les communautés ont consolidé bon nombre des mandats par lesquels elles cherchent à protéger les bassins hydrographiques, la terre, les animaux, les semences, la médecine ancestrale et les pratiques culturelles.
« Qui sommes-nous? La Garde agricole !
Que défendons-nous? La vie et la terre ! »
La résistance et l'organisation de la Garde agricole proviennent des besoins structurels de leurs propres communautés, touchées par différents niveaux de violence.
« Nous savons que les gouvernements oppresseurs n'ont jamais tenu compte des besoins des agriculteur·trice·s. Dans nos territoires, certain·e·s agriculteur·trice·s se trouvent à 12 heures des routes principales. Il n'existe pas de pistes, rien du tout. Dans le département de Cesar, seul 1 pourcent de la population agricole peut aller à l'université. Nous n'avons pas de soins de santé », assure David Donado, membre du Mouvement des travailleurs et travailleuses agricoles (Movimiento de Trabajadores y Trabajadoras Campesinas ou MTTC) de Cesar, et l'un des leaders de la Garde agricole dans ce département.
Les gardes agricoles sont l'expression de l'autonomie de la communauté face à des environnements difficiles où l'État a été l'un des agresseurs. Dans l'extrême nord du pays, la Garde agricole de Catatumbo, organisée par l’Association agricole de Catatumbo (Asociación Campesina del Catatumbo ou ASCAMCAT), a été créée en 2014 comme un moyen d'autoprotection organisée, dans le contexte de violence systématique liée aux projets miniers et énergétiques, et à l'éradication forcée des cultures de coca dans la région.
« Cesar est répertorié comme l'un des départements possédant les plus grandes réserves de charbon de Colombie et, selon l'Agence nationale des mines (ANM), celles-ci ont produit 64 pourcent du total du charbon du pays entre 2018 et 2019 », précise David. Ces réalités représentent une lutte constante pour les gardes agricoles, à travers laquelle iels s'opposent à un modèle économique extractiviste qui menace les projets de vie des communautés.
Selon les gardes, l'administration actuelle a diffusé des messages qui stigmatisent leur travail, aggravant encore la répression contre ses membres.
Selon l’Institut d'études pour le développement et la paix (Instituto de Estudios para el Desarrollo y la Paz ou INDEPAZ), 89 des 310 leaders sociaux assassinés en 2020, ont été identifiés comme agriculteur·trice·s, et 19 comme afro-descendant·e·s.
David Donado reconnaît que la Garde agricole représente une lueur d'espoir pour les projets de vie des communautés rurales. Durant la grève nationale qui a débuté le 28 avril 2021, les gardes communautaires ont joué un rôle-clé qui leur a valu auprès de l'opinion publique une réputation de protecteur·trice·s et de défenseur·seuse·s de la vie .
« Le pouvoir populaire de la garde passe par la protection de mon environnement, de mon partenaire, de mes voisins. Comprendre ce qui se passe autour de moi, le résoudre, et à partir de là, commencer à voir quel est le déclencheur... La garde n'exclut personne, mais invite au contraire tout le monde à défendre et à prendre soin de notre terre mère », décrit Daniela León, une jeune femme qui est garde du Conseil régional autochtone du Cauca (Consejo Regional Indígena del Cauca ou CRIC).
Comme Daniela, les femmes sont de plus en plus nombreuses à rejoindre la garde autochtone du Cauca. « Nous voulons mettre fin aux nombreux massacres systématiques sur nos territoires. C’est la raison pour laquelle nous sommes les gardien·ne·s du territoire, et pourquoi les gens ont vu la nécessité de créer des gardes (marronne, urbaine, agricole) dans diverses parties du pays, afin que les membres de la communauté puissent veiller sur la sécurité de leur espace », explique Daniela.
Pendant des décennies, la Garde autochtone du Cauca a entretenu et cultivé les pratiques du pouvoir populaire et ancestral héritées des siècles passés. Ce savoir est symbolisé par le bâton de commandement, remis à celleux qui sont considéré·e·s comme engagé·e·s envers la communauté.
« Comme nos dirigeant·e·s sont menacé·e·s et que la terre mère est en danger à cause de l'arrivée des multinationales, il était nécessaire de rétablir et de renforcer la garde autochtone Kiwe the'gsa/pu'yaksa'wesx. Il s'agit de groupes de personnes nommées par la communauté, de médecins traditionnel·le·s et de la plus haute autorité », selon l’Association des autorités territoriales Nasa (Asociación de Autoridades Ancestrales Territoriales Nasa).
Pour les gardes autochtones, marronnes et agricoles qui se sont réunies à l'Assemblée national populaire, la création d'autres gardes communautaires, telles les Premières Lignes, a été une grande « surprise », comme l’exprime Manuel, membre de la garde marronne. « Il était agréable de sentir l'acceptation de toutes les personnes du mouvement populaire d’ici. Nous avons découvert des formes de gardes dans d'autres cadres, dans les villes, dans la possession de territoires, dans la saisie de territoires », dit Manuel.
Pour les Premières Lignes, et conformément à ce qui a été discuté dans l’APN, leurs pratiques sont conformes à l'exercice légitime de la protestation sociale, et naissent comme une réponse à la répression brutale des forces de sécurité lors des manifestations publiques.
En juillet, la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a présenté 42 recommandations pour le respect des droits humains des manifestant·e·s. Selon la systématisation des chiffres de l'organisation Defender Libertad (Défendre la liberté), entre le 28 avril et le 30 juin, 84 personnes ont été tuées, 106 ont subi des violences sexistes, 1 790 ont été physiquement blessées (dont 298 militant·e·s des droits humains) et 3 274 ont été arrêtées.
Dans les prochains mois, iels espèrent tenir la première Assemblée nationale des Gardes et des Premières Lignes, où iels tenteront de consolider les propositions nationales et locales dans le contexte humanitaire actuel.