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Le gouvernement du BJP en Inde a utilisé les réservations (système de quotas) comme une arme pour priver les Cachemiris de leur pouvoir.

Une politique de réservation révisée, introduite par le gouvernement central indien dirigé par le BJP (Parti Bharatiya Janata), cherche à orienter la politique du Jammu-et-Cachemire au profit du parti au pouvoir.
La politique de réservations de 2024 du Jammu-et-Cachemire, qui favorisé Jammu par rapport au Cachemire en matière d’emploi et d’éducation, a accentué les disparités régionales depuis la révocation de l’Article 370. Les données indiquent que Jammu reçoit la majorité des avantages, approfondissant les craintes des Cachemiris de marginalisation politique et économique.

EN DÉCEMBRE dernier, le gouvernement de Jammu-et-Cachemire annoncé la création d’une commission chargée de réexaminer la politique du territoire de l’Union indienne concernant les réservations (quotas) dans les emplois publics et les établissements d’enseignement publics. La décision a été prise en réponse à l'agitation croissante suscitée par la politique, mise en œuvre en mars 2024, alors que la région était encore administrée directement par le gouvernement central indien à New Delhi. Le ministre en chef du Jammu-et-Cachemire, Omar Abdullah du parti de la Conférence nationale (National Conference Party), qui avait pris ses fonctions seulement deux mois auparavant, a promis un examen, limité dans le temps, qui serait achevé dans six mois. Mais à l'expiration du délai, il n'y eut guère plus que le silence de la part de son gouvernement. Depuis son introduction, la nouvelle politique de réservation a suscité une opposition considérable, notamment au Cachemire. Au début du mois de décembre, des étudiants étaient descendus dans les rues de Srinagar, la capitale du Jammu-et-Cachemire, pour exhorter le gouvernement nouvellement élu à rationaliser les quotas de réservation pour certains groupes. Depuis lors, l'administration dirigée par la Conférence nationale marche sur une ‘corde raide’ concernant cette question.

Lors de la session budgétaire de l’Assemblée législative du Jammu-et-Cachemire en mars, Sajad Lone, président de la People’s Conference (Conférence du Peuple), a soulevé une série de questions concernant les réservations (quotas), ravivant ainsi le débat de longue date. Les données présentées par le gouvernement à l'Assemblée ont révélé une nette disparité régionale parmi les bénéficiaires de la politique depuis avril 2023. Par exemple, dans la catégorie des « castes répertoriées » (SC, Scheduled Castes), les 67 112 bénéficiaires proviennent tous de la région de Jammu, aucun n'étant du Cachemire. De même, dans la catégorie des « tribus répertoriées » (ST, Scheduled Tribes), 459 493 personnes originaires de Jammu ont bénéficié de cette mesure, contre seulement 79 813 originaires de Cachemire, soit un ratio de près de six pour un. Les données ont confirmé ce que les Cachemiris craignaient de cette politique : une marginalisation politique et économique accrue de la population cachemirie.

Le Jammu-et-Cachemire a déjà subi une série de coups depuis 2018, lorsque son précédent gouvernement élu d'État s'est effondré. L'État a d'abord été placé sous l'administration du gouverneur, puis sous celle du président, avant que le gouvernement de l'Union, dirigé par le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP), n'abroge l'Article 370 de la Constitution, le privant de son autonomie et le divisant en deux territoires de l'Union.

Cela a laissé les Cachemiris privés de pouvoir et de droits civiques – une situation accueillie avec joie par le BJP et la droite hindoue, qui ont longtemps dépeint les musulmans du Cachemire comme une menace.

La nouvelle politique de réservation a été une tentative du gouvernement de l'Union et du BJP de réorganiser la démographie du Jammu-et-Cachemire – autrefois le seul état à majorité musulmane de l'Inde – à leur avantage. La politique a placé le gouvernement du territoire de l'Union d'Abdullah dans une position délicate. Il est maintenant temps d'annoncer une décision sur les quotas.

LA NOUVELLE POLITIQUE DE RÉSERVATION témoigne de ce qui a mal tourné dans le Jammu-et-Cachemire au cours des cinq dernières années. Il a été placé sous l'autorité du gouvernement central en 2018 et a perdu son statut d'« état » et son statut spécial de « semi-autonomie » en 2019. Au cours de cette transition, le Jammu-et-Cachemire a fait l'objet de nombreuses manœuvres législatives et exécutives insidieuses. De nouvelles lois, réglementations, politiques et décrets ont été mis en place dans le but d’étendre le contrôle du gouvernement indien sur les affaires juridiques et quasi-juridiques au sein du territoire de l'Union nouvellement désigné. Ce processus a servi non seulement à consolider l'autorité de New Delhi sur ce qui était auparavant un état relativement autonome, mais aussi à élargir et à solidifier les perspectives électorales du BJP.

La politique de réservation laisse seulement 40 pour cent des places dans les établissements d'enseignement publics et les emplois gouvernementaux à la catégorie « générale » ou « non réservée », bien que cette catégorie représente 69 pour cent de la population totale de l'ancien État du Jammu-et-Cachemire selon le recensement de 2011. Cette part diminue effectivement à 30 pour cent en tenant compte de toutes les réservations verticales et horizontales. Les réservations verticales se réfèrent à l'attribution de sièges en fonction de catégories sociales telles que les « castes répertoriées » (SC, Scheduled Castes), les « tribus répertoriées » (ST, Scheduled Tribes) et les « autres classes arriérées » (OBC, Other Backward Classes). Des réservations horizontales s'appliquent à travers ces catégories verticales pour garantir la représentation de sous-groupes comme les personnes en situation de handicap et les anciens combattants.

Avec un quota de huit pour cent pour les « castes répertoriées », la politique prévoit une réserve totale de 28 pour cent des sièges pour les « castes répertoriées » et les « tribus répertoriées », alors que ces groupes ne représentent qu'environ 18 pour cent de la population. Notamment, le Cachemire ne compte pas de « castes répertoriées » car l'Ordonnance de 1956 sur les castes répertoriées de la Constitution du Jammu-et-Cachemire limite explicitement le statut de « castes répertoriées » aux hindous, aux sikhs et aux bouddhistes. Cela accentue encore les avantages en faveur du Jammu, à majorité hindoue, par rapport au Cachemire, à majorité musulmane, comme le montre la répartition des bénéficiaires dans la catégorie de « castes répertoriées ». Même dans le cas des « tribus répertoriées », Jammu a une part relativement plus élevée par rapport au Cachemire, la première abritant 60 pour cent de la population locale des « tribus répertoriées » et la seconde 40 pour cent, selon le recensement de 2011.

Avec la nouvelle politique, 15 nouveaux groupes de castes ont été inclus dans la catégorie « OBC », et leur part de réserve a été augmentée de quatre pour cent à huit pour cent, comme recommandé par la Commission des classes socialement et éducativement arriérées (Socially and Educationally Backward Classes Commission).

Toutefois, les données gouvernementales ne font pas état de bénéficiaires spécifiques au sein de la catégorie « OBC ». Les quotas de réservation étendus, institués par le gouvernement central dirigé par le BJP, sont largement perçus comme faisant partie d'une stratégie visant à élargir et consolider la base électorale du parti, notamment dans la région de Jammu. L'introduction d'une réservation de 10 pour cent pour le groupe ethnique Pahari nouvellement reconnu au sein de la catégorie de « tribus répertoriées », parallèlement à la réservation existante de 10 pour cent pour la communauté Gujjar-Bakarwal, une illustration claire. Les Paharis ont d'abord été intégrés dans la réservation de 10 pour cent allouées à la communauté Gujjar-Bakarwal. Cependant, à la suite de l'opposition des Gujjars, qui affirment que les Paharis sont généralement plus favorisés économiquement, un quota distinct de 10 pour cent a été créé pour eux.

Au Cachemire, une écrasante majorité de la population appartient à la catégorie « non réservée » ou à celle des résidents des zones défavorisées (RBA, Residents of Backward Areas). La Jammu and Kashmir Reservation Act of 2004 (La loi de 2004 sur la réservation au Jammu-et-Cachemire) stipule explicitement que la part totale des sièges réservés, en toute circonstance, ne doit jamais dépasser 50 pour cent. La loi et les règlements qui en découlent attribuaient initialement 57 pour cent des sièges à la catégorie ouverte, 20 pour cent aux RBA et 23 pour cent aux autres catégories réservées. Cette répartition était fondée sur un principe constitutionnel et respectait la limite supérieure panindienne de 50 pour cent des sièges disponibles réservés au titre des quotas, telle qu'établie dans l'affaire Indra Sawhney c. Union de l'Inde en 1992. En outre, la part de réserves de la RBA a été réduite de 20 pour cent à 10 pour cent dans le cadre de la nouvelle politique de réservation.

Les données partagées par le gouvernement lors de la session budgétaire ont révélé davantage de déséquilibres dans les résultats de la politique. La nouvelle politique de réservation alloue quatre pour cent des sièges aux catégories de la Ligne de Contrôle Effectif (Actual Line of Control) et de la Frontière Internationale (International Border), destinées aux résidents vivant à moins de six kilomètres de ces lignes. Dans la catégorie de la Ligne de Contrôle Effectif, 94,3 pour cent des personnes incluses étaient originaires de Jammu, contre seulement 5,7 pour cent du Cachemire. Dans la catégorie de Frontières Internationales, aucun bénéficiaire du Cachemire n'a été enregistré, tandis que 551 personnes du Jammu ont bénéficié des prestations. La nouvelle politique a alloué 10 pour cent aux sections économiquement défavorisées (EWS, Economically Weaker Sections). Il est significatif que, dans la catégorie EWS, seuls 7,7 pour cent des bénéficiaires provenaient du Cachemire, tandis que 92,3 pour cent d'entre eux étaient originaires du Jammu, selon les données d'avril 2023.

Le paradoxe de la pensée libérale indienne sur le Cachemire et l’Article 370

Des spéculations ont émergé concernant le fait que les fonctionnaires appliquent un ensemble de critères plus stricts au Cachemire qu'ailleurs pour l'octroi des certificats EWS (Economically Weaker Sections). Que cela soit vrai ou non, les statistiques disponibles ne font qu’accroître les craintes d’une perte de pouvoir à long terme du Cachemire.

« L'ensemble du système de réservation est truqué contre la population parlant le cachemiri, ainsi que contre les ʻtribus répertoriées’ ou les sections économiquement plus faibles (EWS) vivant au Cachemire », a déclaré Sajad Lone lors de son discours à la session budgétaire de l'assemblée législative. Il a ajouté que la politique de réservation était utilisée comme un outil « pour exclure la population parlant le cachemiri de la structure du pouvoir et réorganiser la hiérarchie sociale » au Jammu-et-Cachemire.

En augmentant les quotas de réservations pour couvrir entre 60 et 70 pour cent des sièges, en dépit de l'arrêt Indira Sawhney et de la loi sur la réservation du Jammu-et-Cachemire, le BJP avait les yeux fermement fixés sur les dividendes politiques liés à l'apaisement de la population hindoue majoritaire du Jammu. Son incapacité à obtenir une majorité lors des élections législatives de 2024 au Jammu-et-Cachemire – les premières depuis l’abrogation de l’Article 370 – pourrait être un revers temporaire, mais le BJP semble avoir déjà préparé le terrain pour une rupture au sein des alignements sociaux et politiques antérieurs dans le paysage politique complexe du Jammu-et-Cachemire.

EN 2023, le gouvernement de l’Union a modifié la loi sur la réorganisation du Jammu-et-Cachemire (the Jammu and Kashmir Reorganisation Act), qui avait divisé l’ancien État en deux territoires de l’Union en 2019, afin de réserver neuf des 90 sièges de l’Assemblée législative du Jammu-et-Cachemire aux « tribus répertoriées ». Lors des élections législatives de 2024, le BJP a remporté les sept sièges réservés aux « castes répertoriées ». Cependant, le parti n’a remporté aucun des six sièges réservés aux « tribus répertoriées » dans la division de Jammu, y compris dans les districts de Rajouri et de Poonch, qui ont des populations majoritairement musulmanes et abritent une forte concentration des communautés Gujjar-Bakarwal et Pahari.

Malgré le récent redécoupage électoral qui a fusionné plusieurs segments de l'assemblée de Rajouri-Poonch avec l'ancienne circonscription d'Anantnag pour créer le nouveau siège d'Anantnag-Rajouri, le BJP n'a pas non plus réussi à capitaliser sur le vote des Gujjar et des Pahari lors des élections de 2024 à la Lok Sabha. Cette réorganisation était censée faire de ces communautés un facteur décisif pour déterminer le vainqueur dans une circonscription qui faisait auparavant partie de la division du Cachemire. Néanmoins, la délimitation révisée a considérablement renforcé l’importance électorale de Jammu dans les élections de l’assemblée législative. Le BJP a remporté cinq des six circonscriptions nouvellement créées dans la division de Jammu. Cette victoire a porté le total du parti à l'assemblée à 29, ce qui représente une augmentation significative par rapport à son précédent total de 25 lors des élections législatives de 2014. Bien que plus peuplé que Jammu, Cachemire n'a reçu qu'une seule circonscription supplémentaire lors du processus de délimitation, ce qui soulève des inquiétudes concernant de possibles changements dans la représentation politique et l'équilibre des pouvoirs entre les deux régions. Selon le recensement de 2011, Cachemire représente environ 55 pour cent de la population totale du territoire de l'Union, tandis que Jammu en constitue environ 45 pour cent. Naveed Mir, un chercheur doctorant qui étudie la trajectoire constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire, estime qu’à la fois le processus de délimitation et les changements apportés à la politique de réservations après l’abrogation de l’Article 370 suivent un schéma clair qui renforce le Jammu et aide le BJP à consolider sa base électorale dans cette région. « Cette stratégie contraste fortement avec la manière dont le BJP a initialement justifié l’abrogation de l’Article 370 comme une mesure en faveur de l’égalité et de l’intégration », a déclaré Mir.

Un autre changement législatif majeur qui a contribué au sentiment de diminution parmi les musulmans du Cachemire est l’introduction, en 2020, d’une nouvelle loi sur le domicile accordant le statut de « résident » du Cachemire aux non-Cachemiris et à leurs descendants, les rendant ainsi éligibles à la propriété foncière et aux emplois gouvernementaux. Il s’agit d’une conséquence directe de l’abrogation de l’Article 370, qui protégeait auparavant les droits fonciers locaux et l’emploi public en tant que prérogative des Cachemiris en vertu de l’Article 35A de la Constitution indienne.

Que la stratégie du BJP réussisse ou non à long terme, elle constitue un piège politique pour les partis régionaux basés au Cachemire. S'ils annulent les modifications apportées à la politique de réservation, cela pourrait créer de nouvelles lignes de fracture sociales et politiques – ou ce qu'Aga Syed Ruhullah Mehdi, un député de Srinagar, a qualifié de « guerre des classes ». Mehdi, de la Conférence nationale, était une figure de proue des manifestations de décembre 2024, aux côtés de deux dirigeants du Parti démocratique du peuple (People’s Democratic Party), Iltija Mufti et Waheed Ur Rehman Para – ce dernier étant membre de l'assemblée législative.

Le gouvernement dirigé par la Conférence nationale se trouve maintenant dans une impasse. Il semble avoir bénéficié du vote des Pahari à la fois lors des élections de l'assemblée et de la Lok Sabha, obtenant de bons résultats dans les circonscriptions avec des populations Pahari, et a donc des raisons électorales de ne pas s'opposer aux nouvelles réservations. Mais il devra équilibrer ce gain politique avec les impacts plus larges des nouvelles réservations au Cachemire, auxquelles les Cashemiris sont fermement opposés.

Un recours a été déposé auprès de la Haute Cour du Jammu-et-Cachemire et du Ladakh en novembre dernier pour contester le nouveau régime de réservation. Le gouvernement de la Conférence nationale a cédé à la pression populaire après les manifestations étudiantes de décembre et a formé un sous-comité ministériel pour réviser la nouvelle politique. Les décisions de la cour et du comité sont encore attendues.

Aurif Muzafar, un avocat cachemiri, a cité des données sur les certificats de réservation pour mettre en évidence le déclin de la représentation des musulmans cachemiris dans les services de l'État – une tendance qui a été exacerbée par la politique de réservation. « Les aspirants de la région du Cachemire doivent désormais faire face à des tests plus rigoureux et à des seuils d'admissibilité sans précédent pour se qualifier aux différentes étapes des examens organisés par la Public Service Commission (Commission de la fonction publique) et le Services Selection Board (Comité de sélection des services) », a-t-il déclaré. Il a comparé le phénomène à la manière dont les musulmans se voyaient refuser l'accès à l'éducation et à l'emploi sous le règne de la dynastie Dogra, les rois hindous qui gouvernaient le Cachemire avant l'indépendance de l'Inde.

L'Inde a historiquement utilisé le système de réservations pour promouvoir l'égalité des chances au sein de sa population très variée et inégale grâce à des mesures d'action positive. Mais le gouvernement central dirigé par le BJP a manipulé et utilisé les réservations comme une arme pour renforcer la marginalisation sociale, politique et économique des Cachemiris, et pour promouvoir les divisions sociétales et politiques à son propre avantage politique – une stratégie qui rappelle les méthodes pernicieuses de l’époque coloniale du « diviser pour régner », et un abus vicieux des idéaux de justice sociale.

Burhan Majid est un juriste et doctorant à l'Université de droit NALSAR à Hyderabad. Il est lauréat de l'Indian Equality Law Fellowship 2022 (Université d'Oxford) et de la VRU-WCL Short-Term Fellowship 2023 (Humboldt-Universität de Berlin).

Available in
EnglishSpanishPortuguese (Brazil)GermanFrenchItalian (Standard)
Author
Burhan Majid
Translators
Victoria Breting-Garcia and Open Language Initiative
Date
29.07.2025
Source
Himal SouthasianOriginal article🔗
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