Environment

Montevideo est à court d'eau potable

La sécheresse et une gestion inefficace de l'eau entraînent la sortie d'eau salée des robinets de la capitale uruguayenne tandis que les autorités ont mis des mois à reconnaître la gravité de la situation.
L'Uruguay est confronté à une crise hydro-sociale. D'innombrables conflits liés à l'eau se produisent à travers le pays, tant en ce qui concerne la quantité que la qualité, affectant l'eau destinée à la consommation humaine et aux loisirs, tout en dégradant les écosystèmes.
L'Uruguay est confronté à une crise hydro-sociale. D'innombrables conflits liés à l'eau se produisent à travers le pays, tant en ce qui concerne la quantité que la qualité, affectant l'eau destinée à la consommation humaine et aux loisirs, tout en dégradant les écosystèmes.

Dans la ville de Montevideo et une partie de son agglomération, où vivent 1,7 million de personnes, à savoir environ 50 % de la population uruguayenne, l'eau n'est "pas potable au sens strict du terme, mais elle est buvable et propre à la consommation", selon une déclaration faite au début du mois de mai par le ministre de l'environnement du pays.

Par ces mots, le ministre justifiait la décision d'augmenter le niveau de salinité autorisé dans l'eau destinée à la consommation humaine au-delà de la norme légale, et ce en réponse à la pénurie d'eau provoquée par la sécheresse qui sévit dans le pays depuis 2020. Les limites légales de 200 milligrammes par litre de sodium et de 250 milligrammes par litre de chlorures ont été portées à 440 et 750 milligrammes par litre, respectivement. 

Les niveaux d'eau des barrages de Paso Severino et Canelón Grande sur la rivière Santa Lucía, qui fournissent l'eau potable à Montevideo, ne suffisent plus à assurer l'approvisionnement à la population. Les autorités ont dû se résoudre à puiser de l'eau dans la partie inférieure du fleuve, qui présente des niveaux de salinité plus élevés en raison de sa proximité avec l'embouchure du Río de la Plata.

La société publique uruguayenne de distribution d'eau, l'Administration nationale des travaux sanitaires de l'État (OSE), a annoncé cette décision à la fin du mois d'avril. Bien que les autorités aient été conscientes du problème depuis des mois, elles n'ont pris aucune mesure pour en informer explicitement le public, ni aucune disposition pour se préparer à la situation d'urgence sociale et hydrique ou parer à ses effets.

Un déluge de problèmes

Les premières déclarations du gouvernement en mai, reconnaissant la situation mais formulées dans un contexte de minimisation de la problématique, ont provoqué un déferlement de doutes et d'inquiétudes.

Divers groupes professionnels ont mis en garde contre les risques pour la santé, principalement pour des groupes tels que les personnes souffrant d'hypertension, de maladies rénales et les jeunes enfants. Une consommation excessive de sodium peut notamment entraîner des problèmes cardiaques et cutanés.

Le processus cumulatif d'identification des personnes et des processus concernés, y compris l'industrie, les entreprises, les établissements d'enseignement et les hôpitaux, s'est alors enclenché. Les autorités éducatives ont recommandé, par exemple, de ne pas filtrer le riz, de réutiliser l'eau utilisée pour cuire les pâtes, de ne donner de l'eau minérale aux enfants qu'en cas de besoin (un verre par repas) et d'aromatiser l'eau du robinet avec de la menthe, du gingembre ou du romarin pour la rendre plus agréable au goût des enfants dans les centres d'éducation préscolaire, bien que cette dernière recommandation ait été rejetée par la suite.

L'eau distribuée par l'OSE en Uruguay a toujours été considérée comme propre à la consommation. Ces dernières années, cependant, des épisodes de mauvais goût ou de coloration de l'eau du robinet ont été observés, et un nombre croissant de ménages des classes moyennes et supérieures ont commencé à utiliser des filtres et des purificateurs d'eau. Ces appareils n'éliminent toutefois pas le sel, ce qui signifie que leur utilisation ne garantit pas la consommation d'une eau saine ou sans saveur. Pour cela, les consommateurs auraient besoin d'une technologie d'osmose inversée, qui n'est pas courante en Uruguay, bien qu'elle ait été mise en place dans certains secteurs aisés. Pour la majorité de la population de Montevideo, l'accès à l'eau potable est devenu un problème de plus à gérer au quotidien.

Les entreprises d'embouteillage d'eau minérale ont vu leur capacité de production et de distribution débordée, ce qui a entraîné une pénurie d'eau minérale certains jours par endroits. Pour beaucoup, trouver un moyen d'accéder à l'eau minérale en bouteille est devenu une nécessité quotidienne. Pour d'autres, ce n'est pas une option, car un récipient de 6 litres d'eau coûte en moyenne 120 pesos uruguayens, soit environ 3 euros. De surcroît, cette situation génère une quantité énorme de déchets plastiques.

Pas un problème isolé

La sécheresse n'explique pas à elle seule la situation. Un grand débat politique et partisan est en train de se développer sur les carences en matière de gestion et de prévoyance des autorités. La coalition de droite qui gouverne depuis 2020 a entamé un processus de réduction du nombre d'employés de l'État, qui a été particulièrement préjudiciable à l'OSE.

L'opposition a également critiqué l'annulation d'un projet de construction de barrage dans le département de Florida. En revanche, en mars 2022, l'OSE a annoncé avoir signé un accord avec Mekorot, la compagnie nationale d'eau israélienne, pour développer le projet Neptuno, abandonné par le précédent gouvernement. Ce projet, situé à Arazatí, dans le département de San José, pourrait fournir à la zone métropolitaine de Montevideo 30 % de l'eau potable dont elle a besoin.

Le projet a fait l'objet de critiques et d'appels à la prudence de la part d'organisations telles que la Fédération des travailleurs de l'OSE (FFOSE), REDES - Amigos de la Tierra, divers groupes scientifiques et même le gouvernement de Montevideo. Les critiques tombent généralement dans l'une des deux grandes catégories suivantes. La première est d'ordre technique et concerne les complications liées au prélèvement d'eau dans le Río de la Plata. Les questions de salinité, de cyanobactéries et d'effets sur l'écosystème peuvent rendre le processus de purification de l'eau très complexe. La seconde est que le projet Neptuno a été identifié comme un processus de privatisation de la gestion de l'eau, ce qui est interdit par la constitution uruguayenne en vertu de l'article 47, approuvé par le biais d'une loi sur l'eau.

Le fait que l'Uruguay soit confronté à une crise hydro-sociale est aujourd'hui largement reconnu. D'innombrables conflits autour de l'eau se produisent dans tout le pays, tant en termes de quantité que de qualité, affectant l'eau destinée à la consommation humaine et aux loisirs, tout en endommageant les écosystèmes. À cet égard, il importe de noter que, outre les cas répétés de cyanobactéries toxiques dans le Río de la Plata et le fleuve Uruguay (dans un pays où le tourisme balnéaire national et international est important), tous les principaux bassins du pays enregistrent des niveaux alarmants de phosphore et d'azote.

Des études scientifiques indiquent que les causes de ces problèmes résident dans l'insuffisance de l'assainissement et du traitement des eaux usées, ainsi que dans l'utilisation de niveaux très élevés d'engrais et de biocides dans le modèle agricole qui prévaut. À cet égard, des objections de longue date ont été formulées au sujet des effets du modèle agricole sur les écosystèmes dans lesquels il opère et sur la manière dont il affecte tous les êtres vivants par l'intermédiaire de l'eau (entre autres éléments). Depuis le milieu des années 1990, l'agro-industrie a favorisé une intensification de l'agriculture en Uruguay qui obéit à la logique hégémonique de la production, combinant l'intersectorialité, la priorisation des consommateurs mondiaux, la généralisation, l'élargissement et l'intensification du rôle du capital dans les processus de production agraire, la standardisation technologique, l'accaparement des terres pour la production à grande échelle et un rôle central pour les grandes sociétés financières.

Compte tenu de la croissance de l'agro-industrie au cours des deux dernières décennies, une nouvelle loi sur l'irrigation (loi n° 16858) a été présentée en 2016. Bien qu'il ait déclenché des alarmes dans les secteurs académiques et parmi les mouvements sociaux, le projet de loi a bénéficié d'un soutien unanime au sein du parlement uruguayen. Outre les critiques liées aux risques que la construction de grands réservoirs fait peser sur les écosystèmes, la conformité de la loi avec l'article 47 de la Constitution a également été remise en question.

La loi sur l'irrigation a permis à des acteurs du système financier ou extérieurs aux systèmes de production de construire, d'exploiter, de gérer et de facturer l'eau d'irrigation. Sans précédent en Uruguay, il s'agit d'une étape substantielle dans la marchandisation de l'eau qui ne peut être analysée indépendamment du contexte général (national et mondial) des marchés de l'eau.

Des luttes interconnectées

Les groupes environnementaux se sont mobilisés de diverses manières pour défendre l'eau sous le slogan "No es sequía, es saqueo" ("Ce n'est pas la sécheresse, c'est le pillage"). Selon eux, la sécheresse n'est qu'un événement de plus dans un processus cumulatif de crises de l'eau au niveau national. L'une de ces organisations, l'Assemblée pour l'eau du fleuve Santa Lucía (Asamblea por el Agua del Río Santa Lucía), a été particulièrement active ces dernières années pour sensibiliser la population à l'état du fleuve.

Diverses organisations mènent une série d'activités autonomes. Le 31 mai, une marche convoquée par le PIT-CNT, la centrale syndicale nationale uruguayenne, s'est déroulée dans le centre-ville de Montevideo. L'assemblée autogérée et le comité de coordination des organisations féministes ont également soutenu la marche.

L'année 2004 a marqué un tournant en Uruguay pour ce qui est de l'eau, de son importance et de sa gestion. Après une année de grande mobilisation, principalement encouragée par la Commission nationale de défense de l'eau et de la vie (CNDAV), un référendum populaire a approuvé une réforme constitutionnelle de l'article 47, déclarant l'eau comme un bien public et l'accès à l'eau potable et à l'assainissement comme des droits humains  devant être assurés par des entreprises publiques. De même, la réforme stipulait que les ressources en eau devaient être gérées par bassin versant et de manière participative.

Ce processus consistait en une approche de l'eau clairement urbaine et centrée sur l'État, en mettant la production d'eau potable et sa gestion au centre des préoccupations. Les autres types d'eau, ou la connexion entre les différentes eaux (eau pour la consommation, eau pour la production, eau pour les loisirs, eau pour les écosystèmes, entre autres), n'ont pas reçu suffisamment d'attention et ont été traités séparément au niveau institutionnel.

Récemment, néanmoins, l'idée que l'eau est abondante, largement répandue en Uruguay, a été remise en question. Ceci est principalement dû aux multiples conflits qui émergent sur son utilisation et son contrôle, à la demande croissante de certains secteurs économiques, à la production d'électricité à grande échelle, et à la dégradation qui en résulte et qui limite son utilisation pour la consommation humaine. Un autre facteur est la modification, au plan national, des normes de qualité acceptables pour la consommation humaine.

Cela a ouvert de nouvelles dimensions à la discussion et à la réflexion. L'eau et sa disponibilité pour l'agriculture, par exemple, deviennent un enjeu important, tout comme les effets de certaines activités productives sur les ressources hydriques destinées à d'autres usages.

La mobilisation en faveur de l'abrogation de la nouvelle loi sur l'irrigation n'a pas permis d'obtenir les signatures nécessaires à l'organisation d'un référendum, mais elle a commencé à orienter le débat vers une compréhension de l'eau en tant  qu'ensemble interconnecté.

La qualité de l'eau potable pourrait s'améliorer dans un avenir proche. Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : l'Uruguay est à la croisée des chemins en ce qui concerne l'eau et tout ce qu'elle implique pour la vie.

María Noel González est une anthropologue uruguayenne, spécialiste des enjeux relatifs à l'eau et à l'environnement.

Photo: DW Español / Youtube

Available in
EnglishSpanishFrench
Author
María Noel González
Translators
Valérie L'Heureux and Selen Okumuş
Date
30.08.2023
Source
Original article🔗
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