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Avec la détention de l'organisateur d'un syndicat de travailleurs agricoles, l’ICE s’en prend au mouvement syndical

Dans l'État de Washington, l’ICE a arrêté Alfredo « Lelo » Juarez, un éminent organisateur syndical de travailleurs agricoles, après avoir brisé la vitre de sa voiture.
Dans l'État de Washington, le 25 mars 2024, des agents de l'ICE ont arrêté de force Alfredo « Lelo » Juarez, un organisateur syndical autochtone mixtèque de 25 ans. Cofondateur du syndicat Familias Unidas Por La Justicia, Alfredo Juarez se bat depuis longtemps pour les droits des travailleurs, notamment pour le paiement des heures supplémentaires et pour la protection contre les programmes d'exploitation des travailleurs étrangers. Des défenseurs affirment que sa détention est motivée par des raisons politiques, s'inscrivant dans une répression plus large contre les militants et les travailleurs immigrés sous l'administration Trump.

Cet article a été publié à l'origine dans Truthout le 1er avril 2025. Il est partagé ici avec l'autorisation du média.

Dans la matinée du 25 mars, l’organisateur syndical Alfredo « Lelo » Juarez a été arrêté de force par des agents de l’Immigration (ICE) qui ont intercepté sa voiture alors qu’il conduisait sa femme au travail, dans le comté de Skagit, dans l’État de Washington. Selon les personnes à qui Alfredo Juarez s’est confié, il aurait demandé à voir un mandat et, alors qu’il tentait de récupérer sa pièce d’identité comme on le lui avait demandé, les agents de l’ICE ont brisé la vitre de sa voiture et l’ont arrêté.

En 2013, alors qu’il n’était qu’un jeune adolescent, Alfredo Juarez, désormais âgé de 25 ans, a contribué à la fondation de Familias Unidas Por La Justicia, un syndicat indépendant de travailleurs agricoles dans l’État de Washington. Il a milité sur des questions telles que le paiement des heures supplémentaires, la protection des travailleurs agricoles contre la chaleur et la nature exploitante du programme pour les travailleurs temporaires H-2A. Alfredo Juarez est un membre très apprécié de la communauté des travailleurs agricoles mixtèques autochtones, et il a reçu une vague de soutien à travers l'État de Washington et dans le pays tout entier.

Alfredo Juarez est actuellement emprisonné au Northwest ICE Processing Center, un centre de détention situé à Tacoma, dans l'État de Washington. Sa détention survient alors que l'administration Trump intensifie sa répression contre les immigrants et les travailleurs.Des membres de syndicats et des militants des droits des immigrants ont été arrêtés. L'administration Trump a également intensifié ses attaques contre les étudiants nés à l'étranger qui se sont exprimés en faveur des droits des Palestiniens, tels que Mahmoud Khalil et Rumeysa Ozturk.

Pour en savoir plus sur la situation d'Alfredo Juarez, Truthout s’est entretenu avec Edgar Franks, le directeur politique de Familias Unidas, au sujet de l’organisateur syndical et de sa détention, de l’effusion de soutien qu'il a reçue, et d'autres aspects. Edgar Franks, qui avait également parlé à Truthout en novembre dernier des défis auxquels sont confrontés les travailleurs agricoles depuis la réélection de Trump, travaille en étroite collaboration avec Alfredo Juarez (surnommé « Lelo ») depuis plus de dix ans.

Derek Seidman : Pour commencer, qu'est-ce qu'il est important que les lecteurs sachent sur Lelo ?

Edgar Franks : La chose la plus importante à savoir le concernant, c'est à quel point il se soucie des problèmes des travailleurs agricoles et à quel point il a milité en leur faveur, en particulier ceux de la communauté autochtone mixtèque dont il est issu. L’une des raisons pour lesquelles il s'engage est qu’il y a très peu d’organisateurs syndicaux dans l’État qui abordent les problèmes auxquels sont confrontés les Mexicains autochtones de sa communauté. Il est très engagé envers sa communauté et tous les enjeux qui touchent les travailleurs agricoles et les immigrants. Il est toujours disponible, à tout moment, dès que les gens l’appellent, parce qu’il croit profondément en la cause.

Il a été l'une des principales personnes qui ont contribué à la création de notre syndicat. Lorsque nous avons commencé, il était difficile de communiquer avec certains travailleurs qui parlaient encore leur langue maternelle et ne maîtrisaient pas bien l'espagnol. Alfredo a joué un rôle clé pour combler ce fossé de communication parce qu’il parlait l’anglais, l’espagnol et le mixtèque. Grâce à lui, nous avons pu vraiment obtenir des informations auprès des travailleurs quant à leurs attentes et nous avons pu les aider à s'organiser.

Il nous a également aidés à plaider en faveur des règles sur les heures supplémentaires pour les travailleurs agricoles et des règles quant aux conditions de travail, notamment en ce qui concerne la chaleur et la fumée. Toutes nos recommandations venaient directement des travailleurs avec lesquels Alfredo s'était entretenu. Il discutait toujours avec les travailleurs. Il a également attiré l’attention sur la nature exploitante du programme de travailleurs temporaires H-2A et sur la façon dont les exploitants agricoles utilisent ce programme comme un outil pour priver les travailleurs agricoles de leur pouvoir. Il a également fait du lobbying sur des questions telles que le logement et la stabilisation des loyers.

C'est un membre de notre syndicat qui est présent depuis le début. Il est un peu comme un délégué syndical. Tout ce que le syndicat a accompli porte la marque d'Alfredo.

Comment comprenez-vous sa détention ? Comment expliquez-vous ce qu'il s’est passé ?

Nous pensons que sa détention est motivée par des considérations politiques en raison de son engagement auprès de la communauté des travailleurs agricoles et des immigrants. Nous pensons qu’il a été pris pour cible. La manière dont l'ICE l'a arrêté avait pour but de l'intimider. Ils ne lui ont pas vraiment donné la possibilité de se défendre ou de s'expliquer. Il n'a pas opposé de résistance, il a juste demandé à voir le mandat. Ils ont demandé à voir sa carte d’identité, et juste au moment où il l'attrapait, ils ont brisé la vitre de sa voiture. Les agents de l'ICE ont rapidement intensifié leur intervention. D’après ce que nous avons entendu, il s’est écoulé moins d’une minute entre le moment où on lui a demandé de s'arrêter et celui où il s'est retrouvé menotté.

Je pense que l’intention était de semer la peur et d’intimider Alfredo, mais aussi d’envoyer un message à ceux qui s’expriment contre l’ICE et défendent les droits des immigrants, en leur montrant que c'est ce qui arrive quand on tente de résister.

Au cours des dernières années, nous avons vu des gens se faire arrêter et se voir demander leurs papiers, mais maintenant cela devient plus agressif. L'ICE harcèle et intimide les gens sans même montrer de mandats. L'ICE a carte blanche, les agents peuvent faire ce qu'ils veulent. Quand des agents fédéraux agissent sans véritable contrôle, cela les incite à être violents et coercitifs envers tout le monde. Le ton donné par l’administration Trump donne aux agents de l’ICE et à la patrouille frontalière le sentiment qu’ils sont inarrêtables. C’est vraiment préoccupant.

Pouvez-vous nous parler de l'élan de soutien envers Lelo ?

C’est formidable de voir tout le soutien qu'Alfredo reçoit. Cela témoigne de l’impact qu’il a eu dans l’État et dans tout le pays. C'est vraiment touchant de voir toute cette solidarité émaner de gens qui ne l'ont probablement jamais rencontré ou qui ne savaient rien de la lutte des travailleurs agricoles, mais qui sont conscients qu'une injustice a été commise.

Il y a eu un rassemblement le 27 mars organisé par le Washington State Labor Council, qui représente tous les syndicats de l'État de Washington. Ils se sont rendus au centre de détention pour réclamer la libération d’Alfredo et d’une autre membre du syndicat, Lewelyn Dixon. Pour nous, en tant que syndicat, ce qui compte le plus, c'est de voir notre famille syndicale se mobiliser. Pendant la campagne présidentielle, nous avons vu comment les travailleurs et les syndicats étaient instrumentalisés par Trump, mais maintenant, nous sommes tous conscients ce qui se passe réellement ici, à savoir que Trump utilise les immigrants pour attaquer les travailleurs et les syndicats. C'est formidable de voir le mouvement syndical réellement se mobiliser en faveur des travailleurs étrangers.

Ce qui touche la population touche aussi les immigrants. En fin de compte, nous voulons tous les mêmes choses : de la nourriture, un logement et de bonnes écoles. Les immigrants n’ont rien à voir avec la hausse des prix du logement, du carburant ou des œufs. Les difficultés qui affectent réellement la vie des gens ne sont pas causées par les immigrants. Elles sont causées par le système et par des milliardaires comme Elon Musk. Les frustrations que les gens ressentent sont réelles, mais leur colère est dirigée contre les immigrants, et ce n’est pas là qu'elle devrait aller.

Comment va Lelo ? Avez-vous eu de ses nouvelles ? 

Il est évidemment bouleversé. Sa famille et ses amis lui manquent. Il est aussi très touché par toutes les actions qui ont lieu. Mais quand certains de ses partisans sont allés le voir la semaine dernière, vous savez ce qu'il leur a demandé ? De continuer à se battre et à se mobiliser. Ça nous donne la force et la confiance d'aller de l'avant. Lelo veut que nous nous battions, alors nous nous battrons. S’il se bat à l’intérieur, nous continuerons à nous battre pour lui à l’extérieur.

Il a maintenant une représentation légale, ce qui était aussi une grande préoccupation pour nous. Nous pouvons nous battre autant que nous le voulons à l’extérieur, mais nous avons vraiment besoin de renfort dans le système judiciaire pour aider Alfredo. Nous serons là pour soutenir l'équipe juridique dans tout ce dont elle aura besoin pour faire avancer son combat, y compris en exerçant une pression dans les rues.

La détention de Lelo survient dans un contexte de répression plus large aux États-Unis. Pensez-vous qu'il y ait des liens ?

Lelo s’inquiète pour les autres personnes qui sont détenues.Lewelyn Dixon est technicienne de laboratoire à l’Université de Washington et membre du syndicat SEIU 925. Elle a une carte verte et vit aux États-Unis depuis 50 ans. Elle se trouve au centre de détention de Tacoma.

Il y a aussi le cas de la militante pour les droits des immigrants Jeannette Vizguerra à Denver. Ou encore, le cas de Mahmoud Khalil à l'Université de Columbia, ainsi que d'autres étudiants détenus qui s'expriment sur la Palestine. Ce n’est plus une coïncidence. C'est désormais une tendance, et c'est vraiment inquiétant. Les États-Unis évoquent souvent les gouvernements répressifs au Venezuela ou à Cuba, mais en ce moment même, nous avons des prisonniers politiques ici, aux États-Unis.

Pensez-vous que la détention de Lelo fait partie d’un plan plus large visant à attaquer le mouvement de mobilisation des travailleurs agricoles ?

Dès le début, nous avons pensé que le Projet 2025 et son plan d'expulsions massives visaient à semer la peur parmi les organisations de travailleurs agricoles qui prenaient de l’ampleur. Il s’agissait de faire taire les syndicats, d’expulser un maximum de personnes et d'amener une main-d’œuvre captive par le biais du programme H-2A.

Nous pensons que cela pourrait être le plan ultime : se débarrasser de tous les travailleurs immigrants qui se mobilisent et se battent pour de meilleures conditions, et faire venir une main-d’œuvre qui est sous le contrôle total de son employeur et qui n’a pratiquement aucun droit. Il sera encore plus difficile de s’organiser avec les travailleurs agricoles si davantage de travailleurs H-2A arrivent. Ce ne serait pas impossible, mais ce sera plus difficile. Toutes les avancées réalisées ces deux dernières années pour les travailleurs agricoles sont menacées.

Qu'attendez-vous des supporters de la cause ?

Alfredo est très porté sur la mobilisation. Où que vous soyez, il y a des luttes similaires. Que ce soit à New York, en Floride, au Texas ou en Californie, il y a des personnes engagées pour les droits des immigrants et des travailleurs qui ont autant besoin de soutien qu'Alfredo. Il faut aller dans nos communautés locales et soutenir ceux qui organisent des campagnes.

Il faut voir le cas d'Alfredo comme un exemple de son efficacité et de la menace qu'il représente pour l'ordre établi. Mais en même temps, il ne voudrait pas que les gens arrêtent de se mobiliser parce qu’il est détenu. Il voudrait que les gens se mobilisent davantage.

Vous avez travaillé en étroite collaboration avec Lelo pendant plus de dix ans. Quels souvenirs de lui pourriez-vous partager avec nous pour nous en dire plus sur la personne qu'il est ?

Lorsque nous avons commencé à nous mobiliser en 2013, il n’avait que 14 ans. Beaucoup de travailleurs agricoles ne savaient pas parler anglais, donc ces personnes, qui étaient adultes, demandaient à Alfredo de présenter leur cas. Il n’était qu’un jeune adolescent, encore un enfant en soi, quand on lui a confié la responsabilité de représenter les travailleurs agricoles lors de conférences comptant des centaines de personnes. Et quand il s'y rendait, il parlait avec éloquence pendant plus d’une heure des conditions de vie d'un jeune travailleur agricole et des raisons pour lesquelles les travailleurs agricoles avaient besoin d’un syndicat. La campagne n'avait peut-être que deux mois, mais Alfredo avait déjà saisi l’idée de l’importance des syndicats à un si jeune âge.

Je me souviens très bien de tout cela parce que je devais le conduire partout, étant donné qu'il était trop jeune pour conduire ! Alors je l'emmenais parler aux membres des églises, des syndicats ou d'autres groupes de la communauté. Il faisait tout cela alors qu'il n'avait que 14 ans. J'étais impressionné. Je pouvais à peine parler deux minutes sans devenir nerveux, mais voilà qu'il y avait ce garçon de 14 ans qui était capable de parler pendant une heure !

Il a également été invité à la conférence du Labor Notes de 2022 pour présenter le travail du syndicat, et je me rappelle à quel point il se réjouissait à l’idée que Bernie Sanders soit là. Il a eu l’occasion de remettre à ce dernier une lettre expliquant notre campagne contre le Farm Workforce Modernization Act [« Loi sur la modernisation de la main-d’œuvre agricole »]. Il était très heureux de rencontrer Bernie Sanders.

Au fond, c'est encore un enfant (rires). Il adore Baby Yoda et il aime regarder des dessins animés. Il essaie de profiter de sa jeunesse. C'est une personne très humble. Il a maintenant 25 ans, donc près de la moitié de sa vie a été consacrée à défendre cette cause. C'est incroyable de voir tout ce qu'il a pu accomplir alors qu'il est encore si jeune.

Derek Seidman est un écrivain, chercheur et historien basé à Buffalo, New York. Il collabore régulièrement avec Truthout et écrit aussi pour LittleSis.

Photo: cemillerphotography via Wikimedia Commons

Available in
EnglishSpanishPortuguese (Brazil)GermanFrenchItalian (Standard)Arabic
Translators
Emilie Andry and ProZ Pro Bono
Date
19.05.2025
Source
The Real News NetworkOriginal article🔗
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