Une interview du Fórum VivaSUS avec Gabriel Brito
São Paulo s’est imposée comme une référence nationale de la privatisation des services publics. Depuis plusieurs années, la ville s’appuie sur le modèle de Organizações Sociais de Saúde (OSS) pour gérer le SUS, le système public de santé du Brésil. Créée en 1998 sous l’administration Cardoso, cette structure juridico-administratif exige les entités à se déclarer « à but non lucratif » —mais, après plus de 15 ans d’activité, il est devenu évident que la légitimité de ce statut est très contestable.
Les critiques envers l’OSS proviennent précisément de ceux qui construisent réellement le SUS : des travailleur·ses du système aux chercheur·ses et militant·es. C’est face à cet état de fait préoccupant qu’a été créé à São Paulo le Fórum VivaSUS, peut-être le mouvement social le plus récent pour la défense du système de santé, qui, depuis des décennies, est confronté aux contradictions inévitables générées par l'hégémonie de la culture marchande. Formé par des professionnel·les de santé et usager·ères du système, il est né en 2022, en réponse à la Portaria das Metas (L'ordonnance sur les objectifs) — un jalon de précarité qui impose des rythmes industriels aux soins de santé.
« Travailler au sein du SUS est démoralisant, stérile, fragmenté, isolé et conflictuel. Il n’y a aucune possibilité, aucune chance d’être créatif ni de concevoir des soins qui ont un véritable sens pour le public. Nous parlons souvent de reprendre le SUS, mais tout au long de nos réflexions, nous avons conclu qu’en réalité, il ne nous a jamais vraiment appartenu », ont confié·e ses représentant·es lors d’une interview collectif accordée à Outra Saúde.
Le fait même qu’ils aient évité de révéler leurs identités démontre la toxicité des relations de travail et de la gestion basée sur le modèle de l’OSS, devenu un canal obscur pour les fonds publics.
« C’est une manière de contourner la loi, car il s’agit du même argent public utilisé pour embaucher du personnel·le. L’OSS entrent dans ce vide et commencent à fonctionner comme des entreprises, même si elles se déclarent être à but non lucratif. Plus de 80 pour cent du budget de la santé de São Paulo est entre les mains de l’OSS ; c’est une somme énorme, des milliards de réais confiés à une gestion privée et commerciale, car c’est bien ce qu’elles sont réellement », dénonce le collectif.
Il faut comprendre ici que les règles d’austérité fiscale et du contrôle des « dépenses » sont des techniques arbitraires drapées dans une idéologie, qui considèrent que cet argent est exempt de contraintes légales dès lors qu’il est géré par des acteurs privés. Au final, c’est un système coûteux et inefficace, au contraire des promesses des idéologues de la gestion d’entreprise appliqué à l’État.
Dans cette conversation, Viva SUS détaille comment l’OSS ont vidé le contrôle public, transformant des postes techniques en nominations politiques et réduisant la capacité de l’État à gérer sa propre politique de santé. Ils dénoncent également la farce de l’efficacité privée, qui transfère des milliards de réais publics entre les mains d’entreprises qui licencient sans justification valable, se livrer à la fraude les procédures de travail et qui imposent des objectifs incompatibles avec une prise en charge globale.
« Nous constatons la diminution de capacité de l’État à gérer les politiques de santé publique, un accroissement du pouvoir de ces entreprises, de leurs gestionnaires et de leurs propriétaires — car c’est exactement ce qu’elles s’agissent : des entreprises avec des propriétaires », avertit VivaSUS.
En outre, les travailleur·ses expliquent que l’expérience de São Paulo est de plus en plus reproduite à l’échelle nationale. Ce modèle, fondé sur des faux paramètres garantissant le droit à la santé, représente tout une logique de marché adoptée par nombreux autres centres urbains. Et pire encore, par le gouvernement fédéral lui-même.
« Une grande partie de ce qui a été perdu et révoqué par les administrations Temer et Bolsonaro n’a pas été récupérée. Quand on a, par exemple, le maintien des soins de santé primaires basé sur des objectifs supposés, on voit un gouvernement pris en otage de la logique du marché, ce qui va avoir un impact réel sur notre activité en tant que travailleur·ses ».
Pour le Fórum Viva SUS, le 35ᵉ anniversaire en 2025 du système de santé unique créé par le Brésil, est plus un appel à la lutte pour garantir son avenir qu'une célébration en soi. Voici l'interview complète.
Qu’est-ce que le Fórum Viva SUS, pourquoi a-t-il été créé et quelle est son ampleur ?
C’est un mouvement social, autonome, horizontal et non partisan, mené par des travailleur·ses et des usager·ères du SUS ici à São Paulo. Il est né en réaction à la publication de la Portaria das Metas (L'ordonnance sur les objectifs) en 2022, qui a constitué la ‘cerise sur le gâteau’ dans la dégradation et la dénaturation du travail au sein du SUS, sous l’effet d’une logique de production de plus en plus entrepreneuriale imposée par la gestion des organisations sociales de santé.
De la manière dont le SUS s'est établi à São Paulo, nous, les travailleur·ses, sommes réduits à gérer des indicateurs chiffrés et non de processus, des personnes et du territoire. Travailler dans le SUS est apathique, aseptisé, fragmentée, isolée et controversé. Il n’y a aucune possibilité, aucune chance d’être créatif, de concevoir des soins qui ont un sens pour la population. C’est pourquoi nous nous sommes réunis autour de l’idée de sensibiliser, de provoquer et d’organiser les travailleur·ses et les usager·ères du SUS.
Nous parlons de nous réapproprier le SUS, mais aux fins de nos réflexions, nous avons conclu qu’il n’a jamais vraiment été le nôtre. Peut-être que l’idée est en fait de nous sensibiliser, de s’équiper, de collectiviser, de s’organiser afin de transformer le système et de proposer un modèle d’accès aux soins qui ait du sens pour la société.
Étant à São Paulo, voyez-vous l'État et la capitale comme des laboratoires pour ce qui pourrait être une privatisation au sein du système ? Quelle évaluation historique faites-vous des Organizações Sociais (OSS) ?
L’OS (OSS) est apparu comme un moyen pour les administrateurs·rices d’accélérer et de simplifier l’embauche. Si l’on pense au début du système, alors qu’il y avait beaucoup moins de services et de personnes embauchées, les administrations en particulier PT (Partido dos Trabalhadores) et PSDB (Partido da Social Democracia Brasileira) — ont utilisé cette ressource pour faire développer le système, en termes de portée. Mais sans aborder les problèmes principaux, comme la politique budgétaire, la loi de responsabilité fiscale qui limite les embauches, les dépenses publiques en matière de personnel, de santé, d’éducation...
Passer au secteur privé est un moyen de contourner la loi, car c’est le même argent public utilisé pour embaucher des gens. Les entrent dans cette brèche et commencent à fonctionner comme des entreprises, même s’ils se déclarent à but non lucratif. Plus de 80 pour cent du budget de la santé de São Paulo est entre les mains des opérateurs à but non lucratif ; c’est beaucoup d’argent, des milliards de réais remis à la gestion privée et commerciale, parce que c’est ce qu’ils sont vraiment.
Et ici, nous entrons dans le traitement des employés. Ils peuvent licencier des gens parce que c’est dans le cadre du système CLT (Consolidação das Leis do Trabalho, Loi du travail consolidée du Brésil), ils n’ont pas besoin de justification, même en ce qui concerne les personnes qui fournissent des services de santé publics. Nous avons plusieurs cas de licenciements dans lesquels, lorsqu’ils vont devant le tribunal du travail, ils prétendent que ne sont pas une entreprise privée.
Le SUS est largement reconnu comme un modèle de politique publique. Malgré tout, le SUS offre beaucoup. Nous avons réussi à arrêter certains efforts de privatisation, mais à l’intérieur du système, ils ont réussi à consolider leur pouvoir et ont déjà la majorité des budgets. Et s’ils ont un budget, ils contrôlent également la gestion du système. On voit des OS élaborer des modèles, décider quel système d’information sera utilisé pour développer les dossiers médicaux, la gestion du réseau de production...
Et il ne semble plus y avoir de critiques sur ce type de modèle de gestion, qui prétend être plus efficace, mais qui, en pratique, est loin de répondre aux besoins du public utilisant les SUS.
Il est important de regarder vers l’avenir. En tant que travailleur·ses et utilisateur·rices, nous devons comprendre les limites de ce système afin de rêver et de lutter pour des alternatives. Il y a beaucoup de gens, y compris à gauche à São Paulo, pensent que ce n’est pas possible, parce qu’ils (les opérateurs à but non lucratifs) sont trop grands et assurent d’une manière ou d’une autre que le système continue de fonctionner. Mais nous avons besoin d'autres moyens d'embaucher, de gérer le SUS et le travail.
Après plus d'une décennie, plus de 90 pour cent des travailleur·ses de la ville de São Paulo sont embauchées par des OS. Et on constate la diminution de la capacité de l’État à gérer les politiques de santé publique et la montée de pouvoir de ces entreprises, leurs dirigeant·e·s et leurs propriétaires parce que c’est bien cela qu’elles sont : des entreprises avec des propriétaires. Nous avons de moins en moins de voix, nous sommes minés, et cela affecte l’idée d’un contrôle sociétal du SUS, à la fois par les travailleur·ses et par le public.
Un autre aspect est qu’avec la fin de l’embauche de fonctionnaires statutaires, de plus en plus de niveaux hiérarchiques de l'organisation de la mairie de São Paulo sont occupés par des postes nommés. Les postes qui, il y a 10 ans, étaient gérés par des fonctionnaires de carrière engagés dans la mise en œuvre des politiques publiques, et ayant une compréhension du cadre théorique et pratique du SUS, sont désormais occupés, jusqu'aux niveaux les plus bas de l'administration, par des conseillers locaux dans chaque quartier ou sous-districts de santé. Conseil en santé mentale, santé des femmes... Tout se transforme en postes de confiance.
Qu’e soit que cela signifie ?
Avec cette érosion du pouvoir détenu par les employé·e·s municipaux, le pouvoir finit par être transféré aux propriétaires des opérateurs de santé à but non lucratif qui, en collusion avec les maires élus, embauchent des personnes sur la base de leurs connexions politiques, sans véritable engagement envers le SUS.
De plus, avec la désintégration des relations de travail et l’implication de plusieurs opérateurs, les travailleur·ses ne se considèrent plus comme faisant partie intégrante du SUS lui-même, mais souvent plutôt comme des membres de l’entreprise qui gère le SUS dans cette région.
Cela sape les principes fondamentaux du SUS à l’intérieur, comme la construction réalisée par ses propres employé·es, par la mise en œuvre d’une politique nationale de santé qui s’oppose à la logique commerciale établie par ce type de nomination et à la relation inappropriée entre les autorités publiques, les postes nommés et les propriétaires d’entreprises.
Lorsqu’il est appliqué à la mise en œuvre d’objectifs professionnels, cela nuit aux travailleur·ses, à la qualité des soins et affaiblit la population. Parce qu’avec cette concentration du pouvoir entre les mains des personnes nommées par le pouvoir politique et entre les mains des entreprises, les mécanismes de contrôle public sont affaiblis. Qu'il s'agisse de conférences sur la santé ou de conseils de gestion locaux ou municipaux, tout est érodé.
Aujourd’hui, nous vivons dans une situation où les mécanismes autrefois reconnus comme prise de décisions n’ont plus de pouvoir réel. Les postes politiques nommés atteignent des niveaux de plus en plus bas, parce qu’il n’y a plus d’employé*e*s statutaires (qui ont pris leur retraite) pour poursuivre une carrière dans le secteur public, et donc les propriétaires des OS décident localement de ce qu’ils veulent.
Peut-on dire que cette logique reste intacte pour le gouvernement fédéral, élu avec le soutien décisif des mouvements sociaux qui luttent pour des améliorations dans le SUS et de ses propres travailleur·ses ?
La logique mise en œuvre à São Paulo via l'OS est également maintenue au sein du gouvernement fédéral, c’est-à-dire la logique néolibérale de la santé en tant que marchandise, comme l’idée de plans de santé populaires coûtant 100 réais, développée au sein d’une agence gouvernementale (ANS). Celle-ci est directement opposée à la SUS, qui est universelle et gratuite. Mais cela s’alignerait très bien avec ce qui est mis en œuvre dans la ville de São Paulo.
C'est vrai que nous avons eu six ans de black-out, mais il y a un manque de dialogue et d’indicateurs nationaux pour surveiller les investissements et les résultats en matière de santé. Une situation similaire s’est produite à São Paulo, où les paramètres procéduraux ne sont pas liés aux résultats.
Le dialogue s’est également détérioré au niveau des États et des municipalités, y compris avec des institutions telles que le COSEMS (Conselho de Secretários Municipais de Saúde) et le CONASEMS (Conselho Nacional de Secretarias Municipais de Saúde), ainsi qu’avec les universités. Chacun ne s’occupe que de lui-même, et nous n’avons pas de SUS tripartite, non seulement dans le financement, mais aussi dans l’évaluation des résultats.
Par conséquent, qu'est-il arrivé de l'héritage des gouvernements de Michel Temer et de Jair Bolsonaro, qui ont clairement accumulé des mesures administratives pour saper et supprimer le financement du SUS ?
Comme tous les mouvements sociaux, VivaSUS analyse la situation actuelle, et on ne peut pas parler du gouvernement actuel sans tenir compte des gouvernements Temer et Bolsonaro. Il y a eu un changement positif dans le financement par rapport au modèle de financement du gouvernement Temer avec le programme Previne Brasil [Prévine Brésil], qui a introduit un modèle managérial qui nécessitait une activité spécifique pour recevoir de l’argent. Il s’agissait d’un changement très important, car comment mesure-t-on les soins dans le réseau des services psychosociaux, par exemple ?
Mais nous avons eu des changements dans l’approche des soins primaires, dont le modèle avait déjà été discuté dans l’histoire de la réforme des soins de santé, et ce modèle a été réintroduit dans le système ultra-néolibéral avancé par l’administration Bolsonaro. Dans la pratique, il y a un certain nombre de problèmes qui gênent et entravent le bon travail.
À São Paulo, la question des objectifs est un exemple clair et l’incarnation de tout cela. Et puis, quand nous avons un gouvernement fédéral qui se dit gauchiste, nous pensons que les choses vont changer, encore plus après la réorganisation du Programa Nacional de Imunização (Programme national d’immunisation) après le traumatisme de la COVID-19 et le discours anti-vaccin.
Mais une grande partie de ce qui a été perdu et révoqué par les administrations Temer et Bolsonaro n’a pas été récupérée. Quand vous avez, par exemple, le maintien de l’Atenção Primária à Saúde (Soins de santé primaires) sur la base d’objectifs présumés, nous voyons un gouvernement pris en otage par la logique du marché, ce qui aura un impact réel sur notre activité professionnelle, comme on le voit dans les capitales comme São Paulo, Rio de Janeiro, Fortaleza, Florianópolis...
Dans toutes ces villes, nous voyons une vision des soins de santé axée sur le marché. Ce n’est pas étonnant que les profits de ces entreprises privées, qui sont les grandes organisations de lobbying dans le domaine de la santé, ne cessent d’augmenter et de croître. Et cela n'est-il pas discuté, n'est-ce pas remarqué ? Au contraire, nous avons un gouvernement qui discute d’un projet de popularisation des régimes d’assurance maladie privés, une idée de l’administration Temer et de son ministre, Ricardo Barros.
Il faut donc critiquer le gouvernement fédéral et exiger une plus grande attention aux propositions des mouvements sociaux et des acteurs du secteur qui le soutiennent. Il semble que tout n’existe que pour satisfaire le marché financier. À quel prix ? Vous ne pouvez pas gérer le SUS avec une telle logique explicitement axée sur le marché.
C’est toujours une tentative rapide et axée sur le marché pour répondre aux problèmes sociaux. Même lorsqu’il essaie d’inclure les mouvements sociaux dans la discussion, nous voyons un gouvernement complètement déconnecté de l’agenda des travailleur*ses et aligné sur la logique du marché financier, ce qui nous ferme ses portes.
D’une manière générale, comment voyez-vous l’organisation du SUS à la lumière de ses principes fondamentaux, à l’heure où les gouvernements, les institutions et les mouvements sociaux célèbrent son 35e anniversaire ?
La célébration est importante, mais nous n’allons pas défendre les principes fondamentaux de la SUS sans réfléchir à la manière dont les processus de travail sont réellement organisés. Non seulement du point de vue des travailleur·ses, mais aussi en ce qui concerne le contrôle et la participation du public. São Paulo est un exemple de la manière dont la logique du marché mise en œuvre par l’OS, alliée à des intérêts politiques opportunistes, sape ces principes, tant dans l’organisation des travailleur·ses eux-mêmes qu’en ce qui concerne le contrôle social.
De nos jours, les politiques publiques ne sont pas décidées directement par le public et par les travailleur·ses. C'est une logique qui est mise en œuvre à l'intérieur de ce système aujourd'hui et qui détruit la capacité d’organiser un système de santé unifié, comme le dit notre Constitution. Il s’agit d’une subversion, quelque chose qui détruit le SUS et empêche la mise en œuvre de ses principes.
D’un point plus large, comment évaluez-vous la performance du gouvernement fédéral dans la réorganisation soi-disant du SUS après des années de démantèlement par Temer et Bolsonaro, marquées surtout par la catastrophe sanitaire provoquée par la gestion de la pandémie ?
En ce qui concerne les principes doctrinaux du SUS, la question reste de savoir si nous pouvons maintenir l'universalité lorsque quelqu'un a mal au ventre ou présente des symptômes de grippe et se rend à son UBS (clinique de santé locale) et finit par partir en larmes après avoir attendu 6 heures, 8 heures, ne pouvant voir le médecin que si quelqu'un d'autre ne se présente pas, parce qu'il n'y a tout simplement pas de rendez-vous disponibles. Cette personne ne reçoit pas de soins et se sent extrêmement humiliée, tant de point de vue du travailleur·ses que de l’utilisateur* rices.
Ce n’est pas suffisant, ce n’est pas en train d’arriver, on ne peut pas parler de SUS selon les politiques publiques. Comment est-il possible d’assurer l’équité si nous voyons des cas familiaux graves et que nous ne pouvons pas obtenir de soins parce que les services chargés de la réadaptation, par exemple, ont si peu de professionnels et une liste d’attente si longue qu’ils ne prennent en charge que deux ans et qu’ils donnent ensuite congé aux patients en disant qu’ils ont atteint la limite de traitement, alors qu’ils ne l’ont pas fait ? C’est parce qu’ils doivent refuser des patients pour donner à d’autres une chance d’être vus. Parce qu’il n’y a aucun moyen de les servir tous en même temps, il n’y a aucun moyen de garantir qu’ils ont tous accès aux soins de santé. Vous décidez en fin de compte qui aura accès aux soins de santé aujourd’hui et qui n’y aura pas accès, qui devra rentrer chez lui sans traitement et continué à vivre seulement la moitié de sa vie. Une vie sans accès à la fonctionnalité, sans accès à la qualité de vie, sans accès à la participation sociale, sans accès aux conditions de sociabilité.
Et quel type de soins complets pouvons-nous obtenir si nous les voyons même avec une équipe multidisciplinaire pendant 15 minutes ? Un seul médecin été incapable de voir une personne dans son ensemble pendant longtemps. Et encore moins pour une équipe pluridisciplinaire. Parce qu’ils n’ont pas la ressource la plus précieuse de toutes, c’est-à-dire le temps, de comprendre à quoi ressemble la vie de cette personne au-delà des symptômes, de sa routine quotidienne, de ses relations sociales, du type de nourriture à laquelle elle a accès... Autant de questions bien plus complexes que la simple prise de plaintes et la prescription de quelque chose. « Oh, tu as mal à la tête ? Tenez, prenez votre médicament. » « Ressentez-vous de l’anxiété ? Voici votre auriculothérapie. » Il ne s’agit pas d’exhaustivité.
En revenir au développement du mouvement social, la question du travail est au cœur du Fórum VivaSUS. Que pouvez-vous nous dire sur la rencontre qui s’est tenue le 17 à São Paulo sous le slogan « Reprendre le SUS » ? Comment décririez-vous les conditions de travail quotidiennes actuelles au SUS et que proposez-vous ?
Notre initiative était aussi une réponse à la fausse première réunion Primeiro Encontro da Rede de Atenção Psicossocial (RAPS, Réseau de soins psychosociaux) que le département municipal de la santé a mis en place l’année dernière, au cours de laquelle les travailleur·ses ont été réduits au silence par le panel. Il y a eu une répression des critiques, une attaque délibérée de la part de l’un des invités du panel qui a suggéré que les travailleur·ses de SUS agissaient comme des oppresseurs pour ne pas vouloir dialoguer avec l’OS et ses techniques de supervision, alors que la réalité de l’oppression est exactement au contraire. La rencontre proposée par Viva SUS était une autre des actions d'un mouvement qui a un agenda hebdomadaire – qui se déroulent dans la communauté, dans l’éducation, avec d’autres mouvements sociaux – un temps de grande communion qui a été un événement majeur.
C’était très beau et cela a renforcé certains symptômes. Personne ne supporte de travailler pour une entreprise qui prétend être le SUS. De nombreuses situations horribles de harcèlement et de violence institutionnelle au sein du SUS ont été soulevées. Le nombre de licenciements politiques est de plus en plus alarmant. Des travailleur·ses sont licenciés pour avoir défendu le SUS. Il s’agissait d’une réunion qui visait à sensibiliser et à redonner aux travailleurs la force de lutter pour les soins de santé que nous défendons.
Nous recherchons une action plus stratégique, organisée et créative. Et nous sommes très enthousiastes à l’idée de ce que nous pouvons faire collectivement.
Il y a une action de rue prévue pour le 30 dans le centre de São Paulo, appelée Destrava SUAS [Déverrouillez SUAS]. Quelles sont les principales critiques du Fórum concernant cette dimension du système de santé et d'aide sociaux ?
Nous pensons toujours que le travailleur·ses sont l’axe prioritaire, car chaque personne devrait avoir un emploi décent pour gagner sa vie. Mais lorsque nous pensons au système de santé et de services sociaux, nous voyons un grand paradoxe : si les politiques de base en matière d’assainissement, de logement, d’alimentation, de culture et de loisirs étaient universalisées, peut-être que le système de santé tel que nous le comprenons aujourd’hui n’existerait même pas, même avec les meilleures intentions et structures.
Mais depuis qu’il existe, il est difficile d’imaginer des communautés thérapeutiques fortement soutenues par le gouvernement fédéral et un affaiblissement de la Sistema Único de Assistência Social (SUAS, système unifié de services sociaux). Pourquoi ne pas renforcer le SUAS, alors que nous envisageons l’accès des personnes en situation de précarité ou de vulnérabilité, qui bénéficieraient également de ce système ? Parce que nous pensons à un modèle qui incarcère les gens, qui opprime, agresse et viole les gens comme une forme de « soin ». Comment justifier cela au sein d’un gouvernement qui prétend être un État-providence (un État de bien-être social) ? Nous devons considérer ces contradictions, être capables d’y réfléchir, et penser que toute lutte est valable, tant que nous considérons que de telles formes sont nécessaires.
Gabriel Brito est le journaliste pour le site Outra Saúde.